« Quand des enfants ont accès à des images pornographiques, on parle de viol psychologique ». C’est ce qu’a récemment déclaré la secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel invitée par France Inter. Les enfants « découvrent des choses à des âges inadaptés et ils ont derrière des troubles » comme « des troubles du sommeil, des troubles du comportement, des troubles de la sexualité », ajoute-t-elle. Mais il n’y a pas que cela.
Thomas Rohmer, de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) nous avait alerté depuis longtemps sur ce sujet. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises et nous avions échangé sur la violence des images et vidéos pornos avec leurs conséquences sur la construction de la personnalité et de la future sexualité des enfants. Pourtant, l’article 227-24 du code pénal existe bel et bien. Il interdit clairement de diffuser de la pornographie auprès des mineurs, mais il reste lettre morte. Les sites continuent de cibler les plus jeunes. Les responsables de l’Open constatent désormais que l’âge du premier visionnage de film porno se situe désomais aux alentours de l’âge de 11 ans.
Des accès aux images et aux vidéos facilités par l’usage des smartphones
« Il est plus facile d’aller voir des vidéos pornographiques que de s’inscrire sur Facebook » explique Anne De Labouret, auteure avec Christophe Butstraen du livre « Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse« . Le porno ne doit pas être le premier éducateur de votre enfant à la sexualité, or c’est souvent le cas. L’ouvrage explique la nature addictive et les stéréotypes sexistes et violents portés par la pornographie : soumission de la femme, exigence de performance, culte du corps, absence de consentement, relations incestueuses au sein des familles…
C’est la sexualité épanouissante qui est menacée. C’est aussi la logique du consentement et le respect de la pudeur propre à chacun qui n’existe plus. C’est pourquoi ce livre montre l’importance d’ouvrir le dialogue avec les enfants et adolescents. Le visionnage répété de scènes pornographiques a des effets potentiellement dévastateurs sur les jeunes. « La plupart des experts soulignent que la sexualité associée à la consommation des vidéos est déconnectée le plus souvent de tout sentiment affectif », précise l’Académie de Médecine qui a publié un rapport sur ce sujet le 24 janvier dernier.
Les études tant quantitatives que qualitatives convergent pour dire que la pornographie a une influence sur la manière avec laquelle les jeunes vont appréhender leur sexualité et celle de leurs pairs. « Les croyances sont aussi modifiées. La pornographie dans son immense majorité promeut de forts stéréotypes de genre contribuant à montrer la femme comme un objet
sexuel, croyance fréquente chez les garçons consommateurs. De manière générale, elle contribue à une vision du monde moins progressiste en termes d’égalité de genre : l’homme y est volontiers dominant, la femme soumise.
Le gouvernement en a parlé récemment. Il souhaite mettre en place un système qui limite l’accès des mineurs en mettant en place une attestation numérique. La France va tenter d’imposer un dispositif de certification de l’âge afin de bloquer l’accès de ces sites aux mineurs, a annoncé dans Le Parisien Jean-Noël Barrot Le ministre délégué chargé du Numérique.
Contrôler et limiter ne règle pas le problème de fond
L’histoire montre qu’il existe toujours des possibilités de contourner les contrôles et les interdictions. Si ce sujet reste un tabou au sein des familles, nul doute que les ados trouveront des moyens leur permettant de visionner ce que les autorités tentent de les empêcher de voir.
La moitié des adolescents de 15 à 17 ans déclare avoir déjà surfé sur des sites pornographiques, contre 37% en 2013 selon un sondage de l’IFOP publié en mars 2017 pour l’Observatoire de la Parentalité & de l’Éducation Numérique (OPEN). C’est principalement à l’occasion de l’apparition de fenêtres de publicités qui surgissent quand on consulte des sites illégaux de streaming ou de téléchargements de films ou de séries. 72% des expositions d’enfants à la pornographie sont accidentelles selon l’association Ennocence.
Il est courant désormais que des informations préoccupantes signalées dans le cadre de la protection de l’enfance portent sur des situations d’enfants qui miment des actes sexuels ou tentent de les reproduire en utilisant parfois un langage « ordurier ». D’autres témoignent de leur accès à des vidéos pornographiques à la maison et mettent en cause la responsabilité de leurs parents sans vouloir pour autant les dénoncer.
Une réalité trop peu abordée par les parents
De nombreux parents se sentent impuissants et sont tout autant gênés d’aborder ce sujet. Pourtant, cela est devenu nécessaire. Mais ils ne savent pas comment réagir, ni même prendre l’initiative d’une discussion susceptible de provoquer, sinon un déni, du moins la colère de l’ado qui se sent accusé et atteint dans son intimité.
Il n’y a pas de recette miracle. Il est difficile pour des parents et des éducateurs d’aborder ce sujet sans risque d’incompréhension. Pourtant, seul le dialogue avec le jeune permet d’apporter une réponse qui peut à terme être efficace. Pour cela, il faut que les parents et les adultes ne soient pas eux même dans le déni de cette réalité et du risque. Il leur faut pouvoir se saisir de ce sujet à bon escient, sans moralisation, mais avec réalisme. Cela est possible, mais pas évident.
Prévenir vaut mieux que guérir et pour cela, il faut pouvoir expliquer à l’enfant qu’il risque d’être confronté à des images choquantes, voire dégradantes et qu’il ne faut pas qu’il hésite à en parler. Il y a une contradiction entre la pudeur de l’enfant et l’exposition des corps et notamment des parties intimes de ces corps qui s’exposent sur les écrans. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans une forme de morale bien pensante, mais d’agir pour que les clichés outranciers de domination masculine ne soient pas perçus comme une norme à atteindre. C’est délicat, compliqué et seul le dialogue quand les conditions s’y prêtent permettent d’agir préventivement en expliquant ce qui est problématique et ce qui ne l’est pas.
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