Le sociologue Nicolas Duvoux est bien un expert sur ce sujet. Le site Vie Publique lui donne la parole en ce début décembre. C’est vraiment une bonne chose, car son propos nous permet de mieux comprendre cette réalité. D’abord, il nous explique que notre façon de calculer et de considérer la pauvreté en Europe est différente de celle qui est mise en avant dans les autres pays du monde. En Europe, on considère qu’être pauvre varie en fonction de la société dans laquelle on vit alors qu’ailleurs, c’est le critère économique qui domine. Il constate que si l’on s’en tient à la pauvreté monétaire relative dans notre pays, celle-ci a baissé depuis les années 1970, mais a légèrement augmenté depuis le début des années 2000.
Le sociologue nous parle plutôt d’une évolution de la pauvreté : elle est désormais plus concentrée sur les jeunes alors que par le passé, elle concernait plutôt les personnes âgées. Aujourd’hui encore, elle affecte particulièrement certaines catégories de ménages, situées à la croisée des vulnérabilités économiques et sociales combinée avec un déficit de protection sociale. Ainsi, les familles monoparentales sont-elles particulièrement exposées. De même, les jeunes (enfants et jeunes adultes) sont-ils plus concernés par la pauvreté monétaire que la moyenne.
La pauvreté s’identifie de différentes manières. Elle est :
Pour Nicolas Duvoux, il faut pouvoir combiner les indicateurs pour mieux identifier la pauvreté. Ces indicateurs doivent être pensés ensemble, et, si possible, de manière dynamique. Ainsi, constate-t-il, les 2 indicateurs de pauvreté monétaire et conditions de vie, lorsqu’ils sont croisés, permettent de mesurer la « grande pauvreté » qui, en 2019, touche en France environ deux millions de personnes. À l’inverse, l’absence de recoupement entre les différents indicateurs fait apparaitre qu’environ un Français sur cinq et concerné. Mais attention, précise-t-il, 40 % des personnes en situation de pauvreté monétaire ne sont pas en situation de privation matérielle, et réciproquement.
Le sentiment de pauvreté
C’est là aussi une réalité qui se mesure : en 2018, le sentiment de pauvreté concernait environ 13% de la population. Ce sentiment particulier se manifeste le sentiment de vivre une insécurité sociale durable, qui donne une perception négative de l’ensemble de sa trajectoire de vie, passée et future de celui qui le vit. Leurs conditions matérielles d’existence se traduisent par une appréhension de leur part vis-à-vis de l’avenir, ce qui conduit à parler d’une insécurité sociale durable, englobant la situation actuelle et la projection dégradée dans l’avenir.
Le baromètre d’opinion de la Drees, suit chaque année l’évolution de la perception des inégalités et du système de protection sociale en France. Il permet d’identifier les personnes qui disent se sentir pauvres et de décrire leur profil social donné. La dernière enquète sur ce sujet est parue en juillet 2022
Mais, nous dit Nicolas Duvoux, ces façons de mesurer la pauvreté ont pour difficulté principale de tenir à l’écart les populations les plus vulnérables. Ce sont celles qui ne vivent pas dans des ménages ordinaires. Cela concerne approximativement 300.000 personnes, sans abri ou hébergées. Celles qui sont comptabilisées dans les grandes villes lors des nuits de la solidarité.
La pauvreté vue par les institutions
Une autre manière de comprendre et de mesurer la pauvreté porte sur la façon dont les institutions de protection sociales agissent. Le fait être allocataire du revenu de solidarité active, de recourir à l’aide alimentaire, ou encore à percevoir des aides auprès des collectivités détermine alors une population assez facile à identifier. Cette pratique s’est déployée dans un contexte de développement du chômage de masse. La pauvreté est ainsi un objet d’intervention publique explicite. On entre dans telle ou telle catégorie et des politiques sont mises en oeuvre pour essayer d’en sortir.
Mais attention, nous alerte Nicolas Duvoux. Certes ces mesures stabilisent la condition des populations les plus précarisées et leur permettent d’éviter le dénuement absolu, mais elles ne constituent pas des leviers de prévention ni même de sortie de cette condition. Les minima sociaux couvrent aujourd’hui 4 millions 250 mille allocataires, soit 11% de la population française. Ils sont en forte progression, du fait de l’extension du périmètre depuis les années 80. Les prestations sociales et la fiscalité directe en France diminuent le taux de pauvreté monétaire de presque 8%, et plus de 20% pour les familles monoparentales avec au moins deux enfants. Notre pays a un taux de pauvreté monétaire plus faible que la moyenne européenne. l’Allemagne, la Belgique sont eux aussi proches de cette moyenne.
Les travailleurs sociaux le savent bien, les mesures de lutte contre la pauvreté ne remplissent qu’imparfaitement le rôle d’instruments de mise en œuvre de droits. Notamment ceux liés au travail, au logement, et à la santé. Ces instruments, nous dit Nicolas Duvoux sont restrictifs et stigmatisants. Ils entraînent des discriminations dans l’accès aux biens et services essentiels. Que dire quand on pense qu’une part notable des élus et de la population considèrent ces allocations excessives et mal distribuées ?
Enfin, terminons avec la carte qui présente le taux de pauvreté par département en 2019 (les pourcentages en détail sont sur la carte interactive du site vie publique)
Lire l’article de Nicolas Duvoux sur le site Vie Publique. Le sociologue est rappelons-le président du Comité scientifique du Conseil National des Politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale.
Photo : Nicolas Duvoux sur la radio du trottoir d’à côté en 2018 qui à ma connaissance fut une belle expérience quis’est arrétée
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