Livre ouvert : Les machos nous coûtent cher

Pour être bien identifiés, les stéréotypes de genre n’en sont pas moins encore très répandus. Pour être discriminatoires, ont-ils pour autant un coût ? C’est la question, jamais étudiée jusque-là, qu’explore l’auteure, Lucile Peyrtavin.

le cout de la virilite

Dans les représentations courantes, l’homme se doit d’être fort, courageux, stable, actif dominateur, avisé, volontaire, porté à l’expansion et capable de raisonner. Du moins s’il veut être en conformité avec les attributions banalisée et courante du sexe masculin. Quant à la femme, elle est bien entendu naturellement programmée pour la maternité et présente des qualités qui lui sont propres : douce et aimante, passive et inconstante, soumise et incrédule, gouvernée par les émotions, irrationnelle et bien sûr inapte au raisonnement abstrait.

Tout semble confirmer cette répartition. Après tout, si les ouvriers du bâtiment et les joueurs de rugby sont à 98% et 97% des hommes, si et les aides à domicile et les danseuses sont à 97,7% et 93 % des femmes, n’est-ce pas parce qu’il y aurait adéquation entre les compétences sexuées d’un côté et ces fonctions professionnelles ou ces sports de l’autre ?

Contestation scientifique

Toutes les argumentations venant valider cette essentialisation genrée ont été déconstruites. La testostérone à l’origine de l’agressivité dix fois plus présente chez le garçon que chez la fille ? C’est en devenant violent que le taux de testostérone s’accroit, pas l’inverse. Un cerveau différent selon le genre ? A la naissance, il est le même, 10% seulement des connexions cérébrales étant réalisées. Et ce sont bien l’apprentissage et l’environnement qui contribueront à produire les connexions des 90% restantes.

En réalité, la démonstration en a été faite à de multiples reprises, les rôles féminins et masculins sont le fruit d’une longue construction culturelle, consolidée par le politique, la métaphysique, la religion et la science. Ils sont reproduits par l’éducation, par l’école et la société. Construction qui se reproduit de génération en génération. La socialisation qui intervient dès la naissance est différentiée selon l’attribution qui est faite de l’appartenance à un sexe ou à l’autre.

Tout est affaire de conditionnement. L’acculturation des filles les pousse à adopter des comportements altruistes, à la gestion de leurs motions et à la maitrise de leur corps.

L’acculturation du garçon à la violence se fait très tôt. L’incitation à des jeux vigoureux, à la domination et la prise de pouvoir sur les êtres et les choses s’accompagnent du renoncement à sa sensibilité, à ses émotions et à son empathie. Le culte de la force entraine le dénigrement des faibles (qu’ils soient d’ailleurs hommes ou femmes). C’est à ces conditions qu’il sera possible de se montrer à la hauteur des attentes induites par la virilité.

L’addition

Le problème tient non seulement dans les fortes discriminations qu’induisent tous ces préjugés, mais aussi à leur coût pour la société. Que représentent les 83% d’infractions pénales, les 90% de condamnations judiciaires, les 86 % de mise en cause pour meurtre et les 95% pour les vols avec violence, les 99% de viols, des 86% des accidents de la route mortels … qui sont portés par seulement les hommes ?

Lucile Peyrtavin consacre les cinquante dernières pages de son livre à des savants calculs structurés autour de formules mathématiques tout aussi érudites. Cela permettra aux amateurs de vérifier son raisonnement. Tenons-nous en, ici, aux résultats. Pour notre société, cela nous coûte la modique somme de 95,2 milliards d’euros par an !

Ne serait-il pas temps de changer les modalités d’éducation de nos garçons, en les ouvrant à une autre perspective que cette virilité qui bat et qui tue, qui viole et qui domine, qui écrase et pervertit… et qui nous ruine ?

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  • Le mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes ?  Olivia Gazalé, Ed. Robert Laffont, 2017, 419 p. Produites non par la nature, mais par une construction culturelle, les distinctions de genre ont placé l’homme au centre de l’univers.
  • Contre les femmes, Abram De Swaan, Éd. Seuil, 2021, 368 p., Trois époques forment les trois parties de ce livre : la domination patriarcale, le mouvement d’émancipation féminine et la réaction masculiniste qui y répond.
  • Pères solos, pères singuliers, Patrice HUERRE et Christilla Pellé-Douël, Éd. Albin Michel, 2010, 148 p., La situation n’est pas nouvelle. Les 10% de mortalité en couche, qui auront perduré pendant longtemps, confrontaient déjà les veufs à la responsabilité solitaire de leurs enfants. Ce qui est bien plus inédit, c’est le choix de certains pères de vivre seul, allant parfois jusqu’à renoncer à toute relation de couple pour consacrer toute leur affection à leur rôle parental.
  • Pourquoi les pères travaillent-ils trop ? Sylviane Giampino, Éd Albin Michel, 2019, 280 p., Trois pères sur dix ne prennent pas leur congé paternel à la naissance de leur enfant. Pour quelles raisons le travail pèse-t-il tant sur les autres sphères de leur vie?
  • Dossier sur l’égalité hommes/femmes Tournons le dos aux fantasmes et aux délires et tentons d’y voir un peu plus clair sur cette quête d’équilibre et d’équité entre les hommes et les femmes qui pour avoir quitté l’actualité, reste un sujet essentiel.

 


Bonus

Le long chemin de l’égalité filles garçons

Titulaire d’un doctorat en géographie du genre, Edith Maruéjouls est experte en politiques jeunesse, en lien avec celles de la ville. Elle nous propose de mettre en lumière les stéréotypes sexués, le sexisme et les inégalités réelles qui en découlent, non seulement dans la société française mais avant tout dans les pratiques quotidiennes des espaces de loisirs destinés aux enfants et aux jeunes.
 
Quelle perception avez-vous de la gestion de la mixité dans le monde de l’ animation ?  
Edith Maruéjouls : Ce n’est pas simplement une perception que je peux vous proposer, mais le résultat d’une recherche issue de ma thèse de doctorat intitulée « mixité, égalité et genre dans l’espace de loisirs des jeunes ». Je me suis interrogée sur ce que pouvaient vivre les filles et les garçons, dans leurs loisirs, quand elles/ils sortent de l’école ou du collège. Je me suis plus particulièrement intéressée à trois secteurs : celui des sports, celui des activités artistiques et culturelles et enfin celui des maisons de jeunes. Le constat est clair : si, dans les accueils collectifs pour mineurs, la règle jusqu’à 12 ans c’est la mixité, au-delà, la norme est bien la non-mixité. Et encore, lorsque le public est mélangé, les activités proposées, elles, ne le sont pas.

Les activités proposées aux enfants et aux jeunes ne seraient donc pas neutres, mais orientées selon le genre ?
Edith Maruéjouls : il ne s’agit pas tant de rechercher la neutralité que de combattre les stéréotypes de genre. Quand on propose, par exemple, une activité « couture », les garçons vont considérer que ce n’est pas pour eux. Si l’on annonce des activités « carnaval » ou « fabrication de costume », ils s’autoriseront peut-être à s’y inscrire. La question est bien de savoir comment présenter les animations, afin de favoriser la participation de toutes et de tous, sans provoquer des réflexes en fonction de l’appartenance sexuée. Il en va de même pour « jeux de balles » plutôt que « foot » ou encore « développement corporel » plutôt que « danse ».

La nature du travail mené selon que l’on est animateur ou animatrice est-elle identique ?

Edith Maruéjouls : le travail dans l’animation, que l’on soit homme ou femme, répond aux mêmes exigences de respect de normes de sécurité, de méthodologie et de pédagogie. Chacun(e) développe ensuite des appétences propres pour telle ou telle spécialité ou technique sportive, culturelle, manuelle. L’important est bien plus dans l’objectif éducatif que l’on fixe à ces activités et plus précisément l’intention implicite ou explicite d’ignorer ou de conforter les stéréotypes de genre ou encore de les combattre consciemment et surtout sciemment. Là aussi, on peut reprendre des exemples simples. C’est d’abord, peut-être, le soin apporté à constituer des binômes mixtes, en évitant de privilégier les animateurs garçons auprès des adolescent(e)s au prétexte qu’ils se montreraient plus compétents en matière d’autorité et les animatrices filles auprès des petits, car elle se seraient plus maternantes. Il en va, tout autant, pour la menée des animations, en n’affectant pas systématiquement un animateur à l’activité foot et une animatrice à l’activité cuisine, mais en proposant une alternative de pensée aux enfants et aux jeunes. Cela nécessite de s’interroger sur ce qui va motiver son public : est-ce le contenu de ce qui est proposé ou le genre de l’adulte qui l’anime ? Comment va réagir le groupe ? Va-t-il préférer suivre son animateur/trice préféré(e) ou choisir à partir de l’animation programmée. Cela me semble essentiel de casser l’idée reçue voulant que tel domaine serait, par nature ou par essence, dédié au masculin ou au féminin.

Mesure-t-on l’impact de ces préjugés sur le terrain ?
Edith Maruéjouls : c’est ce que j’ai abordé dans ma recherche. Mon raisonnement était simple. Si un hôpital devait être fréquenté par 90 % d’hommes, on s’interrogerait sur les raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas accès aux soins. Je me suis posé la même question pour l’accès aux loisirs qui, financés par l’impôt, renvoie aux principes républicains et démocratiques d’égalité de droits. Les résultats sont sans équivoques. Pour ce qui est des disciplines sportives, il y a un déficit dans l’offre : non seulement les équipes sont ouvertes soit aux filles, soit aux garçons, mais il y a bien moins d’équipes féminines : le rapport féminin/ masculin est de 30%/70%. Pour ce qui est du secteur artistique et culturel, l’offre est bien plus équilibrée. Mais, la répartition est basée sur le genre : il n’y a, par exemple, aucun garçon dans les clubs de danse. Pour ce qui est des maisons de jeunes, aucune distinction de sexe n’est affichée quant à l’accès aux  lieux, mais la légitimité de la présence des filles n’est pas toujours validée. La parité peut donc masquer la non-mixité et la mixité peut masquer l’inégalité dans la fréquentation. Trop souvent, on retrouve la répartition genrée traditionnelle : l’espace public réservé aux garçons, les filles étant renvoyées vers l’espace privé.

Comment peut-on concrètement modifier cet état de fait ?
Edith Maruéjouls : en travaillant activement à faire reculer ces inégalités. Notre société s’est engagée dans une démarche d’égalité législative et d’égalité réelle. Mais on constate combien les résultats sont bien loin de répondre à cette ambition, que ce soit en matière économique (égalité des salaires homme/femmes), au sein des couples (participation aux tâches ménagères, par exemple), de vie sociale (présence dans la vie politique). Des progrès ont été accomplis. Mais, il reste beaucoup encore à faire. Et cela commence dès l’enfance. Dès lors où l’on se fixe pour objectifs de déconstruire les stéréotypes sexués, bien des actions peuvent être menées. Des modules spécifiques peuvent être programmés lors des formations initiales et continues. Ce que le CNFPT propose déjà, d’ailleurs. Les expertises existent et peuvent être sollicitées. Des programmes sont même financés par l’Europe qui est très sensible et en pointe sur ces questions d’égalité entre les sexes. Il est possible de monter des actions, en s’appuyant sur des partenariats locaux ou nationaux. Mais, il faut surtout faire confiance à l’intelligence collective des professionnels de terrain qui sont tout à fait capables d’une grande créativité, quand il s’agit d’imaginer des actions pour favoriser le vivre ensemble. Cela commence par le partage des tâches communes dès que les garçons ne veulent pas nettoyer la table du goûter et que les filles se proposent spontanément à le faire. Il ne s’agit pas de s’opposer aux normes de la famille, si celles-ci sont fondées sur le genre, mais de proposer d’autres valeurs. Cela a toujours été l’ambition de l’école républicaine de proposer une parole alternative. J’ai ainsi accompagné des enseignants, pendant cinq ans, dans une école maternelle. Les résultats ont été très intéressants : les petites filles se voyaient devenir camionneuse et les petits garçons puériculteur ! C’est comme lorsqu’on jette un petit caillou dans l’eau : les ondes successives qui se propagent sur la surface de l’eau peuvent aller très loin.

Propos recueillis par Jacques Trémintin pour le Journal de L’Animation n°168 (avril 2016)

 


photo : default 08Freepik – @stockking

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