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Livre Ouvert | « D’une vague à l’autre… Elles et ils racontent » : regards croisés sur la période Covid

C’est un travail impressionnant qu’a réalisé la biographie Sylvie Lafaurie. Elle vient de publier deux ouvrages conséquents qui nous rappellent la période COVID entre 2020 et 2022. Certes, nombreux sont celles et ceux qui souhaitent « oublier » ce moment si incroyable qui nous a conduit à être confinés à plusieurs reprises. Tant de questions, de sidération, mais aussi d’incompréhension ont alimenté nos esprits. Des esprits perturbés par cette perte de liberté, mais aussi par cette peur de la maladie qui nous a fait craindre l’hospitalisation et la disparition des êtres qui nous sont chers.

les 2 livre auteure au centre

Sylvie Lafaurie a vite été convaincue qu’il fallait garder une trace de ce moment si particulier qui a fait basculer de nombreuses vies. L’idée, s’est-elle dite, est de savoir garder trace de ce qui s’est passé. Non pas d’un point de vue universitaire, mais plutôt du point de vue de chacun, qu’il soit artiste, scientifique, soignant, tout simplement habitant d’une région touchée par la pandémie.

L’autrice a effectué plus de 345 entretiens de quelques 151 témoins venus de tous les horizons. Certains témoignages sont anonymes, d’autres identifiés. Cette pluralité de regards a quelques chose de vertigineux. Il est impossible de résumer tout ce qui est décrit. Nous plongeons dans des vies empêchées ou du moins très perturbées. Les agendas volent en éclat. Tout ce qui était prévu, organisé et planifié n’a plus lieu d’être. Chacun à sa manière explique comment les décisions gouvernementales impactent leurs vies. Comme Maéva étudiante qui doit redoubler de prudence. Avec sa mère, elle est atteinte d’une maladie auto-immune…

On retrouve celles et ceux qui sont confinés et doivent rester chez eux, mais aussi toutes ces personnes qui continuent de travailler pour notre bien commun.  Camille, 23 ans, aide-soignante, enchaine de très longues journées et se fait insulter parce que sa voisine lui reproche d’apporter la maladie. La parano chez certains se développe. D’autres au contraire s’investissent pour aider les autres. Le livre regorge de multiples témoignages parfois contradictoires, à l’image de la diversité humaine. On peut croiser les pires égoïstes adeptes du chacun pour soi, que l’on soit ou pas, tenaillé par la peur. Puis il y a tous ces actes de solidarité, ces initiatives qui se déploient dans la discrétion. Ceux dont on ne parle pas.

Pour certains, c’est le retour du don, de l’écoute bienveillante et de l’aide désintéressée. Pour d’autres, c’est l’opportunité de continuer à faire des affaires alors que la crainte de la faillite et du dépôt de bilan sont bien là. Les commerçants ne sont pas toujours obligés de baisser le rideau, mais leurs commerces sont très entravés. Le tourisme est quant à lui totalement arrêté. Marielle, hôtelière, parmi d’autres nous explique comment elle s’en sort.

Une préoccupation demeure : celle de se nourrir convenablement. Les témoignages sont là : chacun redécouvre l’intérêt de savoir cuisiner, de pouvoir s’approvisionner. Chacun y va de son astuce ou de son savoir. Christelle, bibliothécaire, nous raconte comment elle s’est organisée pour acheter en quantité, quitte à contribuer à provoquer la pénurie.

Le livre nous présente des dizaines et des dizaines de témoignages, mais aussi quelques extraits d’articles de presse pour nous resituer le contexte et les sujets d’actualité. Cela touche de multiples champs : social, sociétal, médical, culturel, éducatif… le lecteur appréciera la diversité des sujets abordés même s’il risque de s’y perdre un peu.  Il faut parfois revenir au sommaire pour savoir où l’on en est. Cela commence avec le rapport à son intérieur. Normal, nous sommes confinés et le « chez soi » a pris une dimension importante. Le télétravail modifie nos habitudes et cette crise révèle nos personnalités.

Puis, nous entrons dans le quotidien des enseignants et des élèves. Certes les écoles sont fermées, mais il faut s’organiser pour que l’on ne perde pas en route les enfants. À Paris, ce sont pas moins de 6000 écoliers qui sont sortis des radars sur la période 2020-2021. C’est la foire à la débrouille du primaire jusqu’à l’Université. On apprend aussi que les associations constatent le développement du proxénétisme qui dépasse largement les limites de la banlieue. 10.000 mineurs en sont victimes dont une grande majorité de jeunes filles agées d’une quinzaine d’année.

Tout un chapitre est consacré à la culture. Il est intéressant de comprendre les évolutions des pratiques culturelles tant du point de vue des créateurs que des « consommateurs ». Les artistes, eux aussi, sont empêchés. Les galeries d’art sont fermées, les peintres ont posé leurs chevalets. On n’a pas vraiment parlé des évènements artistiques qui sont à l’arrêt.

Parmi les multiples sujets abordés, il y a aussi des témoignages qui nous montrent comment les décisions prises par les autorités ont été un terrain propice aux théories du complot. Sans prendre position, l’autrice donne la parole à ces personnes qui doutent et mettent en cause l’idée même de pandémie. Il y a aussi ceux qui expliquent comment les fake-news ont pu si facilement se développer.

Que dire d’un tel ouvrage ?

D’abord qu’il aborde une multiplicité de sujets à travers les paroles de centaines d’intervenants au point que le lecteur peut être pris de vertige.  Il y a trop à dire et sans doute à lire. Il ne m’a pas été possible de lire « Laissez-passer, le tome 2 » de ce livre de 467 pages de façon linéaire. Il vaut mieux à mon sens aller directement sur certains chapitres selon ses propres choix. Il faut apprivoiser ce livre pour en lire quelques pages ou chapitres à son rythme. C’est un livre qui oblige à se mettre en pause le temps d’une réflexion après tel ou tel témoignage que le lecteur rapportera avec intérêt à ses propres souvenirs.

Les témoignages recueillis sont inégaux. Certains se résument à un simple paragraphe, d’autres s’étendent sur plusieurs pages. Il y a ceux qui sont recueillis sous couvert d’anonymat et ceux qui sont clairement identifiés. Il est très intéressant de les rapporter à la profession de celui qui parle. Ce choix de l’autrice est bienvenu. Il permet souvent de comprendre la manière dont telle ou telle personne se positionne. Nous avons là la parole des experts du quotidien. Personne n’est oublié, du SDF au chef d’entreprise que l’on soit de profession intellectuelle ou manuelle, tous ont droit à la parole. C’est ce qui fait la richesse du livre.

L’autrice a bien pris garde à ne pas prendre parti. Aucun jugement de valeur n’est exprimé. Certains propos peuvent donner envie de réagir, voire de protester, mais Sylvie Lafaurie ne tombe pas dans ce piège. Elle nous laisse réfléchir. Que gardons-nous en mémoire ? Ces témoignages sont le reflet de ce que chacun a pu rencontrer ou percevoir de sa propre expérience. Ils nous font prendre conscience de la complexité de la pensée humaine, mais aussi de nos comportements qui ne sont pas toujours rationnels.

Ces témoignages ravivent nos souvenirs à un moment où une majorité de la population veut oublier ce temps suspendu.  Alors que certains nous disaient qu’il y aurait un avant et un après COVID-19, force est de constater que l’homme est revenu à ses anciens démons. La consommation, la production, l’économie et la rentabilité. Le culte de l’avoir avant celui de l’être oblige à vite oublier ce qui a été si important dans nos vies. La crise sanitaire nous a enjoint à regarder l’essentiel.  Il est surprenant qu’aujourd’hui personne ou presque n’ait envie d’en parler.

Un ami journaliste m’a récemment confié que son éditeur avait constaté que les articles de son magazine, lorsqu’ils abordaient la période COVID étaient moins lus que les autres. Il en a été de même pour mon propre livre qui traitait de ce sujet.  Celui de Sylvie Lafaurie risque de pâtir de ce désintérêt du lectorat souhaitant oublier cet épisode si particulier. Il faut espérer qu’il rencontrera ses lecteurs, peut-être à la veille de nouveaux évènements à venir.

Quel que soit son succès en termes de ventes à court ou moyen terme, ce livre garde un intérêt pour l’histoire. Pas celles des « grands hommes » mais celle de ceux qui ont vécu au quotidien et dans leur chair cette pandémie mondiale. Les chercheurs, universitaires tels les sociologues trouveront là des paroles authentiques, sans filtres qui seront une matière précieuse pour mieux comprendre notre époque, que ce soit demain, dans dix ou cinquante ans.

Edgar Morin a parlé de cet ouvrage de façon élogieuse : c’est, a-t-il écrit, « un livre important pour ces moments de notre histoire, une belle aventure humaine ». Tout est dit ou presque dans ces quelques mots.

 

 

Pour en savoir un peu plus sur les témoignages, vous pouvez consulter le site dédié à ces deux ouvrages

lire aussi

 


Entretien avec Sylvie Lafaurie au sujet de son ouvrage « d’une vague à l’autre… Elles et ils racontent »

Pourquoi avez-vous choisi ce thème pour votre livre ? Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Au printemps 2020, je travaillais à deux biographies et n’avais pas l’intention d’écrire un livre. Comme chez beaucoup d’entre nous, le téléphone sonnait souvent en ce mois de mars, apportant questionnements et craintes. Un midi, mon amie Victoire infirmière au bloc du CHU de Strasbourg, appela et me raconta en larmes son affectation au service Covid et ce qui s’y passait : on triait les malades, on n’avait pas de masques, on n’avait pas de matériel, le service était bondé et elle était épuisée par des heures et des heures supplémentaires. Un patient « non prioritaire » venait de décéder dans ses bras… J’ai été ? Glacée. Nous en étions là, en France. Voilà, je suis biographe et l’instinct d’écrire, de garder la trace s’est imposé. Il faudrait se souvenir : pour ce monsieur décédé ainsi, et pour tous les autres, pour mon amie soignante, et pour tous les autres, pour nous tous. Et j’en ai parlé à Victoire… Offrir un espace d’expression. Il y avait tant à dire, à analyser. Et puis écrire pour se souvenir, au fil du temps. Et s’interroger. Un recueil de vécus construit et structuré – un documentaire.

Vous parlez de 2 vagues, je vois bien celle liée à la pandémie mais l’autre ?

Je parle des vagues successives de la pandémie. Cette allégorie de la vague qui submerge et emporte tout sur son passage !

Comment avez vous fait pour recueillir autant de témoignages de pays si différents ? trois cent quarante-cinq entretiens c’est énorme et plutôt impressionnant.

J’ai trouvé les participants en partant de ma famille, de mon entourage. Puis de leurs amis et des amis des amis et d’autres contacts au fil du temps. Effet boule de neige. Certains vivent loin, d’autres non. Des témoins trouvés dans les médias, des personnes célèbres aussi. Oui, 345 entretiens et 151 participants qui ont tous validé leur texte. Effectivement, je reconnais : c’est beaucoup.

Comment avez fait pour que le lecteur ne se perde pas dans la masse des témoignages.

Le texte est articulé autour d’une architecture ; les témoignages découpés. Les premiers retours de lecture parlent de fluidité et de facilité à la lecture. J’ai fait de ce travail un concept : lorsqu’un accident se produit dans la rue, un attroupement se forme. Chacune des personnes présente a son regard sur la situation, en fonction de qui elle est.

Quel est votre message au final ? Que souhaitez vous transmettre de cette expérience d’écriture ?

Oh ! Il y a beaucoup de messages dans D’une vague à l’autre… ; chaque personne s’est exprimée librement. Pas de grille de questions, pas de censure.Il y a de la colère, des larmes, du mal-être, de la rancune ; mais aussi, de l’espoir, des promesses. Les individualités, l’humanité universelle, une condition humaine, le quotidien…. La vie. C’est un magnifique projet aux rencontres totalement inattendues. Passionnant, un kaléidoscope sociétal.

 


Les photos ont été fournies par Sylvie Lafaurie

 

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