Pour que l’informatique ne « rétrécisse » pas le travail social afin de « mieux gérer » la population …

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L’informatique a totalement pénétré le champ du travail social et les pratiques professionnelles. Au delà la question des fichiers, l’utilisation de la messagerie électronique par exemple modifie profondément les conditions mêmes de construction du travail. Il nous est demandé d’être plus réactifs et plus ciblés, comme si notre pratique professionnelle était archaïque et que les outils allaient en quelque sorte nous libérer des contraintes pour être plus efficace.

Cette logique procède d’une vision utilitariste du travail social, qui considérerait qu’il ne s’agit de gérer que du flux de population et d’apporter des réponses rapides et adaptées dans des domaines tels que la protection de l’enfance, la précarité et l’accès au logement. C’est un faux problème. J’ai toujours défendu l’idée que ce n’est pas l’outil qui fait la qualité du travail.

Pourquoi informatique et travail social ne font-ils a priori pas bon ménage ? dès le début de notre réflexion dans le cadre d’un groupe de travail de l’ANAS, le philosophe Miguel Benasayag avait indiqué quatre motifs à ce « mariage impossible ». Citons succinctement que, contrairement au travailleur social, l’outil informatique est incapable de gérer les zones d’incertitude, il ne sait pas prendre en compte la singularité d’une situation ; Il ne peut intégrer la complexité, enfin il ne permet pas ou peu d’éclairer  le contexte d’une situation.

Au final l’outil sait surtout, compter, classer, trier, et permettre une certaine organisation du « flux de l’information » C’est déjà beaucoup car il nous donne déjà à « mesurer » les charges de travail (sans en préciser l’intensité) le type de demandes qui sont formulées. Mais il accompagne surtout la mise en oeuvre des dispositifs qui sont certes nécessaires, mais particulièrement bureaucratiques au point que nombreux sont ceux qui renoncent à accéder à leurs droits… Mais parlons nous  de travail social ? Ne faudrait-il pas plutôt considérer qu’il s’agit désormais de gestion administrative de l’action sociale ?  (gestion de file d’attente)

Une fois ce constat établi, il est possible de  formuler plusieurs recommandations  :

Il convient d’abord de distinguer le champ de la gestion administrative de l’action sociale et le champ de l’intervention en travail social. Les dispositifs ne sont que des outils. Ainsi il s’agit de de distinguer le rapport écrit, qui relève de la bureautique, et la statistique traditionnelle, à laquelle se réfèrent légitimement les institutions. Enfin, nous insistons sur la nécessité de connaître et d’appliquer la loi. En effet, la loi informatique et libertés de 1978 et la loi du 6 août 2004 engagent la responsabilité des institutions et des professionnels en ce domaine et leur impose de protéger les informations qu’ils traitent.

D’après une expérimentation que j’avais conduite avec des équipes de travailleurs sociaux intervenant en polyvalence de secteur, il ressort qu’une certaine utilisation de l’informatique dès lors qu’elle est maîtrisée permet de clarifier les procédures mais aussi les compétences métier. Elle contribue à renforcer le travail en équipe et le travail collaboratif. Elle impose dans le même temps une grande vigilance sur les données nominatives. Elle permet une prise de distance notamment grâce à la production de statistiques qui reste souvent en manque d’analyse. Ainsi par exemple, si le comptage du nombre de rapports sociaux rédigés est engagé, le professionnel peut considérer que le travail pour éviter justement la production de rapport (recherches de solutions alternatives aux dispositifs) n’est pas reconnu comme du travail. Il y a là des risques de dérives.

En conclusion, il importe surtout pour les travailleurs sociaux de ne pas subir l’outil mais plutôt d’être en capacité de co-construire un outil informatique pertinent qui prenne sens pour eux, qui puisse répondre à la demande institutionnelle en prenant en compte la pratique professionnelle déjà existante, sans la détourner. Enfin nous n’oublierons pas d’informer correctement les personnes aidées sur leurs droits face à l’utilisation de cet outil qui n’est que ce que nous en faisons.

Licence Photo : PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Certains droits réservés par yohann.aberkane

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0 réponse

  1. Bonjour Mr Dubasque je suis moi aussi en formation ASS à l’ IRTS de Montrouge et mon mémoire est sur l’impact de l’informatique sur l’exercice de la profession d’AS. Est ce qu’il serait possible que nous échangions ensemble sur ce sujet? Voici mon adresse mail : moudilou.melodie@gmail.com

  2. Bonjour M. Dubasque, Je suis étudiante a l’IRTS Paris filière AS et je souhaite faire mon mémoire sur l’informatique et l’éthique pro des travailleurs sociaux.Est il possible que nous échangions des mails ? Je suis à la recherche de personnes pouvant m’aider pour ce projet de mémoire. Vous pouvez m’écrire : sophie.souvignet@hotmail.fr bien a vous Sophie

      1. Bonjour M. Dubasque,

        Je suis ravi de trouver des écrits réflexifs sur la présence de l’informatique dans le travail social, qui plus est, hors communications nationales officielles!
        Étudiant en DEASS à l’IRTS Montrouge, je suis un ancien informaticien en reconversion professionnelle et je souhaite réaliser mon mémoire sur l’utilisation de l’informatique PAR les usagers dans le travail social.
        J’aurai quelques demandes d’éclairage a vous faire concernant vos réflexions, pourrions-nous échanger par mail? Si c’est le cas, voici mes coordonnées: cyrilroger.pro@gmail.com

        En espérant vous lire prochainement,
        Cordialement,

        Cyril R

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