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Paroles sans filtres : quand les personnes accompagnées nous disent ce qu’elles pensent…

C’est un document instructif que nous propose le Conseil National des Personnes Accueillies et accompagnées (CNPA). Il s’intitule « Paroles sans filtres ». Ce sont des constats et des propositions issus de personnes qui vivent la précarité. Elles ont beaucoup à dire sur les politiques qui les concernent. Et contrairement à ce que l’on peut penser, nombre d’entre elles ont tout à fait conscience de la façon dont chacun s’intéresse (ou pas)  à leur situation.

« On a des choses à dire »

« Nous, personnes concernées, souhaitons faire entendre notre colère. Colère face à l’opacité des dispositifs d’insertion, face à la vacance des logements, face à la dégradation drastique des conditions de travail des professionnels de l’action sociale. Nous, personnes concernées qui vous présentons aujourd’hui notre travail, voulons faire part de la généralisation du sentiment de dévalorisation chez nos pairs. »

Ce plaidoyer est conséquent tant les constats sont nombreux. Le document d’une vingtaine de pages est en quelque sorte une compilation de quatre ans de témoignages et préconisations à travers les assemblées plénières des Conseils de Personnes Accueillies et/ou Accompagnées de toute la France. Il est le fruit d’une construction participative. C’est ce qui lui donne pour une grande part sa valeur. En voici quelques extraits choisis

Comment pouvez-vous comprendre notre vie si vous la regardez de votre bureau ?

En mars 2019, au Conseil Économique, Social et Environnemental, le Grand Débat des Personnes Vulnérables avait parfaitement résumé la situation. Il avait suggéré la mise en place d’un « Stage de pauvreté », à destination des hauts fonctionnaires, travailleurs sociaux, directeurs d’établissements et des élus.

Est-ce normal de devoir appeler le 115 tous les jours, voire plusieurs fois par jour juste pour avoir quelqu’un à l’autre bout du fil ? Que, lorsqu’on parvient à avoir quelqu’un, l’accueil soit désagréable et stressant ? Est-ce normal que nous n’ayons jamais d’autre interlocuteur qu’une voix au bout du téléphone ? Que nous ne soyons que des dossiers, enregistrés quelque part sur un ordinateur ? 

Nous voyons les professionnels débordés, toujours moins nombreux. Nous voyons les maraudes qui se chevauchent, les maraudes absentes, les heures passées au téléphone. Nous vous posons la question : est-ce normal ?

« En revanche, nous voyons, dans certains départements, des personnes sans domicile obligées de rédiger des lettres de motivation pour entrer dans un hébergement. Nous vous demandons : est-ce normal ? …/… Y a ce regard qui pèse sur vous quand on est pauvre.

Nous ne voulons plus de dossiers complexes, multiples, aux questions intrusives. Il faut que « les procédures prennent en compte nos
conditions physiques et psychologiques, ainsi que nos souhaits dans les propositions qui nous sont faites… Il faut recentrer le SIAO sur l’accès au logement. Tout simplement.

Un jour j’ai entendu…

Les témoignages sont nombreux et il est impossible de tous les résumer ici. Une page attire aussi l’attention : elle s’intiture « Un jour j’ai entendu… » C’est une sélection de verbatims exprimés par les participants des réunions plénières du CNPA et des CRPA durant ces cinq dernières années. Dans ces réunions se disent souvent ce que les institutions notamment ceux qui les animent, n’aiment pas trop entendre. Car il y a d’un côté les intentions et de l’autre des réalités passées « sous le tapis ». Là aussi en voici quelques extraits :

« Dans le centre où j’étais, ils coupaient la télévision à 22h. La cause évoquée étant : «Vous êtes dans un CHRS, ça veut Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, donc il faut être en forme pour aller chercher du travail demain».

Au début de mon hébergement, on m’a posé une foule de questions qui n’ont rien n’a à voir : «Avez-vous fait de la prison ?», «Êtes-vous homosexuel ?», «Pourquoi au lieu de venir ici ne retournez-vous pas dans la famille?»

« Vive la réinsertion sociale, quand on me met à la rue tous les jours week-ends compris, de 9h à 19h » .

« Le truc sur les femmes SDF, vous voyez, moi j’ai vécu dehors et j’ai jamais baissé les bras. J’étais pas échevelée, j’avais pas l’air de je-sais-pas-quoi. Je me lavais tous les jours, aux douches municipales, j’étais toujours impeccable. […] Les femmes dehors sont beaucoup plus fortes que beaucoup d’hommes. Il faudrait qu’on arrête de mettre une image de la femme SDF qui se laisse glisser. C’est pas vrai, on n’est pas comme ça. J’ai encore des copines qui sont dehors, et quand vous les voyez, vous pouvez pas imaginer qu’elles sont SDF. Et ça m’a porté préjudice parce qu’on croyait pas que j’étais SDF. J’ai vécu un an et demi dans un parking, un printemps, un été, un automne, un hiver, un printemps, un été… »

« Vivre du RSA, d’air pur et d’eau fraîche ».

De nombreux autres points sont abordés. Outre les dysfonctionnements liés aux dispositifs (DALO, 115 etc.) il est aussi fait part des difficultés des personnes sans domicile fixe et de leurs singularités ou du moins des situations particulières dans lesquelles ils ou elles se trouvent (femmes, enfants, étrangers et sortants de prison… ).

Le document rappelle aussi les 7 droits fondamentaux des usagers, reprécisés par la loi n°2002-2, art. L 311-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles. Rapidement cités ce sont :

  1. Le respect de la dignité, intégrité, vie privée, de l’intimité et de la sécurité.
  2. Le libre-choix entre les prestations domicile/établissement.
  3. La prise en charge ou l’accompagnement individualisé et de qualité, respectant un consentement éclairé.
  4. La confidentialité des données qui concernent la personne (l’usager).
  5. L’accès à l’information.
  6. L’information sur les droits fondamentaux et les voies de recours en cas de refus ou de désaccord
  7. La participation directe de la personne au projet d’accueil et d’accompagnement qui la concerne

 

À l’anniversaire des 20 ans de la loi 2002-2, ne peut-on pas enfin passer à l’action ? demandent les membre des CRPA/CNPA. Ce document a aussi pour intérêt de nous donner des chiffres parfois un peu oubliés qui montrent pourtant l’ampleur des difficultés :

  • 643.000 personnes sont en hébergement contraint chez des tiers. (Données issues du Rapport 2021 sur le mal-logement, publié par la Fondation Abbé Pierre (FAP)
  • En 2021, 1 million 68.000 personnes sont privées de logement personnel, dont : 300.000 personnes sont sans domicile, 100.000 personnes dans des habitations de fortune, 25.000 personnes dont la résidence principale est en chambre d’hôtel.
  • 2 français sur 10 exclus de l’Internet : Alors que communiquer via Internet paraît quasi-incontournable dans le monde professionnel et
    personnel, un peu plus de 21% de la population ne disposait pas de cette capacité en 2019. (données issues du rapport n°1780 de l’INSEE, 2019)
  • 623 personnes sont mortes à la rue en 2021 (données Collectif Les morts de la rue).
  • 146 enfants sont nés dans la rue à Paris en 2019 (données recueillies par le Centre d’Action Sociale Protestant).

 

Tout cela est un rappel salutaire qui nous invite à réfléchir sur le comment agir en tant que travailleur social et comment se fixer des priorités à partir de la parole donnée.

 

 

L’image de présentation est une des réalisations graphiques du Studio Big Bang : bonjour@studiobigbang.fr

 

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