L’outil informatique a-t-il trop envahi le cadre du travail professionnel ?

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Il est une plainte qui revient fréquemment chez les travailleurs sociaux tout comme dans d’autres professions. Celle qui consiste à considérer qu’ils passent trop de temps devant les écrans au détriment du travail pour lequel ils sont missionnés. L’usage des outils numérique a effectivement pris une grande place dans le quotidien professionnel, mais reconnaissons aussi qu’il en est de même pour notre vie personnelle. Qui aujourd’hui peut se passer d’une messagerie et des applications qui finalement nous rendent service ?

La question qui se pose est alors différente : le temps que je passe à utiliser les outils informatiques est-il utile, nécessaire, envahissant ou encore excessif ? Il faut pour cela pouvoir se détacher de sa pratique et mesurer combien nous sommes ici dans la subjectivité. Un travailleur social estimera-t-il excessif de communiquer par SMS ou par mail avec un jeune qu’il accompagne au détriment de la relation directe en face à face ? Chacun y verra avantages et inconvénients. Cela sera aussi fonction du contexte de la situation. Le débat pourra nourrir de multiples réunions sans que l’on puisse vraiment trancher.

La technologie génère sa propre problématique

Dans de nombreux cas, l’usage de l’informatique est non seulement utile, mais aussi nécessaire. Mais dans d’autres, il devient contreproductif et pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Comme l’expliquait il y a quelques années Miguel Benasayag, la technologie génère sa propre problématique. Prenez l’usage de la voiture. C’est très pratique pour se déplacer rapidement. Ok, mais il faut passer au garage et à la pompe régulièrement, trouver où se garer sans se ruiner dans les villes ; savoir éviter les bouchons qui dans de nombreuses périphéries sont devenues la norme. Pour certains déplacements, il est plus simple de faire autrement, mais nous préférons continuer comme avant avec la voiture, car nous en avons pris l’habitude. Tout changement devient compliqué à mettre en œuvre.

Il en est de même pour l’informatique. Non seulement les outils sont très séduisants et souvent ludiques, mais ils nous enferment dans des habitudes, des routines dont on a du mal à se débarrasser, d’autant qu’elles nous rassurent. De plus, ce sont fréquemment nos interlocuteurs qui nous conduisent à les utiliser plus que nous le voudrions.

Le problème n°1 : la messagerie professionnelle

En France : 1,4 milliard de messages circulaient chaque jour en 2020 sans tenir compte des « spam » non comptabilisés. Un internaute français recevait en moyenne 39 e-mails par jour.  Il est courant aujourd’hui pour un professionnel encadrant de recevoir entre quarante et soixante courriels par jour. En supposant une journée de huit heures, nous consacrerions en moyenne environ deux heures, 14 minutes par jour à la gestion de nos e-mails.

Nous passons aussi de plus en plus de temps à alimenter nos logiciels métiers. Préparer des powerpoint, remplir des tableurs, aller chercher une information, gérer nos agendas, voilà autant d’usages des outils numériques qui contribuent à ce que nous passions de plus en plus de temps devant les écrans. Paradoxe : ce texte que vous lisez sur ce blog fait partie du phénomène. Mais il y a une grande différence entre les usages numériques que vous avez délibérément choisi (comme par ex. lire un article sur ce blog). Les pratiques choisies sont différentes de celles qui vous sont imposés. Ces dernières  vous obligent sans cesse à vous adapter et à contraindre votre pensée.

Revenons à la gestion du courrier électronique. Elle est non seulement chronophage, mais c’est aussi un facteur de stress. Certains dirigeants en sont même venus à demander à leurs salariés de ne plus utiliser la messagerie le vendredi et de se parler pour trouver une solution face à un problème identifié par mail et qui tourne entre différents interlocuteurs sans être résolu.

Nous pouvons agir différemment

Les mésusages des outils numériques ne relèvent pas seulement du manque de prise en compte des risques par les employeurs. Nous pouvons nous-même y contribuer. Il est certes plus simple d’adresser un court message à un collègue pour lui demander des infos sur telle ou telle situation. Mais a-t-on conscience que l’on va lui demander de se mobiliser parfois de façon conséquente pour rédiger une réponse adaptée alors qu’un simple échange ou téléphonique aurait suffi ? Une autre étude nous indique que le temps passé sur le courrier électronique peut être de 25% à 30% de la totalité du temps de travail lorsque ce n’est pas plus. N’est-ce pas trop ? et que dire de la perte du travail profond que cela provoque ?

L’usage des outils dits de reporting sont aussi à interroger. S’ils nous obligent à être sans cesse dessus, c’est souvent parce qu’ils sont mal conçus.  Bref, le désordre que provoquent nos pratiques numériques peut être fertile, mais il peut tout autant se traduire par un désordre tout court. C’est bien là le problème. C’est pourquoi il est essentiel, que, de temps en temps, nous décrochions le regard de nos smartphones, retrouvions le calme et le silence tels que l’ont connu nos ainés dont le cerveau fonctionnait fort différemment du nôtre.

Cela mérite réflexion au sein des équipes à l’heure de la sobriété énergétique : l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) indique qu’une entreprise de 100 personnes génère chaque année, rien qu’à cause des courriels, l’équivalent de 14 allers-retours en avion entre Paris et New York. Le numérique représente 5% des gaz à effet de serre. Autant que l’aviation civile. Voilà aussi un argument à prendre en considération !

 

Photo :  pixabay  Public Domain nastya_gepp

 

Note : cet article reprend pour une grande part ma tribune publiée par Lien Social dans sa rubrique « parole de métier » (N°1327 – octobre 2022). Plume, assistante sociale en Hébergement d’urgence pour demandeur d’asile (HUDA) avait elle aussi apporté son point de vue sur ce même sujet.

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