Le travail social communautaire à longtemps suscité une forme de méfiance en France. En effet la crainte du développement du communautarisme et l’idée que celui ci était susceptible de surtout se développer avec des communautés d’origine musulmanes qui refuseraient lois de la République notamment ont provoqué pendant plusieurs années une forte défiance des pouvoirs publics. Une autre inquiétude porte sur la crainte de l’Etat de voir se développer des actions et revendications de type « autonomiste » dans les régions (Bretagne, Corse, Pays basque, Alsace…) (1) Tout cela étant perçu comme un risque d’atteinte et de remise en cause de la République une et indivisible telle qu’elle est définie dans la Constitution Française.
Cette façon d’aborder la question communautaire a été assez regrettable car les travailleurs sociaux en n’investissant pas ce champ du travail social n’ont pas permis de développer un travail social communautaire républicain, citoyen et solidaire. Les communautés, qui sont multiples, se sont quant à elles développées sans tenir compte de l’action sociale existante. Elles ont même développée leurs propres systèmes de solidarité entre leurs membres. Un lien étant rompu, certaines d’entre-elles ont construit leur légitimité en dehors du cadre républicain en posant leurs propres règles et leurs propres « lois ». Certaines communautés se sont vues investies par des personnes intégristes inscrites dans des logiques sectaires qui n’ont que faire des valeurs de la République perçues comme un corps étranger fort éloigné de leurs préoccupations. Pire même, les valeurs républicaines sont parfois identifiées comme un obstacle au développement de leur prosélytisme.
Pourtant les travailleurs sociaux ont investi cette question, notamment dans le cadre du Conseil supérieur du Travail Social qui a publié en octobre 2015 un avis à l’initiative du Vincent Meyer intitulé : « Développer les capacités d’action collective et le travail social communautaire« .
Aujourd’hui, il me semble nécessaire de rappeler combien le travail social communautaire républicain et citoyen est susceptible de proposer une véritable alternative au développement des communautés à tendances sectaires . Si cette vision peut paraître un peu réductrice, elle n’empêche pas de nous poser la question de savoir comment lutter de façon efficace pour la restauration du lien social dans notre pays à l’heure où les institutions représentant notre modèle de société sont constamment remises en cause et critiquées. La classe politique est particulièrement déconsidérée au point par exemple d’en oublier qu’il existe des élus honnêtes et désintéressés, soucieux du bien public et de l’intérêt collectif. Il en est de même pour les administrations et les associations inscrites dans une logique de mission de service public. Les services sociaux qui en font partie sont tout autant disqualifiés.
De nombreux jeunes mais aussi des adultes qui les encadrent ont un fort désir de trouver une place dans la société dans le respect de leurs différences et de leurs cultures. Pour autant nous continuons de ne pas les intégrer. Nous leur opposons leurs « échecs scolaires », leurs « in)capacités à s’intégrer alors qu’ils le souhaitent majoritairement. Ces jeunes sont des proies faciles pour les intégristes de toute nature notamment ceux qui sont issus de leurs propres communautés. La montée des extrêmes, de l’intolérance et du repli sur une identité qui protège du monde extérieur sont des ingrédients qui ne peuvent pas nous laisser indifférents.
Mais de quoi parlons nous exactement ? S’agit-il de travailler avec les communautés, ou d’agir pour développer les communautés ou enfin utiliser les ingrédients du fonctionnement communautaire pour permettre à des personnes isolées à se retrouver, défendre leurs intérêts et prendre place dans la société ? Nous n’agirons pas de la même façon selon la situation et le diagnostic posé.
En tout cas il s’agit aujourd’hui d’être clair sur les valeurs républicaines qui nous animent : L’universalisme républicain, couramment appelé pacte républicain en France, est un des principes fondamentaux qui même sérieusement « secoué » reste une valeur fondamentale pour le travail social. Il s’appuie sur le triptyque Liberté- Egalité – Fraternité.
Liberté : d’aller et venir, d’exprimer une opinion, de poser des actes dans le respect des lois en vigueur…
Egalité : pour les hommes et les femmes de vivre et de travailler ensemble sans discriminations. De disposer des mêmes services… notamment sociaux (entre autres…)
Fraternité : ce pour quoi agissent les travailleurs sociaux. La fraternité républicaine est bien dans l’idée que l’Etat ne laisse pas les plus faibles, les plus désaffiliés sans secours ni aide. Il s’agit d’agir avec eux comme s’ils étaient nos frères (ou nos sœurs) nous ne les abandonnons pas…
Aussi avons nous peut être quelques simples questions à nous poser avant d’intervenir dans le champs des communautés. Tous en respectant les différences et les cultures, ces communautés acceptent elles la mise en pratique des concepts de liberté, égalité et fraternité tels que précédemment définis ? Si oui pas de soucis. Si non, il y a un travail à engager pied à pied pour rappeler que dans notre pays ces valeurs ne sont pas négociables tout en prouvant qu’elles ne sont pas une menace mais plutôt une avancée
Un enjeu de citoyenneté
Le développement de l’Intervention sociale en direction des communautés est non seulement un enjeu professionnel mais aussi un enjeu de citoyenneté. Les mouvements d’éducation populaire sont nés à la fin du XIXème siècle en réponse à une situation dégradée pour la population victime de bouleversements sociaux. Ces mouvements se sont développés sur la base d’un projet porté par les valeurs de la laïcité et du service public. Aujourd’hui il peut être utile de se rappeler combien ces valeurs restent importantes. Nous pouvons les faire vivre en nous appuyant sur des pratiques collectives d’intervention sociale. A nous désormais d’agir afin de trouver des réponses qui permettent à tous de cultiver des liens de solidarité permettant d’envisager l’avenir sans crainte et sans exclusion.
(1) : Rappelons à ce sujet que le Conseil constitutionnel a censuré en 1991 l’article 1 de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, au motif que « la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Image : extrait du tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple » visible au musée du Louvre
contexte de ce tableau : il a été peint le 28 juillet 1830, à Paris, durant l’évènement historique des « Trois Glorieuses ». Les « 3 Glorieuses » sont les 3 jours d’insurrection des 27, 28 et 29 juillet 1830. Cette révolte armée est une réaction du peuple aux 4 ordonnances signées par Charles X le 25 juillet 1830 qui limitent les libertés: notamment, sa 1ère ordonnance, qui suspend la liberté de la presse et sa 3ème ordonnance qui réserve le droit de vote aux seuls riches propriétaires fonciers (souvent les partisans du roi), retirant ainsi le droit de vote aux commerçants et aux industriels. Il n’en faudra pas plus pour que l’émeute éclate.