Voici une courte synthèse de la journée d’étude de l’Association Nationale des Assistants de Service social (ANAS) qui s’est tenue le 13 octobre 2017 à Paris. J’ai eu le plaisir de l’animer et d’en rédiger la synthèse finale. Ceci est donc un résumé d’un texte plus conséquent qui fera l’objet d’une communication dans un prochain numéro de la revue française de service social. Il a été transmis aux participants de cette journée. Vous trouverez, repris de façon chronologique, l’essentiel des interventions qui ne reflètent que très partiellement la richesse des échanges, notamment avec le public composé de travailleurs sociaux (dans leur grande majorité des assistants de service social) de terrain mais aussi d’encadrement. Vous pouvez aussi consulter le texte d’introduction de cette journée présenté par Joran Le Gall Président de l’ANAS
La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) nous a rappelé les principes essentiels qui régissent l’utilisation des fichiers en insistant sur la responsabilité des acteurs qui les mettent en œuvre et les utilisent. Wafaé El Boujemaoui et Adeline Valery nous ont aussi présenté le pack de conformité dédié à l’action sociale et médico-sociale avec les 3 autorisations uniques. Elles ont conclu leur exposé en nous alertant sur le nouveau règlement général de protection des données issues de négociations au sein de la commission européenne. Cette nouvelle réglementation entrera en vigueur le 25 mais 2018 et verra le renforcement des droits actuels ainsi que l’apparition de nouveaux que sont le droit à la portabilité et celui de la limitation du traitement plus favorable aux citoyens et aux usagers des services publics.
Pierre Delor, professeur de Droit nous a fort justement fait prendre conscience que le secret professionnel qui vise à protéger l’individu, vise aussi à protéger l’ordre public. Il nous a proposé de regarder les 3 situations dans lesquelles nous nous trouvons : celles qui nous obligent à nous taire, celles qui nous autorisent à parler et enfin celles qui nous y obligent. À la fin de son intervention limitée par le temps, il nous a proposé une grille de lecture éthique tout à fait intéressante et opérante dans notre quotidien professionnel.
Vincent Meyer, sociologue, nous a véritablement « emporté » vers un avenir numérique qui ne peut que nous laisser songeur. Il nous a donné à voir la société numérique de demain. Mais il faut garder raison dit-il : « Cette modernisation irrésistible » est soutenue par un discours euphorisant et idéologique sans suffisamment de recul ni analyse critique. Il faut, pour lui, que les travailleurs sociaux et médico-sociaux se saisissent de cette question avant de la subir. Vincent Meyer nous a parlé d’e-citoyenneté, d’internet des objets, mais aussi des robots et de la place qu’ils vont prendre. Il nous a aussi alerté sur les effets des algorithmes, de cette « siliconisation du monde» et de «l’irrésistible expansion du libéralisme numérique» qui l’accompagne. Il ne nous parle pas de « fracture numérique » mais préfère le terme de « fossé numérique » qui reste une inégalité des citoyens face à la technique, à la connaissance et la possibilité de maîtrise des outils. Vincent Meyer nous rappelle que ces outils sont en constante évolution. Ils nous obligent à être dans un apprentissage permanent.
Une table ronde animée par Anne Brigitte Cosson (ancienne présidente de l’ANAS), a permis de donner place à des échanges intéressants entre des personnes accompagnées, la Caisse Nationale des Allocations Familiales, ainsi qu’une assistante sociale « de terrain » qui intervient dans une institution de protection sociale. Thierry Renaut des comités consultatifs des personnes accompagnées et/ou accueillies (CCPA) nous a rappelé « que les personnes à la rue n’ont pas de smartphone ». En fait, il lui paraît essentiel avec Carole Le Floch « de ne pas entrer dans la vie des personnes avec des questionnaires ». Carole Vezard pour la CNAF nous a, de son coté, expliqué pourquoi il a fallu mettre en place un logiciel qui quantifie et identifie les interventions des travailleurs sociaux des caisses d’allocations familiales. L’enjeu était important : il s’agissait de savoir s’il fallait maintenir ou pas ces travailleurs sociaux dans la branche famille. L’intervention de l’assistante sociale « de terrain » Rozenn Martinez a de son coté présenté la structuration du logiciel qu’elle est amenée à renseigner avec ses collègues. Construit sur trois niveaux, il faut en renseigner le premier pour pouvoir accéder au second, puis une fois le second niveau rempli ; le troisième devient accessible. Certes, il n’est pas obligatoire de tout renseigner mais pour autant, avons-nous besoin d’autant d’informations à noter pour un pilotage adapté ?
Bernard Marie Dupont, avocat au barreau d’Arras et Docteur en médecine apportera son témoignage et ses réflexions empreintes d’humanisme. Il défend les victimes de soins inadaptés. Il nous a parlé de l’expérience glaçante et dramatique, celle d’une patiente ancienne travailleuse sociale victime d’un burn-out qui a dégénéré. Ce qui inquiète notre conférencier est au final une question éthique : l’usage inconsidéré des outils numériques ne risque-t-il pas «d’éradiquer» ceux qui en sont exclus ? Il n’y aurait plus de place pour eux finalement. Bernard Marie Dupont terminera son propos par un plaidoyer pour un retour de l’humain dans le travail. A l’heure de l’optimisation à outrance, recentrons-nous sur l’autre en le considérant comme un autre soi-même.
De mon coté j’ai pu présenter avant de conclure le nouveau groupe de réflexion sur l’usage du numérique dans le travail social que j’anime au sein du Haut Conseil du Travail Social : Cette mission est encadrée par un mandat précis qui rappelle que la présence massive du numérique dans tous les pans de la société et à toutes les échelles de la vie s’impose à tous aujourd’hui. Le groupe a identifié 3 thèmes à travailler prioritairement : les plates-formes numériques permettant l’accès aux droits, la place spécifique du travailleur social au regard de la fracture numérique, et la gestion des messageries, ce 3ème sujet concerne tous les métiers et ne se limite pas au travail social. Le groupe de travail souhaite s’appuyer sur les expériences de terrain.
En conclusion nous savons que nous serons demain des « hyper-connectés » grâce entre autres à la réalité «virtuelle» et la réalité «augmentée». L’usage immodérée des technologies numériques provoque de nouvelles addictions et des manques. Un manque majeur est peut-être en train d’apparaître : le manque d’imagination puisque désormais les algorithmes « pensent » à notre place. Ils prédisent ce dont nous avons besoin. Ils nous apprennent aussi à devenir dépendants. De quelle liberté avons-nous besoin au final? D’abord de celle de penser et d’agir avec les personnes que nous accompagnons. De tous temps les professionnels de l’action sociale et notamment les assistants sociaux se sont adaptés. Ils ont su être créatifs pour répondre aux défis qu’ils rencontraient. Nous savons donner sens à notre travail et savons créer nos espaces de liberté. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui et demain ? Gardons en tête ce que nous a dit l’un des intervenants : « L’humain d’abord », le reste n’est qu’outils qu’il nous faudra maîtriser et utiliser de façon raisonnée. Et même si ces outils ont tendance à prendre beaucoup de place, rappelons nous que nous avons choisi nos professions pour ce qu’elles nous apportent tous : du lien, du soin et de l’humain.
Photo Vincent Meyer pendant son intervention.