Les pratiques professionnelles de l’aide se trouvent fragilisées par certaines vulnérabilités d’usagers bien plus souvent qu’on ne le croit. Ce livre intitulé « Vulnérabilités en écho dans les métiers relationnels : les savoirs professionnels interrogés », rompt les tabous.
Parmi les vulnérabilités, il y a celles qui sont liées à un évènement (potentialité à être blessé ou diminué) ou à une période de la vie (enfance ou vieillesse). Mais, aussi celles qui sont tout autant contingentes à l’invariant anthropologique de la condition humaine : la fragilité de son existence.
Et puis, il y a celles qui fragilisent les professionnels de l’aide et du soin. Elles provoquent un inconfort les empêchant d’agir et les contraignant à un constant bricolage et tâtonnement pour s’adapter et s’ajuster.
C’est là le propre de tout travail social au cœur duquel se niche la relation humaine. Les situations évoluant en permanence, il est nécessaire de (re)construire les réponses et les modalités d’intervention, de revisiter les protocoles et de modifier les habitudes de travail.
Mais cette vulnérabilité peut aussi être la conséquence de l’injonction de plus en plus prégnante à la rentabilité de parcours que traduisent les évaluations quantitatives. Ces exigences entrent en contradiction avec l’irréductible incertitude quant aux résultats obtenus. La fragilisation induite est encore renforcée par des ressources toujours plus réduites, une invisibilité et un manque de reconnaissance récurrents.
Le poids du contexte
Mais, le changement contemporain de paradigme de l’action sociale longtemps dominant est aussi un facteur aggravant. La logique s’appuyant sur la réparation et la correction plaçait jusque-là les professionnels en position de maître d’œuvre.
Celle qui a émergé est fondée sur le droit des personnes dans la prise de décision. La mise en capabilité a fait perdre aux professionnels la maîtrise et le contrôle de la démarche d’aide.
Cette réorganisation complète des rapports avec les usagers a modifié la structure de la légitimité des savoirs. Ne plus travailler sur autrui, mais avec lui, entraîne pour les professionnels un sentiment potentiel de perte de pouvoir d’agir, de dégradation de l’efficacité et d’attaque de l’estime de soi.
Rebondir
Une nouvelle approche émerge de cette porosité, de ce transfert et de cette contamination croisée entre vulnérabilité des aidants et des aidés. Même s’il ne l’est pas de manière identique, le partage des difficultés de vécu peut constituer un atout plutôt qu’un problème.
Une évolution de la manière de penser et d’agir peut alors s’appuyer sur l’expérience de leur interaction permanente. Elle tourne le dos à la quête traditionnelle d’invariants et de mise à distance. Tout au contraire, elle privilégie des allers-retours entre les interprétations de la situation, les propositions et acceptations des inter-actants.
Les dix chercheurs ayant contribué à ce livre éclairent cette mutation fondamentale à partir de la présentation de différents publics. Personnes porteuses de handicaps rares, troubles du comportement, personnes âgées en EHPAD, professionnels d’ESAT viennent l’illustrer… L’occasion de démontrer l’ampleur du mouvement amorcé.
- Vulnérabilités en écho dans les métiers relationnels : les savoirs professionnels interrogés, Sous la direction de Matthieu Laville et Philippe Mazereau, Éd. INSHEA &Champ Social , 2021, 270 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
1 – Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Pour une révolution de la pensée et de l’action. Charles Gardou, érès, 2005, 261 p. Une société se définit essentiellement par la façon dont elle institue l’idée de normalité et par la considération qu’elle accorde aux plus fragiles.
2 – Accompagner les situations de vulnérabilité, Christine Vander Borght et Sophie Tortolano, Éd. Chronique Sociale, 2021, 144 p., Ce petit guide est constitué de fiches récapitulatives synthétisant différentes problématiques rencontrées en protection de l’enfance.
3 – Éloge de l’insuffisance. Les configurations sociales de la vulnérabilité, Jean-Yves Barreyre, Ed. érès, 2014, 279 p. Si la question sociale portant sur les laissés pour compte de la société industrielle a constitué la problématique centrale du 19ᵉ siècle, la question médico-sociale aura été la préoccupation principale du siècle suivant.
4 – Réussir son burn-out. Récits de résistantes Corinne Le Bars (sous la direction), Éd. érès, 2022, 188 p Elles sont infirmières, cadres bancaires, couturières, formatrices, éducatrice spécialisées, assistantes sociales, informaticiennes … Elles ont été emportées dans un effondrement lent et profond, durable et cataclysmique.
5 – Violences, risques psychosociaux et travail social Ludwig Maquet, Ed. Le social en fabrique, 2018, 105 p. La violence peut surgir au cœur du travail social du fait des usagers, des professionnels, de la prise en charge, mais aussi de l’institution elle-même. (Vous pouvez aussi lire la critique de ce livre sur ce blog)
6 – Usure dans l’institution Daniel Brandelo (sous la direction), Éd. EHESP, 2017, 330 p. Les professionnels de maisons d’accueil spécialisé ou de foyers d’accueil médicalisé sont confrontés à une telle réalité traumatogène, qu’ils convoquent des représentations monstrueuses.
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