De « l’enfant de personne » à « l’éduc de personne »…

Le poignant téléfilm « Enfant de personne », diffusé le 15 novembre dernier sur France 2, a beaucoup ému et pas seulement les professionnels. Le parcours de Lyes Louffok additionne le pire de ce que la protection de l’enfance peut produire explique Jacques Trémintin (l’histoire de Lyes est assez singulière, concentrant tous les dysfonctionnements sur un seul enfant) mais précise Jacques « pour une fois, les éducateurs n’y sont pas malmenés, même si l’un d’entre eux, sans formation montre une image particulièrement malfaisante de la profession. En fait, ils sont décrits, tentant de faire au mieux, comme ils peuvent, avec les « moyens du bord ». Les familles d’accueil apparaissent dans la plus désastreuse, comme dans la meilleure des représentations. » écrit-il.

Mon ami Yves Faucoup a publié de son côté une analyse très détaillée de ce film et du débat qui s’en est ensuivi. Il note à juste titre que, cette fois-ci,  Lyes Louffok s’est fait le défenseur des travailleurs sociaux et ceci fort heureusement, car souligne-t-il  « scandale habituel », les éducateurs [et assistants sociaux] n’étaient pas représentés sur le plateau. Il précise aussi que Lyès est éducateur spécialisé, alors même qu’il n’est pas sur ce plateau à ce titre. Il évoque la souffrance des professionnels (« autant maltraités »), déroulant leurs revendications pour pouvoir mener à bien leurs missions, dénonçant le fait qu’ils et elles ont été exclus du Ségur, et appelant à la grande manifestation prévue le 7 décembre pour défendre les conditions de travail.

Autre analyse un peu différente au sujet de ce film et du débat, celle de Vince « l’éducateur spécial lisez » : celui qui manie un humour ravageur sur les réseaux sociaux garde tout son sérieux dans cette analyse que je vous invite à découvrir :

Mais revenons aux témoignages d’anciens enfants placés. Lyès Louffok n’est pas le seul à prendre la parole. La différence est qu’il est médiatisé alors que d’autres restent dans l’ombre même quand ils écrivent des livres tel Roundo Haag. Lui aussi ancien enfant placé. Lui aussi est devenu éducateur. Lui aussi est l’auteur d’un livre (le murmure des démons) et lui aussi tente d’expliquer la situation de l’ASE.

Son propos est poignant et son hommage aux professionnels appuyé. Un complément utile et nécessaire précise Jacques Trémintin

N’oublions pas non plus le travail de Gautier Arnaud-Melchiorre. Cet étudiant de 26 ans est un ancien enfant placé. Recueilli à la pouponnière de la maternité régionale de Nancy en 1995, Gautier Arnaud-Melchiorre a connu foyers et familles d’accueil. Mandaté par Adrien Taquet pour un rapport sur l’aide à l’enfance,  Il a recueilli la parole de 1 500 jeunes en foyer ou en famille d’accueil a remis récemment son rapport au secrétaire d’État à l’Enfance. Voici son propos alors qu’il est interrogé sur France Infos :

L’éduc de personne…

Le système médiatique semble progressivement évoluer. Même si l’aide sociale à l’enfance continue d’être présentée fréquemment de façon très négative, la maltraitance que subissent les travailleurs sociaux de l’ASE commence à être reconnue. Je repense à une collègue effondrée un soir après une journée particulièrement éprouvante. Elle m’avait expliqué qu’à l’ASE « quoi que l’on fasse, on a tort et on est « les fautifs ». C’est insupportable, me disait-elle. Elle a bien raison encore aujourd’hui.

Les éducateurs de protection de l’enfance sont en permanence sous pression. Non seulement parce que leurs effectifs sont insuffisants, mais aussi parce que leur avis est souvent mal pris en compte. Ils ont des convictions qui sont régulièrement mises à mal, car ils sont positionnés dans des missions qui ne leur permettent plus de passer du temps avec l’enfant et la famille. Ils n’interviennent désormais que quand tout va mal. Ils passent de crises en crises sans avoir les moyens de les résoudre. Or, construire une relation éducative est possible à la condition de passer aussi de « bons » moments avec le jeune. Pour mieux le comprendre, pour s’intéresser à lui pour ce qu’il est et non ce qu’il a fait.

Autre exemple qui les désespère. Ils passent beaucoup de temps dans les déplacements, les audiences, et sont souvent utilisés dans une logique de surveillance lors des visites médiatisées qui se sont multipliées au fil des années.

Sont-ils vraiment écoutés ? Je ne le crois pas. Ils ne représentent pas une force organisée ni coordonnée auprès des pouvoirs publics, mais aussi des employeurs. Ce manque de représentativité leur est très dommageable.

Finalement ils sont en permanence sous prescription. Entendez par là qu’il leur est demandé de pratiquer différemment au nom d’une meilleure efficacité. Il leur faut désormais devenir des référents de l’enfant, coordonner les intervenants qui se multiplient, construire un projet pour l’enfant avec la famille. Pourquoi pas direz-vous ? Mais quand on travaille dans du temps contraint et que l’on se désespère de ne pas en disposer pour être avec les enfants et les familles, comment en ajouter une couche supplémentaire à travers une bureaucratie administrative qui demande de plus en plus d’écrits ?

Non vraiment, il n’y a pas que l’enfant de personne qu’il faut écouter et comprendre. Les éducateurs aussi. Ce sont des éducs de personne, entendez par là que personne ne s’intéresse vraiment à eux, ce qu’ils font, pourquoi et comment ils agissent et ce qu’il serait utile de faire pour qu’ils soient écoutés et reconnus dans leurs compétences.

Ne vous étonnez pas alors que plus personne ou presque ne souhaite travailler à l’ASE et que les recrutements deviennent aussi difficile que pour les personnels soignants. Quand on est l’éduc de personne, il y a là une bonne raison d’aller voir ailleurs ne serait-ce que pour devenir l’éduc de quelqu’un.

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