Didier Dubasque
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Mais où va l’argent des pauvres ?

La récente polémique engagée par Michel Blanquer expliquant que l’allocation de rentrée scolaire (ARS) permettait à certains d’acheter des téléviseurs écrans plats, m’invite à rappeler quelques évidences. Pourquoi ? Tout simplement parce que depuis fort longtemps, les personnes qui vivent avec des aides de solidarité sont suspectées de détourner cet argent pour l’utiliser de façon inadaptée.

Dès 1820, il était expliqué dans le livre « le visiteur du pauvre » que le fait d’aider les « nécessiteux » avait pour conséquence de favoriser l’oisiveté et donc la pauvreté. Cette assertion, portée par une certaine noblesse et bourgeoisie instillait le doute et expliquait qu’il y avait les « bons » et les « mauvais » pauvres. Ceux qui méritaient d’être aidés et ceux qui profitaient des aides et en faisant un métier.

Deux siècles après nous en sommes toujours là. Ainsi les « mauvais pauvres » sont ceux qui aujourd’hui achètent des biens de consommation sans aucun rapport avec les aides qu’ils perçoivent. D’où l’idée communément mise en avant qu’il y existe des pauvres qui profitent des aides sociales.  La preuve ? Certains enfants arrivent à l’école avec aucun cahier, ni matériel nécessaire pour suivre leur scolarité. Mais combien sont-ils dans ce cas comparé au nombre de personnes qui perçoivent l’allocation de rentrée scolaire ? Mystère, aucune étude ne l’évalue.

D’après le ministre de l’Éducation Nationale, « on sait bien, si l’on regarde les choses en face, qu’il y a parfois des achats d’écrans plats plus importants au mois de septembre qu’à d’autres moments ». Or c’est le contraire : août et septembre sont les 2 mois de plus faible achat de téléviseurs dans l’année comme le confirme  l’institut GfK Market Intelligence en France qui « collecte l’ensemble des ventes » réalisées dans les grandes surfaces et en ligne nous explique le service Checknews de Libération.

Qu’importe la réalité : pourquoi un ministre de l’Éducation annonce des faits inexacts ou à minima non représentatifs d’une réalité sociale ? Pourquoi le Président de la République plus haute autorité de l’État reprenant cette polémique affirme  que « Nous serions ou aveugles ou naïfs de penser que la totalité des allocations servent à acheter des fournitures scolaires ou les livres des enfants » ?

C’est vrai ça, mais pourquoi l’argent des allocations n’est pas utilisé par ceux qui les perçoivent dans la logique rationnelle déclinée  par nos élus ?

Si vous écoutez des personnes qui (sur)vivent avec des minimas sociaux vous comprenez vite ce qui se passe. Ainsi nombre d’entre elles ont des dettes. Certaines subissent les pressions des huissiers qui non seulement les menacent de saisie, mais les taxent avec des frais forfaitaires de gestion de dossiers. Quand les saisies sont engagées sur votre compte, il n’est pas regardé si les ressources de la personne provient des aides sociales. Elles sont saisies, un point c’est tout. Il n’y a alors plus d’argent pour acheter les fournitures scolaires et encore moins un téléviseur ou un smartphone.

Il y a également des prestations sociales qui sont saisies suites à des indus de la CAF. Il faut aussi prendre en compte les retards de loyer qu’il faut combler si l’on veut espérer bénéficier du Fond de Solidarité de Logement…  Il existe des milliers de situations particulières qui expliquent pourquoi parfois l’argent n’est pas affecté là où ceux qui sont bien intégrés estiment qu’il doit aller.

Celui qui vit la pauvreté doit sans cesse faire des choix sur ce qu’il doit payer en priorité. Certains se privent sur la nourriture, d’autres préfèrent maintenir les frais leur permettant de se déplacer (une voiture coute cher) en affectant leurs ressources d’où qu’elle provienne pour garder la tête haute. Avoir une voiture, un smartphone, une télévision autant d’objet qui vous permettent d’être comme les autres autant que faire se peut.

Je me souviens cet allocataire du RSA qui roulait dans une vieille Mercedes vestige d’un passé « glorieux » pour lui lorsqu’il était commercial et dévorait les kilomètres. Une fois licencié, il n’a jamais voulu se séparer de sa voiture qu’il considérait comme une part de lui-même. Elle lui permettant de se regarder dans la glace sans la honte de celui qui n’a plus rien. Bien évidemment, la commission locale d’insertion ne comprenait pas ce choix. Il lui fut demandé de vendre sa voiture, car il pouvait en tirer un bon prix vu son âge et son millésime.

Faut-il le rappeler ? L’argent manque quand on est pauvre. Quand il y en a un peu, ne soyez pas surpris qu’il ne soit pas systématiquement  affecté aux mêmes objets que ceux qui en ont. Les pauvres doivent en réalité gérer l’ingérable. Ils le font avec une rationalité qui n’est pas celle de celui qui dispose de revenus confortables et qui se croit autorisé à donner des leçons de gestion sans savoir de quoi il parle.

L’argent des pauvres est une question qui fait toujours réagir parce qu’elle est fortement morale et moralisatrice nous explique  le sociologue Denis Colombi. Pour lui, « les politiques devraient s’occuper de la pauvreté plutôt que de vouloir toujours s’occuper de ce que font les pauvres. Ils pourraient regarder le travail des sociologues, économistes, associations et journalistes qui font un travail approfondi de terrain. Ils pourraient les solliciter et les écouter ». Mais non, il est bien plus simple de taper sur les plus faibles qui plus est ne votent pas.

La façon dont les riches utilisent leur argent fait l’objet de beaucoup moins de jugements. Certains excès financiers des plus riches suscitent même une forme d’admiration ou sont vus comme une forme d’excentricité qui témoigne d’un certain génie. Personne ou presque ne s’offusque. Par contre, ce que fait un pauvre de l’argent qu’il perçoit est bien décortiqué.

Le raisonnement est simple : Si les pauvres ne gèrent pas bien les revenus qu’ils perçoivent, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient pauvres.  C’est  donc leur faute s’ils manquent d’argent. Ce déni permet de faire porter la responsabilité de la pauvreté par ceux qui la subissent. Il n’y a alors plus besoin de lutter contre les inégalités… CQFD !

 

 

Photo créée par cookie_studio – fr.freepik.com

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5 réponses

  1. Bonjour et merci beaucoup pour cet article. Effectivement, les représentations concernant l’argent « mal gagné » vs « bien gagné » et l’argent « bien dépensé » vs « mal dépensé » stigmatisent depuis de nombreuses années les pauvres. Ils profiteraient « du système » et ne sauraient pas « gérer » leur budget (dépenses jugées inadaptées, irrationnelles…). La réalité est, comme toujours, bien plus complexe et Bourdieu (La distinction. Critique sociale du jugement), notamment, nous permet d’y voir plus clair dans le rôle de la consommation qui dépend bien plus d’une rationalité sociale que d’une rationalité économique. Cette vision simpliste et offensante véhiculée par ces politiques n’est vraiment pas à leur honneur. Ont-ils conscience qu’ils font partie des « héritiers » décrits par Bourdieu et à ce titre n’ont que comme seul mérite d’être nés au bon endroit ?

  2. Plutôt bien vu votre mise au point sur les pauvres et la pauvreté. A envoyer sans modération tout azimut et notamment à M. BLANQUER

  3. Bonjour et merci pour ce bel article « coup de gueule ». Je travaille dans une épicerie sociale, je gère l’accompagnement budgétaire des familles accueillies et je me retrouve complètement dans ce que vous exprimez.
    L’ARS a (malheureusement) servi pour nombre de familles que j’accompagne à combler un découvert et régulariser les retards de paiements… Une chance s’il en reste un peu pour acheter les fournitures, voire le summum, la tenue de rentrée! Je n’aborde pas les cotisations aux activités sportives qui faisaient partie de la longue liste des choses à financer avec l’ARS mais d’ici l’inscription au foot mi-septembre les 370€ « de bonus » auront déjà fondu comme neige au soleil.
    Alors oui, certains ont peut être aussi pioché dans cette allocation pour s’accorder une sortie ou autre sur la fin des vacances. Mais, ils auront certainement apprécié ce petit instant de légèreté bien plus que ce commercial pressé qui s’engouffre dans le premier restaurant venu pour avaler machinalement, téléphone (dernier cri) pendu à l’oreille, son déjeuner entre deux rendez-vous sans imaginer que le coût de son repas correspond à la somme que dépense une famille de quatre personnes à l’épicerie sociale pour se nourrir pendant un mois.

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