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Livre ouvert : Une réalité millénaire avec « la folle histoire du chômage »

Au premier abord, le chômage semble un fléau très contemporain, inconnu chez nos ancêtres. À y regarder de plus près, il existait déjà… sous d’autres noms.

Livre la folle histoire du chomage

L’ancienne langue grecque ne connait pas le mot « travail », activité réservée aux esclaves. Le mot chômage vient du latin caumare (se reposer par grande chaleur) issu du grec Kaumare (chaleur brûlante). Cette curiosité sémantique est à relier avec la longue tradition faisant du travail un synonyme de pauvreté, l’oisiveté étant le privilège des plus riches.

Que ce soit les esclaves de l’antiquité ou les serfs du Moyen Âge, le travail était donc le lot des basses classes de la société. S’y rajoutaient les « sans travail » poussés par la raréfaction des terres et l’attrait des villes. Ils étaient désignés comme mendiants, « sans feux ni lieux », vagabonds…

Très tôt, les États se préoccupèrent de combattre l’oisiveté. Les options furent diverses. Dans l’antiquité, le grec Périclès choisit d’inciter les populations surnuméraires à créer des colonies extérieures. Les frères Gracchus tentèrent d’initier à Rome une redistribution des terres. Les empereurs romains choisiront d’entretenir la plèbe avec « du pain et des jeux », pour éviter ses révoltes.

Au Moyen Âge, c’est la charité chrétienne qui vient en aide aux déshérités. À compter du XVIème siècle lui succède la politique d’enfermement des pauvres, des indigents, des estropiés dans les Workhouse du Royaume-Uni et les Hôpitaux généraux en France.

Le tournant

Premier acteur dans un changement qui affecte les représentations : l’éthique protestante. Elle inverse la valeur attribuée au travail. Luther l’élève au rang de premier devoir de l’homme sur terre. La divinisation de la pauvreté, qui a inspiré l’assistance et la charité, est remise en cause. Il faut combattre l’oisiveté et encourager la réalisation par sa profession.

Second facteur marquant, la révolution française. Les corporations, considérées comme des obstacles au marché du travail, sont abolies. Dans le même temps le droit à l’assistance est sanctifié. Il ne se traduira que bien plus tard dans les faits.

C’est étonnamment au Royaume-Uni qu’il se concrétise, d’abord. Par crainte d’une contagion révolutionnaire, un « droit de vivre universel » est créé en 1795. Il est accordé à tout homme valide sans contrepartie sauf à continuer à résider dans la même commune. Il faudra attendre la loi de 1834 pour que ce droit soit aboli.

Une constante contemporaine

Le chômage va s’inviter dans la question sociale, dès lors où il devient un rouage de l’extension capitaliste. La croissance s’alimente à ce que Marx désigne comme l’« armée de réserve du travail ». La catégorie « chômeur » apparaît pour la première fois dans le recensement de 1896. Il ne cessera plus de hanter la société.

Résorbé à la suite de l’hécatombe de 14-18, resurgissant dans la foulée de la crise de 1929, il est absorbé par le plein emploi des Trente Glorieuses. ll fera les frais du choix politique des années 70 de privilégier la baisse de l’inflation au maintien de l’emploi. De conjoncturel, le chômage est devenu structurel, ouvrant la voie à une potentielle nouvelle allocation universelle

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin

 


 Lire aussi

1- Le refus du travail, David Frayne, Ed. du Détour, 2018, 300 p. Notre société est centrée sur le travail, source de revenus, d’identité et de reconnaissance. Pourtant, il n’en a pas été toujours ainsi. Longtemps, il fut considéré comme une affliction indigne de tout homme libre

2- Travailler pour s’inclure. L’expérience d’ADC propreté Christian Chauvigné, Philippe Lerouvillois, Jean-Luc Souchet, Éd. Rue de l’échiquier, 2014, 207 p. Ce que font les équipes d’ADC propreté ? Permettre aux personnes accueillies d’acquérir des compétences professionnelles valorisables qui, combinées à une situation sociale personnelle stabilisée, leur permet d’accéder potentiellement à un emploi durable

3- Travail et précarité. Les « working poor » en Europe, Brigitte Lestrade (sous la direction), Ed. L’harmattan, 2011, 267 p. Il fut un temps où l’ambition de pouvoir compter sur le salaire perçu pour être à l’abri durablement, voire définitivement, des besoins vitaux était réaliste. Surtout, quand l’assurance chômage permettait de relayer des ressources défaillantes, dans l’attente d’un nouvel emploi. Ce n’est plus le cas.

4- Régie de quartier et résilience Patrick Norynberg, Éd L’Harmattan, 2020, 173 p., Les régies de quartier font d’une pierre deux coups : recruter des personnes pour des prestations locales et assurer leur sortie du chômage avec une formation à la clé ou un contrat à durée indéterminé.

5- Zéro chômeur, Claire Hedon, Didier Goubert, Daniel Le Guillou, Éd ; L’Atelier- ATD Quart Monde, 2022, 173 p., Nous sommes beaucoup à en avoir entendu parler, au détour de l’information, sans connaître vraiment les détails de ce dispositif « Territoire zéro chômeurs ». L’occasion de mieux en comprendre les tenants et les aboutissants.

 


BONUS

Enrichir les plus riches, appauvrir les plus pauvres

Notre gouvernement est très généreux, quand il s’agit de distribuer des milliards aux entreprises, mais très parcimonieux pour ce qui est de l’aide aux plus démunis. Le fondement de sa politique s’appuie sur deux mythes.

Le premier nous vient des USA : « Trickle down theory » ou en français théorie du ruissellement. Augmenter les revenus des plus riches permettrait qu’ils investissent dans l’économie et donc qu’ils créent des emplois. Croire que les couches sociales les plus aisées vont être d’abord être soucieuse de l’emploi et ensuite être prises d’un élan patriotique en privilégiant l’investissement dans des entreprises françaises relève soit d’une incroyable naïveté, soit d’une rebutante hypocrisie. Car, l’argent n’a pas de patrie. Ceux qui en possèdent feront, comme ils l’ont toujours fait : rechercher les placements les plus rémunérateurs où qu’ils soient dans le monde. Ce que montre d’ailleurs le bilan réalisé le 8 octobre 2020, par l’organisme gouvernemental France Stratégie sur les effets de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Il lui a été impossible de mettre en évidence le moindre effet significatif sur l’investissement et d’ailleurs comment les plus riches ont utilisé cet argent qu’ils ont pu garder.

Un second mythe laisse croire que les pauvres profiteraient des aides sociales pour s’installer dans l’oisiveté et la paresse. Percevoir 565 euros par mois suffirait donc à rester au chômage, en profitant grassement de cette manne, plutôt comme dit Emmanuel Macron que de traverser la rue pour trouver du travail ? Ce préjugé ne se confirme pas sur le terrain. De 1974 à 1979, le Canada a expérimenté un revenu de base inconditionnel et annuel accordé aux familles les plus pauvres. Evelyn Forget, une chercheuse ayant étudié les effets sur le rapport au travail a mis en évidence que « peu de gens ont cessé de travailler, et même parmi ceux qui avaient un emploi à temps plein, très peu ont réduit leur temps de travail. En fait, un revenu garanti bien conçu incite les gens à travailler, car il complète les revenus des travailleurs pauvres et est beaucoup plus efficace que tous autres types d’aide sociale. »

Les politiques de défense des intérêts des plus riches s’appuient sur des théories particulièrement fumeuses. N’en soyons pas dupes !

Jacques Trémintin


Photo : Gratisography

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