À Bruxelles, le tout numérique ne passe pas. Plus d’une centaine d’associations se mobilisent actuellement contre un projet de décret et d’une ordonnance relatifs à la transition numérique des institutions. Il prévoit le passage au tout numérique de l’ensemble des administrations qui gèrent les multiples aspects de la vie des citoyens.
Contrairement à la France, la réaction de la population est assez vive sur ce sujet avec des manifestations et la création d’un cahier de doléances. Que se passe-t-il là-bas ? La Belgique est en train de vivre une transformation digitale sans précédent, tant dans les services publics que privés. Cette évolution rapide a été encore plus accentuée ces deux dernières années avec la pandémie de COVID-19. Cette digitalisation bouleverse en profondeur l’organisation et le fonctionnement de la société à tous les niveaux. Elle offre des opportunités, mais présente aussi des risques pour les personnes ayant des difficultés à suivre le rythme imposé.
La digitalisation vise à simplifier les procédures, réduire les délais de traitement des dossiers, accéder aux informations et réduire les coûts administratifs. Ça, c’est pour le discours officiel. Celles et ceux qui maitrisent bien les applications en ligne ne le contestent pas. Mais, il est aussi constaté que le numérique peut aussi entraîner une réduction du personnel affecté au traitement des dossiers. C’est un report de la charge administrative vers les usagers. Cela provoque aussi une augmentation du non-recours aux droits pour les citoyens. La situation des personnes déjà précarisées s’aggrave à cause de la fracture numérique.
Ce sont toujours les plus fragiles qui sont discriminés
Près d’un ménage pauvre sur cinq en Belgique ne dispose pas de connexion internet à son domicile. C’est principalement pour des raisons économiques ou un manque de compétences numériques. La disparition progressive de guichets physiques pose des problèmes aux personnes les plus vulnérables, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la mobilité, des services bancaires et des soins de santé. Du coup elles protestent. La fermeture de guichets physiques au sein des services publics a un impact important sur les demandes liées à un accompagnement numérique auprès des services sociaux associatifs sans que ces derniers bénéficient de moyens supplémentaires pour y répondre.
Enfin, cette transformation numérique entraîne une discrimination de certains groupes parmi les plus fragilisés et renforcer le non-accès aux droits. L’expérience démontre que la digitalisation peut être un véritable progrès pour les personnes disposant des compétences et des outils numériques adéquats, mais elle peut aussi aggraver la situation des personnes déjà précarisées et renforcer la fracture numérique.
Des manifestations pour dire que cela ne peut pas continuer comme ça
Aujourd’hui les exclus du numérique se rebellent et réclament des guichets physiques. Le 27 avril, à l’appel de multiples associations, plusieurs centaines de personnes sont venues manifester à Molenbeek à Bruxelles contre le projet d’ordonnance Bxl numérique, qui vise à accélérer la mise en ligne des administrations. La semaine précédente, un rassemblement similaire avait eu lieu à Anderlecht. À chaque fois, les citoyens mobilisés ont réclamé des guichets physiques et des services téléphoniques de qualité pour accéder à leurs droits.
Quand je vois cette mobilisation, je me demande pourquoi en France, nous n’avons pas un mouvement semblable. Les Maisons France Service restent en nombre trop limité. Il en faudrait beaucoup plus. Les médiateurs numériques peinent à répondre à la demande et ne peuvent rendre tout les personnes qu’ils reçoivent autonome. C’est la même chose pour les travailleurs sociaux et les médiateurs numériques. Après l’illettrisme qui stigmatise celles et ceux qui ne savent pas lire, voici désormais l’illectronisme qui culpabilisent les personnes concernées.
Les travailleurs sociaux pleinement concernés.
Les travailleurs sociaux tirent la sonnette d’alarme. Ceux de la commune de Schaerbeek expliquent que leur charge de travail a considérablement augmenté avec la numérisation de la société. En effet, ces professionnels de l’aide sociale ont calculé qu’en 11 semaines, ils ont dû aider à 416 reprises des personnes dans des démarches numériques qui n’étaient pas prévues dans leurs missions de base. Ces interventions supplémentaires les ont mobilisés pendant 160 heures, un temps qui n’a pas été affecté à leurs tâches habituelles.
En outre, le résultat de leurs démarches n’a pas toujours abouti. Une fois sur quatre leurs tentatives de résolution des problèmes ont échoué. Les travailleurs sociaux alertent sur les conséquences désastreuses de la numérisation de toute l’administration communale et régionale bruxelloise, alors qu’il reste nécessaire de prioriser l’accueil humain et un service téléphonique.
Il est donc nécessaire de remettre l’humain au centre des technologies de l’information et de la communication, et de réintroduire une démarche éthique dans le travail social. Si cette transformation numérique peut apporter des avantages, elle doit être menée avec précaution pour ne pas laisser sur le bord de la route les personnes les plus fragiles. Les professionnels appellent à une prise de conscience et à une action concrète pour éviter une catastrophe sociale.
En Belgique, les travailleurs sociaux soutiennent la population qui manifeste son besoin d’autonomie. Ils contribuent avec d’autres à leur donner la parole. Aider c’est bien, donner la parole et permettre aux exclus du numérique de relever la tête, c’est mieux !
Lire aussi sur un autre sujet
- 19 CPAS bruxellois « au bord du gouffre » se mettent en grève aujourd’hui | RTBF (« On est débordé. Il y a deux accueillantes pour une centaine de demandeurs qui, avec plus de trois heures d’attente, deviennent frustrés et même violents », soulève un assistant social de la commune de Forest. )
2 Responses
Bonjour. C’est un article utile.
Le projet de transition numérique à Bruxelles soulève des préoccupations légitimes. Si la digitalisation des administrations vise officiellement à simplifier les démarches et à réduire les coûts, elle expose également des risques importants pour une partie de la population. L’accès généralisé aux services publics en ligne peut entraîner une fracture numérique pour les personnes les plus vulnérables, comme celles qui ne maîtrisent pas bien les outils numériques ou qui n’ont pas un accès facile à Internet. Ce phénomène risque d’aggraver les inégalités en excluant ces citoyens de l’accès à leurs droits fondamentaux. La transformation digitale univirtual des institutions ne peut réussir sans prendre en compte les besoins des populations précarisées. Elle devrait être accompagnée d’un soutien adéquat, tel que des formations, un accès élargi aux technologies et une aide pour accomplir les démarches en ligne. Sinon, cette évolution risque d’amplifier les disparités sociales, en imposant une lourde charge administrative sur les citoyens et en réduisant le personnel capable d’accompagner ceux qui en ont le plus besoin. La mobilisation des associations à Bruxelles montre que la transition numérique, si elle est mal encadrée, peut avoir des effets négatifs sur une partie de la population. Il est essentiel que cette transformation numérique univirtual soit inclusive et qu’elle ne laisse personne sur le bord de la route.
décidément les Belges sont plus intelligents que nous car cela fait longtemps que les travailleurs sociaux auraient du bouger pour protéger les plus fragiles face à ces phénomènes de numérisation qui rendent encore plus dépendants alors que les services se limiteront bientôt aux point multi services qui sont des ordinateurs avec un agent non social !!!