J’ai récemment été interrogé par la Gazette des Communes sur les impacts du numérique pour les travailleurs sociaux. Ce fut un long échange avec la journaliste ( plus de 2 heures au téléphone). Au final, elle a sélectionné 4 questions 1. Quels sont aujourd’hui les usages numériques des travailleurs sociaux ? 2. Quelle place occupe l’outil informatique dans les relations avec les usagers ? 3. Les travailleurs sociaux peuvent-ils malgré tout tirer profit de la digitalisation ?4. Les informations des usagers sont de plus en plus numérisées. Est-ce un danger ? voici les réponses que la journaliste a retenu de cet échange. Je me suis appuyé sur des témoignages récents et réactions des collègues de secteur lors d’une rencontre ANAS à Paris. Certaines sont un peu « remontées » contre cette numérisation à marche forcée qui les met en difficultés notamment lorsqu’il s’agit de gérer des dossiers complexes. voici ce dont j’ai pu témoigner…
Quels sont aujourd’hui les usages numériques des travailleurs sociaux ? Aujourd’hui, la gestion des dossiers administratifs, les demandes de prestations sociales, la recherche de solutions d’hébergement d’urgence passent par des plateformes internet. Les pratiques numériques ont envahi le quotidien des travailleurs sociaux. En permanence, ils doivent rendre compte de leurs activités dans les systèmes informatiques. Avec les outils de travail à distance, les professionnels continuent de gérer les demandes des personnes en dehors de leur bureau. Ils sont même parfois contraints d’utiliser leur propre smartphone. Nous sommes passés à l’ère du tout urgent. Les outils numériques ont accéléré la vitesse des échanges. Dans les services sociaux, il existe une forme de « tyrannie des mails ». Les travailleurs sociaux consacrent de plus en plus de temps à répondre aux messages des usagers, de leurs collègues et de la hiérarchie. C’est un puits sans fond. Cette connexion permanente est extrêmement fatiguante et peut conduire à des risques psycho-sociaux.
Quelle place occupe l’outil informatique dans les relations avec les usagers ? Les travailleurs sociaux le disent : l’ordinateur a pris une place importante. Trop souvent, les professionnels restent assis derrière leur écran et passent un temps non négligeable sans être face aux personnes accompagnées. Ou bien, lors des rendez-vous, pour gagner du temps, certains tapent directement sur leur clavier au risque de transformer la rencontre en interrogatoire. Cela perturbe la qualité de l’écoute. C’est essentiel de maintenir un temps d’échange sans l’outil informatique. L’ordinateur est utile pour assurer l’accès aux prestations sociales mais l’accompagnement ne s’y limite pas. Ainsi par exemple, avec son logiciel, le SIAO peut se renseigner en temps réel sur les places disponibles dans les centres d’hébergement d’urgence, les travailleurs sociaux peuvent connaitre l’avancée des demandes mais les personnes sans domicile fixe sont aussi confrontées à d’autres problématiques que le logement. Les travailleurs sociaux jouent un rôle clé dans la vie des ces publics fragiles. En aucun cas, la machine peut remplacer le professionnel et sa compréhension des situations complexes.
Les travailleurs sociaux peuvent-ils malgré tout tirer profit de cette digitalisation ? Le travail social n’est pas incompatible avec les nouvelles technologies. A partir des données stockées dans les logiciels informatiques, les professionnels peuvent extraire des statistiques qui les aideront à intervenir au plus près des besoins sur le territoire. Le numérique a un grand intérêt quand il est utilisé avec raison. L’un des atouts est l’accès rapide aux informations. A partir des dossiers administratifs numérisés, les assistantes sociales peuvent retracer les parcours des personnes accompagnées. Autre exemple, certains publics en grande précarité perdent régulièrement leurs papiers. Les refaire à chaque fois est un travail monstre. Grâce aux coffre-forts numériques, ces documents pourront être conservés dans un endroit sécurisé. Les professionnels pourront alors avoir la possibilité de faire avec les personnes des duplicatas numériques qui pourront leur permettre d’accomplir leurs démarches administratives et de percevoir leurs prestations sociales.
Les informations des usagers sont de plus en plus numérisées. Est-ce un danger ? Le numérique soulève des interrogations sur le respect du secret professionnel et la confidentialité des échanges. L’Association nationale des assistants de service social (ANAS) s’oppose à ce titre au partage des informations à caractère social, celles qui relèvent de la vie privée. Il faut limiter cette numérisation aux éléments nécessaires à l’ouverture des droits. Avec les mails, les informations circulent dans tous les sens. Les destinataires peuvent faire des copies des messages et les envoyer à d’autres contacts. Il faut être vigilant sur la protection des données relatives aux usagers. Or, les travailleurs sociaux, qui engagent leur responsabilité, n’ont pas toujours les garanties suffisantes en matière de traitement et de stockage des données. Ils ne dipose pas toujours des information leur permettant de respecter les règles imposées par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Les centres de formation doivent prévoir des modules spécifiques sur les enjeux du numérique et leurs impacts sur les publics, comme par exemple le cyberharcèlement et les addictions aux nouvelles technologies. Compte-tenu de la place prise par l’informatique dans le quotidien des Français, il est essentiel d’aller plus loin.
Je profite de cet article pour vous indiquer que l’ANAS organise une journée nationale d’étude le le 13 octobre prochain. Elle traitera du « numérique et des pratiques professionnelles des assistants sociaux et plus largement des travailleurs sociaux. Vous pouvez télécharger ici le programme détaillé de cette journée et la problématique posée. Alors notez bien cette date dans votre agenda. Nous aurons à cette occasion le plaisir de nous retrouver et d’échanger sur cette question…