Les webinaires sont désormais devenus le moyen d’organiser « à distance » des séminaires et journées d’études un peu partout en France mais aussi à l’étranger. Ainsi l’IRTS Île de France et le Média Social avaient eu la bonne idée d’en organiser un le 15 décembre dernier. J’avais été invité à intervenir lors de ce temps d’échange comme l’explique et en rend compte en détail Anne Simonnot dans le Média Social.
Voici pour l’essentiel ce que j’ai pu dire lors de cet échange en ligne.
La période qui vient de s’écouler consacre le triomphe de l’utilité des outils numériques
Le développement du télétravail, les contacts et échanges via les outils de visioconférence qui permettent entre autres le maintien « à distance » des liens avec les familles. Mais le numérique c’est aussi une consommation à distance très pratique, la formation en ligne, les loisirs, sans oublier des usages intenses des réseaux sociaux.
Tout cela est fort utile mais dans un même temps la période interroge les usages des outils numériques avec (cette liste est loin d’être exhaustive
- Le télétravail : Quid de la sécurité des informations qui circulent ? Des services et des collectivités ont reçu des demandes de « rançonware » après avoir vu leurs serveurs bloqués. Que dire des articulations vie privée, familiale et professionnelle ? Finalement le domicile n’est-il pas en train de devenir le bureau sans en avoir tous les avantages. Que dire de ce temps décalé qui vous fait travailler à toute heure si vous ne posez pas de limites ?
- Les liens « à distance » : Est-ce suffisant et satisfaisant ? Jusqu’où ? Est-ce que l’on peut mener des entretiens aussi pertinents lorsque l’on n’utilise que le téléphone et la visio ? Que dire de cette fatigue face à nos écrans quand on a passé plusieurs heures à échanger en visioconférence ?
- La consommation en ligne : Que dire des addictions constatées ? La Française des jeux et les casinos sont désormais en ligne. Elles se sont multipliées. Cela peut concerner les achats compulsifs, mais aussi le visionnage de vidéos plus ou moins utiles et parfois carrément violentes ou dégradantes pour l’image de la femme… Les dépendances sont multiples et personne n’est là pour en limiter les excès.
- Les usages des réseaux sociaux : on le sait aujourd’hui tout est fait pour que vous passiez de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, où la créativité et la solidarité côtoient la haine, la vulgarité et le rejet de l’autre.
- Comment répondre aux plaintes de harcèlement en ligne ? Sans aller jusque-là nous savons que de nombreux jeunes sont victimes de dénigrement, et se sentent mis à nu face à des messages qui se moquent d’eux pour ne pas dire plus.
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Bref on le voit, le numérique est utile mais il est tout autant source de difficultés qui se sont déplacées. Allant de la « vraie vie » à la « vie virtuelle » qui permet à de nombreux internautes d’avoir le sentiment d’exister de façon positive en se mettant en scène dans des positions avantageuses. Que penser d’une génération qui veut faire croire qu’elle est heureuse à tout prix en comptabilisant le nombre de likes sous le selfie qu’elle partage avec celles et ceux qui leur ressemblent ?….
Des objets fétiches qui ne sont pas sans conséquences
Je m’écarte un peu de ce que j’avais pu dire lors de ce webinaire certes, mais c’est l’occasion de nous interroger sur cette incroyable attirance que provoquent les outils numériques devenus des « doudous » et des objets fétiches dont on ne peut plus se passer.
Ne soyez donc pas étonné qu’en tant que travailleur social, vous soyez confronté à cette nouvelle intolérance aux frustrations de la part des personnes que vous accompagnez. Finalement, un usage intense des outils numérique n’est pas sans conséquences. Nous sommes tous ou presque confrontés à
- La perte du travail profond. Nous ne savons plus rester concentrés pendant plusieurs heures sur une seule tâche, nous n’allons pas toujours jusqu’au bout des livres que nous lisons, car nous trouvons cela bien trop long…
- La montée de l’impatience et l’attente de la réponse immédiate est aussi une réalité qui nous met à l’épreuve et nous conduit à adopter des réponses « réflexes » sans toujours prendre le temps de la maturation et de la réflexion
- La fatigue de la surinformation / désinformation : ces 2 aspects sont particulièrement problématiques. Comment faire face à cette « infobésité » qui emplit nos messageries, comment trier l’utile et le futile et prioriser ses réponses tant vous êtes sollicité ? Comment ne pas être agacé face à ces fausses informations qui circulent tels des virus qui colonisent les esprits
A quand la panne générale ?
Ce désordre que provoque nos pratiques numériques peut être fertile mais il peut tout autant se traduire par un désordre tout court. C’est bien là le problème. C’est pourquoi il est essentiel, que, de temps en temps, nous décrochions le regard de nos smartphone, retrouvions le calme et le silence tels que l’ont connu nos ainés dont le cerveau fonctionnait fort différemment du nôtre.
Je me prends aussi parfois à rêver d’une panne générale de réseau. Plus d’internet ! Imaginez les conséquences. Serait-ce pire que la pandémie actuelle qui contrôle tout autant nos vies ? Oui notre monde est bien fragile. Pas sûr que nous sachions le réparer une fois que nous l’aurons cassé.
2 Responses
Bonjour Monsieur Dubasque,
Bonne année à vous et à votre blog qui participe si utilement aux débats et au développement de la culture numérique dans le champ du travail social ! Merci aussi de faire rebondir sur le wébinaire auquel vous avez contribué avec des représentants de la CNIL et du Défenseur des droits; mentionnons qu’il est disponible en replay jusq’au 28 mars: https://webikeo.fr/webinar/l-impact-du-numerique-sur-l-organisation-du-travail-dans-les-etablissements-et-services-sociaux-et-medico-sociaux/share. Permettez moi également de signaler à vos lecteurs le dernier webinaire de cette série sur le thème « Quel numérique voulons pour le travail social ? » ( accessible via http://webikeo.fr/chaine/le-numerique-en-travail-social/partage?campaign=channel ).
Le débat est l’une des formes les plus vivantes de lien social et d’acquisitions de connaissance. Je l’ouvre donc, en considérant que le titre de votre article me paraît excessif à deux points de vue quand il évoque « le triomphe et la tyrannie des outils numériques ».
Nul triomphe des outils numériques! Tant de travailleurs sociaux n’en sont pas encore équipés! Les outils numériques ont-ils « triomphé » de l’exclusion numérique, des violences intrafamiliales, de l’esprit critique des travailleurs sociaux? Je ne vois rien de tel dans la réalité, mais au contraire un progrès du discernement des TS dans leur utilité comme dans leur limites. Oui, le temps de connexion et d’usage augmente et se propage, oui une dépendance se crée, non l’usage raisonné et critique ne semble pas progresser, notamment parce que très peu est fait dans l’éducation et la formation ( y compris des TS). Mais de triomphe, point, car la résistance sur de nombreux points ( chiffrement, bien-être numérique, modération, nouveaux modèles économiques ) s’organise.
Pas de triomphe, et donc pas de tyrannie! Je devine votre intention de vouloir nous mettre en garde sur un possible renoncement de notre libre-arbitre, de notre vigilance; sur une possible soumission inconditionnelle aux bénéfices et attraits d’un numérique séducteur qui nous connaît bien! La tyrannie est un système politique, historiquement daté, modernisée sous des formes et appellations diverses. Mais il est caractérisé par l’absence de toute liberté d’expression, d’opinions, d’opposition. Nous n’en sommes pas là ! Et nous ne voulons pas en arriver là. D’où ce dernier wébinaire le 19 janvier à 15h sur le thème « Quel numérique voulons-nous pour le travail social? »( https://webikeo.fr/webinar/quel-numerique-pour-le-travail-social-quelle-culture-numerique-pour-les-travailleurs-sociaux/share )
Oui, notre monde est bien fragile, je suis d’accord avec votre conclusion, fragile, instable, incertain, imprévisible. Mais ne pouvons-nous agir dans le sens que nous souhaitons ?
Bonjour Monsieur Letellier et merci de votre commentaire.
Bien évidemment, vous aurez compris que ce titre est une provocation pour inviter le lecteur à aller plus avant et à s’interroger sur les usages des outils numériques. Quand je parle de triomphe c’est une image et il ne faut pas le prendre au sens premier du terme. C’est effectivement une formule pour dire combien les outils ont permis de faire ce que qui aurait été impossible sans eux. Ils ont démontré leur efficacité malgré de nombreuses critiques et réserves souvent entendues çi et là.
En ce qui concerne la tyrannie bien sûr nous ne sommes pas dans un régime totalitaire ! Là aussi c’est une formule pour dire combien il est difficile de s’en passer. Je pense effectivement comme vous que nous sommes de plus en plus dépendants de ces outils qui certes, nous rendent de grands services mais nous invitent à plus de mesure notamment en ces temps de télétravail. Je rencontre pour ma part de plus en plus de travailleurs sociaux équipés et ceux qui ne le sont pas en viennent à utiliser leurs smartphones et portables personnels.
Enfin cet article ne fait pas référence à tous les exclus du numérique qui en subissent certains effets négatifs (par ex. sur leur accès aux droits).
J’apprécie votre mesure et surtout des aspects qui me paraissent aussi essentiels et positifs tel que vous les indiquez. C’est vrai notamment sur « un progrès du discernement des TS dans leur utilité comme dans leur limites dans les usages ». C’est encourageant.
Bien Cordialement
DD