Comment de renforcer les protections juridiques des publics fragiles ? Le rapport de la mission interministérielle issue des états généraux de la maltraitance vient d’être publié; Il cherche à répondre à cette question essentielle. Piloté par Anne Caron-Deglise, avocate générale à la Cour de cassation, il s’inscrit dans un vaste chantier qui a pour ambition de faire enfin de la lutte contre la maltraitance une priorité de l’action publique. Il s’agit.
L’organisation mondiale de la santé avait communiqué en juin 2022 des éléments sur la maltraitance envers les personnes âgées. Elle confirme l’ampleur des atteintes graves, et souvent répétées, aux droits et à la dignité des personnes. Plus précisément, il est mentionné qu’une personne sur six de plus de 60 ans a été victime dans l’année d’une forme de maltraitance dans son environnement familier. Encore plus inquiétant, deux professionnels sur trois en institution reconnaissent avoir commis un acte de maltraitance dans l’année.
Ces chiffres ont de quoi nous interroger. Ceci d’autant plus que la population est vieillissante et que les établissements de soins et d’hébergement font l’objet de crises systémiques. Le groupe de travail s’accorde à considérer qu’il n’est pas absurde de dire que ce qui est observé pour les personnes âgées est transposable à l’ensemble de la population particulièrement vulnérable. Cela s’explique parce qu’elle est dépendante des interventions d’autrui.
Que propose ce plan ?
Il vise à renforcer la coopération entre les différents acteurs de la protection des majeurs, en prônant une approche pluridisciplinaire et une coordination nationale. Il souhaite préciser les obligations des acteurs en termes de prévention et d’alerte, ainsi que clarifier quelles informations devraient être partagées dans le respect du secret professionnel et de la confidentialité.
Le rapport insiste sur l’importance de conduire des évaluations globales des situations de vulnérabilité. Cette évaluation, fondée sur un concept multidimensionnel et pluri-professionnel, aurait pour but d’apprécier les capacités d’autodétermination, les capacités fonctionnelles non pas seulement en évaluant les déficiences de la personne concernée, mais aussi ses ressources internes et externes .
Une autre proposition phares vise à élaborer une définition claire de ce qu’est la « personne de confiance ». Le mandat de protection future serait aussi renforcé, notamment par la création d’un répertoire civil unique, national et dématérialisé.
Les abus financiers sont particulièrement ciblés dans ce rapport, avec la proposition de renforcer les dispositifs juridiques de prévention. Il s’agit de définir des processus et des critères de vigilance pour prévenir les abus, notamment en matière de transactions financières et de gestion des comptes.
Il est aussi préconisé une approche plus rigoureuse en matière de gestion des procurations. Il demande, entre autres, leur renouvellement périodique. Les établissements bancaires seraient aussi tenus de créer des outils adaptés pour soutenir l’autonomie des personnes protégées.
Enfin, le plan prévoit la mise en place d’un système de partage d’informations et de signalement des maltraitances. Cela en collaboration avec tous les acteurs concernés. Une réflexion sur les contours du secret professionnel et des informations à caractère secret sera également menée.
Le document met en lumière le besoin de dépasser le clivage induit par des dispositifs juridiques et d’action publique cloisonnés. Il propose de construire un prisme d’action commun, avec des degrés d’intervention en fonction d’outils partagés respectant les spécificités propres à la plupart des champs d’intervention. On retrouve là des aspects similaires à ceux relatifs à la protection de l’enfance.
Pour améliorer encore les dispositifs et construire une politique publique, le groupe de travail considère qu’il est indispensable de doter la stratégie de prévention et de lutte contre les maltraitances de données fiables. Dans ce sens, il est demandé la publication annuelle des données des directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale et de la justice sur les abus de faiblesse et les atteintes portées aux personnes vulnérables. La création d’un observatoire national, serait aussi une grande avancée. Enfin, pour sécuriser les évolutions possibles, la création d’un répertoire unique, national et dématérialisé deviendrait indispensable.
Avec quels moyens ?
Reste à connaître aussi les moyens financiers alloués pour concrétiser ce plan d’action issu des recommandations. Comme toujours, c’est là que le bât blesse. En effet, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023, aucune enveloppe spécifique n’a été annoncée sur ce sujet. Les acteurs du secteur devront scruter donc avec attention les annonces concrètes d’engagement pour s’assurer que ces dispositions se traduisent en actes.
Comme pour de multiples autres rapports, il reste désormais à traduire ces préconisations en actes. Il faut espérer que ce travail marquera un tournant décisif dans la protection de nos aînés et des personnes en situation de handicap. Malgré l’engagement de nombreux départements, ils ont été trop longtemps laissés seuls, sans défense face à des pratiques intolérables avec de réelles atteintes à leur dignité.
Le changement de gouvernement va-t-il permettre de mettre en œuvre rapidement la feuille de route de ce rapport ? C’est à espérer. Et comme me disait ma collègue, l’espoir fait vivre, mais ne résout en rien les difficultés.
- Lire le rapport de mission interministérielle « Penser les protections juridique et sociale à partir des droits des personnes les plus vulnérables à être entendues et soutenues dans une société solidaire.
- Voir les résultats de l’enquête du CREDOC sur la perception des maltraitances par les Français
Remerciements au groupe de travail composé de Valérie Cérase, David Cleuziou, Olivier Drunat, Dany Enders, Philippe Goubet, Fabrice Gzil,
Amélie Kamennoff, Karine Lefeuvre, Joëlle Martinaux, Sylvie Moisdon-Chataigner, Gilles Raoul-Cormeil, avec la participation de la DGCS et de la CNSA
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