Il est possible dans certains métiers de travailler sans engager une part de soi-même. Mais est-ce le cas pour le travail social ? Personnellement je ne le crois pas. De nombreux métiers notamment de l’aide et du soin sont encore considérés comme « à vocation» (1). Ils laissent supposer qu’il faut avoir une appétence ou du moins un intérêt particulier pour pratiquer un type de métier. Ils ne seraient pas accessible à tout le monde. Si dans un premier temps il me paraît nécessaire de revenir sur certains concepts tel celui de l’engagement et du militantisme, je garde l’hypothèse qu’on ne peut être un professionnel travailleur social sans s’engager. S’engager auprès des personnes bien sûr mais aussi de ses collègues et de la profession à laquelle on fait partie.
Mal perçue la vocation est une forme d’inclination liée à des valeurs acquises au fil des ans et des expériences
La vocation est une forme d’appel : la racine de ce mot vient du latin (vocare, appeler). Elle a initialement désigné l’appel à s’engager dans une vie religieuse . Ce concept s’enracine dans la Bible. Il est corrélatif au thème de l’écoute. Aujourd’hui ce terme est utilisé dans un sens plus large pour désigner «l’appel» que peuvent ressentir des personnes au regard d’une mission particulière : humanitaire, professionnelle, spirituelle, mais aussi scientifique. Je reste réservé sur ce sens premier de la vocation : celui de l’appel. Le dictionnaire Le Larousse nous dit qu’il s’agit d’une « Inclination, un penchant particulier pour un certain genre de vie, un type d’activité ». Il me semble que cette inclination que l’on peut avoir pour pratiquer un métier d’aide ou de relation est lié à des valeurs que l’on a acquis au fil des ans et de ses rencontres.
L’engagement suppose des convictions profondes
L’engagement, au sens figuré est « la participation active, par une option conforme à ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps »(2). Il faut donc avoir des convictions profondes pour s’engager. Nous sommes nombreux a en avoir. Certaines d’entre elles sont partagées de façon professionnelle. La conviction est une croyance nécessaire pour être le moteur de l’action. Peut-on travailler sans aucune conviction ? Personnellement je ne le crois pas. Si c’est le cas, le manque de conviction peut produire une rapide usure professionnelle qui ne permet pas de « tenir bon» dans l’exercice du travail au quotidien. Mais attention trop de convictions déçues peuvent aussi provoquer stress et souffrance au travail.
Le militantisme : un engagement de combat
Le militantisme introduit une autre dimension de l’engagement : celle du combat. C’est la lutte « les armes à la main » au sens propre et au sens figuré. La racine de ce mot est la même que pour le mot militaire dont la mission est de combattre face à un ennemi. C’est pourquoi je suis parfois réticent à utiliser ce terme de militant même si je l’ai été par le passé. Il a du sens pour celles et ceux qui s’engagent professionnellement ou encore syndicalement et politiquement. Le militantisme est aussi à l’origine de belles avancées sociales. Et l’on peut dire que nos aînées, à l’origine de la profession d’assistante sociale notamment, ont été de grandes militantes. Elles se sont littéralement battues pour exister et pour promouvoir une profession qui n’allait pas de soi, elles se sont données corps et âme pour l’organiser et la faire reconnaître.
Pourtant je préfère parler d’engagement même au sujet des pionnières du service social tant il me paraît que l’engagement fait partie de la pratique du travail social. L’histoire même du service social s’appuie sur un fort engagement des pionnières, ces femmes qui ont presque tout donné pour créer et faire reconnaître une profession et des services autonomes, portés par des valeurs, avec un soucis d’indépendance vis à vis de tous les pouvoirs, qu’ils soient politiques, administratifs, médicaux ou encore juridiques.
L’engagement fait partie de l’ADN de la profession d’assistant.e de service social
Dans un ouvrage emblématique paru en 1980. Yvonne Kniebiehler (3) universitaire, chercheuse, et féministe a présenté les témoignages des toutes ces femmes qui se sont battues contre vents et marées pour que le service social existe, pour qu’il devienne une profession et qu’il apporte de réels progrès aux conditions de vie de la population. On ne peut que se sentir tout petit face aux témoignages recueillis. Ces femmes ont fait le choix de donner leur temps, leur énergie et le meilleur d’elle-même dans la plus pure tradition d’une militance et d’un engagement total. Tout cela pour la promotion d’une profession, la défense de valeurs et de pratiques professionnelles cohérentes avec les idées qu’elles défendaient.
Il s’agissait aussi pour certaines de s’engager auprès des plus exclus fort peu considérés à l’époque. Cet ouvrage qui malheureusement est épuisé, rengorge de témoignages qui nous montrent que la profession d’assistante sociale n’a pu exister que parce que des femmes se sont mobilisées et ont en quelque sorte su imposer leur point de vue aux hommes qui, à l’époque, possédaient tous les pouvoirs. Les femmes n’avaient pas le droit de vote, elles ne pouvaient pas prendre de décision sans l’aval de leur mari et l’accès à l’emploi était conditionné à leur situation sociale. Le moindre engagement de leur part hors les œuvres de charité, était suspect et très mal accepté. Elles ont su avec une grande habileté et détermination imposer leur point de vue et créer un espace professionnel autonome dont nous sommes les héritiers.
Ne l’oublions pas.
Vous pouvez si vous souhaitez aller plus loin sur ce sujet lire l’article d’ Henri Pascal et Paul Allard intitulé « Les apports d’Yvonne Knibiehler à l’histoire du travail social« .
(1) Lire à ce sujet l’article de Christian Chevandier “la vocation professionnelle : un concept efficient pour le XXème siècle ?” paru en 2009 dans les annales de Bretagne et pays de l’ouest. https://journals.openedition.org/abpo/499
(2) Extrait de la définition donnée par le Centre National de ressources textuelles et lexicales www.cnrtl.fr
(3) KNIEBIEHLER Yvonne « Nous les assistantes sociales, naissance d’une profession » Edition Aubier, collection historique, 4ème trimestre 1980
Note : j’avais publié initialement cet article en novembre 2018
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