Le webinaire national des instances éthiques locales organisé par le Haut Conseil du Travail Social a donné la parole à plusieurs professionnels de terrain ainsi qu’à des personnes accompagnées. Cet article se propose de rendre compte et de revenir sur plusieurs arguments et témoignages apportés par différents intervenants à ce temps d’échange en ligne.
Anne DEPINOY (Comité Départemental Consultatif de Veille Éthique et Déontologique du Département du Nord) a rappelé en préalable de que la démarche éthique et la réflexion déontologique se doit d’être vivante, toujours en mouvement. Cette réflexion éthique est portée institutionnellement dans son département. Aujourd’hui, il est prévu la mise en chantier d’ateliers éthiques de façon décentralisée au plus près du terrain. Le projet se construit avec les personnes concernées, les travailleurs sociaux, au fil des besoins ; Elle a rappelé que l’action sociale est au cœur des évolutions sociétales, numériques, sanitaires. Pour elle, Il est absolument nécessaire que les professionnels puissent prendre du recul et ne pas rester isolés. Il s’agit de réfléchir ensemble au cœur de la pratique professionnelle dans des situations très concrètes. Chaque année 7 à 10 questions sont traitées. Les réflexions ont porté sur la situation des assistantes familiales, les usages des réseaux sociaux, le partage d’informations, les usages du smartphone professionnel… ( contact : veille-ethique@nord.fr )
Isabelle NEAU (espace éthique et CLTSDS) a présenté la pratique de l’Espace Éthique Départemental de Loire Atlantique. Il a été créé en 2018, avec un portage politique fort, dans le cadre de la rénovation de l’action sociale de proximité. 23 membres y participent issus de différents métiers et institutions (travailleurs sociaux et cadres du Département et partenaires associatifs et institutionnels, 5 personnes accompagnées, 1 juriste, 1 philosophe-personne qualifiée. Chaque séance (5 journées en 2 ans) produit des éclairages, points de vue à partir d’une saisine : Il s’agit d’abord de « décortiquer » ensemble la question poser en auditionnant de la personne à l’origine de la saisine. Il est ensuite choisi un axe particulier. Il est fait appel à la technique du Cercle Samoan pour le partage de la parole et une bonne écoute de chacun. Quelque éclairages : Recueil et transmission d’informations ; protéger sans nuire à la relation de confiance (VIF) ; respect de l’autonomie (refus d’un accompagnement par une PA) ; vécu de la crise en 2020. C’est une instance vivante, un effort vise à la rendre plus lisible et à l’intégrer dans les pratiques des professionnels. Pour autant les travailleurs sociaux sont pris dans la gestion de l’urgence, ne prennent pas toujours le temps de se poser pour se questionner sur leurs pratiques.
Lydie RAMET, s’exprimera sur la place des personnes accompagnées au sein d’une instance éthique en l’occurence celle du Département de Loire-Atlantique. « Cela permet « d’agiter les neurones », se poser des questions bien différentes du quotidien, ça fait du bien. Mais il y a un besoin de se faire connaitre auprès des professionnels, de faire sa place en tant que personne accompagnée.
Jacques VUAILLAT anime lui le Groupe de Réflexion Éthico-Juridique de la Sauvegarde 69 (GREJ) qui intervient dans le domaine de la protection de l’enfance et du secteur médico-social pour enfants et adultes. Le groupe est ouvert aux partenaires, depuis 1995 avec la production d’avis et recommandations. Il fait ce constat : les instances éthiques ont été rarement sollicitées, comme bon nombre d’autres comités éthiques depuis un an. Pourquoi aussi peu de demandes ? manque de temps, charge de travail, hiérarchie démotivante, espace de réflexion de plus en plus restreint pour les professionnels. D’où la diffusion des 9 productions pour promouvoir et faire connaitre le GREJ. Désormais les productions du GREJ sont accessibles en ligne pour tous : https://www.sauvegarde69.fr/ressources/le-grej/ Mais il y a peu de retours sur les consultations
Que retenir ? le questionnement éthique est intrinsèque aux métiers du travail social, mais il reste difficile de se dégager du temps pour se poser et pour y réfléchir.
Table ronde : Quelle pratique éthique aujourd’hui ?
Grégory AIGUIER, grand témoin, Docteur en sciences médicales, Maître de conférences au sein du Centre d’Éthique Médicale unité de recherche labellisée et pluridisciplinaire de l’Université Catholique de Lille : il accompagne les structures dans la mise en place de la réflexion éthique en leur sein. Il a réalisé une cartographie et analyse des formes de la pratique éthique. Nous vivons dans un contexte d’incertitudes, de transformations du Monde, mais aussi du secteur social qui vit un changement de paradigmes (auto-détermination-autonomie/versus : hétéro-régulation des pratiques). Pour Grégory Aiguier, les formes classiques de régulation des pratiques (tout juridique, démarche qualité santé) ont trouvé leurs limites. Il y a un besoin de redéfinir des finalités et modalités d’intervention. Il rappelle que l’éthique n’est pas une discipline. Cette visée du bien agir est aussi une question collective posée à tout citoyen.
Mais il faut comprendre qu’il existe plusieurs conceptions de la pensée éthique :
– Normatives avec comités d’éthique avec fonction de rédiger des recommandations à partir de valeurs, de pratiques, ..)
– Réflexives, au plus près de la pratique, forme d’accompagnement permettant de prendre du recul, éthique des pratiques, approche centrée sur les professionnels leur capacité d’intégrer cette réflexion éthique dans leurs pratiques- compétence éthique
– Pragmatique, au sens philosophique qui questionne l’organisation ; construction d’une culture au sein de la structure, éthique, mode de gouvernance réflexive et inclusive sans prédétermination. Voir ensemble tous les acteurs concernés la façon de traiter ensemble un problème
Il conclut son en rappelant notamment la définition de la visée éthique selon Paul Ricœur : « Une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes »
Christine NIEUWJAER (CN Ressources Déontologie Éthique) Organe associatif lié à une production déontologique indépendante :
Le secteur associatif est très productif en termes de questions, avis et productions éthiques. Quelle visibilité a-t-il ?
Elle apporte deux exemples :
- Le GAPAS- Hauts de France : c’est l’appropriation des bonnes pratiques associant l’ensemble des acteurs : personnes accompagnées, Travailleurs sociaux, cadres et directions ; Il a été prévu une formation pour une éthique incarnée avec un travail sur le socle éthique dans le projet associatif, demandé par les personnes
concernées. Le questionnement éthique se situe aussi dans la congruence, la complexité, la multiplicité des acteurs. - Le CNRDE : qui voit en son sein plusieurs structures et le CNADE qui fait appel dans sa réflexion à des situations singulières pour ensuite reformuler une question et mettre en débat les points de tension afin de produire un avis de portée générale.
Comme cela a été indiqué précédemment par les autres intervenants, Christine Nieuwjaer constate elle aussi une nette diminution des questions éthiques actuellement posées aux instances constituées.
Christine CAZAUX (ANAS) : Membre de la commission déontologie à l’origine productrice du code de déontologie des assistant(e)s de service social. Elle décline la méthode de travail et d’analyse de la situation dans une association professionnelle. La Revue Française de Service Social a publié un numéro complet (n°276) intitulé « Déontologie et éthique en service social : donner du sens à l’action ». Les questions à la commission Déontologie de l’ANAS fait l’objet d’un examen collectif mais il se traduit par un ou plusieurs contacts avec la personne à l’origine de la question pour mieux appréhender la problématique posée. L’association a élaboré un « Déontomètre » qui peut, au fil des questions posées, utilement aider le professionnel à cerner la place accordée à la déontologie, au quotidien, dans la pratique professionnelle de chacun.
Ferdinand NJOH NJOH (CNPA), membre Commission Ethique du HCTS au titre du collège des personnes accompagnées. Les droits et place des Personnes Accueillies dans les institutions sont reconnus avec leur participation permettant de donner un avis sur l’accueil l’accompagnement proposés, sur les problématiques inhérentes autour de l’accueil et de l’accompagnement. Il est important qu’il soit possible de faire connaitre les conditions de vie au sein des établissements. Les personnes accueillies apportent les témoignages de leur expérience du vécu, propositions en vue d’améliorer les politiques publiques les concernant. Il insiste sur le respect du cadre législatif pour les établissements : la loi 2002 traite de la « participation des usagers », le terme « usager » reste pour lui stigmatisant. Au cœur de la loi il y a la promotion des droits des personnes accompagnées : respect de la dignité, intimité, vie privée, accompagnement individualisé, l’information des démarches administratives, droits de recours,
consentement éclairé.
Ferdinand Njoh Njoh participe à plusieurs instances : Conseil de la Vie Sociale, Conseils National et Régionaux des Personnes Accueillies et/ou Accompagnées (CRPA, CNPA). Ces structures sont représentées dans différentes instances nationales tel le HCTS ou le CNLE. Il rappelle aussi que les personnes accompagnées sont invités à participer à la formation initiale des travailleurs sociaux. Le Code de l’Action Sociale et de la Famille leur reconnait l’expérience du vécu, sa conceptualiser pour devenir un savoir, associé aux savoirs universitaires, académiques, pratiques. Ce savoir d’expérience doit être pris en compte dans les modules de formation.
Quelques idées issues des échanges. Il n’est pas facile d’impulser la création de nouvelles instances ? Ce sont parfois des espaces informels. Il serait utile de se référer aux comités éthiques régionaux comme par exemple celui du Grand Est. Une cartographie des instances éthiques est difficile à établir, selon les mouvements et la vie des comités dans les institutions. Certaines disparaissent d’autres apparaissent, rien n’est jamais acquis. Or la pratique de réflexion éthique doit s’inscrire durablement dans les institutions, dans le mode de gouvernance pour ne pas être qu’une bulle d’oxygène. Elle doit aussi intégrer la participaton des personnes.
Note : Ce compte rendu n’a été possible que grâce à la prise de notes de Christine Bailly du Conseil Départemental des Vosges. Un grand merci à elle !