À l’heure où les contre-vérités et les mystifications s’accumulent en matière d’immigration, on ne peut qu’accueillir avec intérêt tout ce qui vient contrecarrer ces infox. Le livre de Louis Imbert y parvient avec succès.
D’abord, l’état des lieux. Bien des raisons concourent à l’immigration en un autre pays que celui de sa naissance. Rejoindre un proche, étudier, découvrir une autre culture, fuir une guerre ou des persécutions, trouver un travail ou s’éloigner de la misère vécue …
Le nombre de migrants a augmenté. Ils étaient 272 millions dans le monde en 2019, contre 153 millions en 1990. Cela peut sembler important et ça l’est. Mais cela ne représente que 3,5 % de la population mondiale. Mais l’essentiel de ces mouvements de populations se déroule à l’intérieur des mêmes frontières nationales, d’une région nationale à une autre.
Notre pays est bien loin d’être en tête des nations ouvrant leurs frontières. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les premiers pays d’accueil sont la Turquie (3,7 millions), la Colombie (1,7 millions), le Pakistan (1,4), l’Ouganda (1,4) et l’Allemagne (1,2). Quand il y a franchissement des frontières, ce sont à 86 % les pays dits en voie de développement qui accueillent, contre 14 % dans les pays développés.
Et la France ? Dans l’union européenne, elle se situe au 15ème rang en termes de proportion d’étrangers dans sa population. Leur présence représentait 6,6 % de la population nationale en 1931, et 6,82 % en 1980. En 2020, ce chiffre a atteint les 7,2 %. On est loin de la submersion migratoire.
Pour ce qui est du nombre de réfugiés accueillis, il a doublé entre 2010 et 2020. On en compte aujourd’hui 455.295. C’est beaucoup. Mais rapporté aux habitants de notre pays, ce chiffre représente 0,68 % de la population française, soit un rapport de 1 pour 150. Pas étonnant, qu’en 2016, notre pays se soit trouvé au 16ème rang en Europe pour leur accueil !
L’origine de la xénophobie
Il y a toujours eu concomitance entre xénophobie et crise sociale. Louis Imbert identifie trois périodes dans notre histoire marquées par la chasse aux étrangers. A chaque fois des journaux, des intellectuels et des politiciens déploient la même rhétorique les accusant d’être responsables du chômage et/ou de l’insécurité.
La dépression économique de 1880, la crise économique des années trente et celle qui intervient dans les années 1970 coïncident avec les mêmes campagnes xénophobes. L’invasion migratoire désigna un temps le breton, l’auvergnat ou le savoyard. Elle s’en prit dans le dernier quart du 19ème siècle aux belges et aux italiens. Puis ce fut le tour des juifs et des réfugiés fuyant le nazisme avant-guerre. Et enfin les immigrés d’Afrique du nord.
A chaque fois, les mêmes expressions sont alors employées. « Nuées d’étrangers qui s’abattent sur notre pays » (1888). « La vermine qui menace de remplacer la race française » (1927). « Incompatibilité des races quand elles se partagent le même milieu ambiant » (1973). Le fantasme du « grand » remplacement n’est pas nouveau, réapparaissant à chaque fois.
Si aucune étude n’a permis d’établir une relation de cause à effets entre la densité d’étrangers et leur rejet ou l’augmentation du chômage, celles qui ont été menées démontrent combien cette présence est profitable pour notre pays. Comme durant les « trente glorieuses », au cours de laquelle une telle stigmatisation était inexistante. Peut-être est-ce parce que notre pays avait tant besoin des migrants pour (re)construire la France, qu’elle fit appel à eux massivement.
Aujourd’hui, les mêmes fantasmes sont ressassés : « déferlante », « submersion », « corps étranger », « invasions barbares » … Le discours anti-immigrés prospère. Les politiciens de tous bords n’ont pas laissé à Jean-Marie Le Pen le monopole de la xénophobie. C’est François Mitterrand parlant du seuil de tolérance. C’est Michel Rocard affirmant que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». C’est Jacques Chirac dénonçant « les bruits et les odeurs » des étrangers, etc…
Pourtant, à l’hostilité d’une partie de l’opinion publique s’oppose l’hospitalité de bien d’autres. Accueil, défense et soutien s’organisent au quotidien à l’égard de ces populations qui ont connu les pires épreuves avant de franchir nos frontières. La Colombie l’a bien compris, elle qui accueille à bras ouverts le 1,5 million de réfugiés en provenance du Vénézuela. Voilà un pays qui n’est pas envahi par cette panique morale qui désigne comme bouc émissaire un groupe de personnes présenté comme une menace pour la société et ses intérêts.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert » Il est signé Jacques Trémintin
- Les descendants d’immigrés, Emmanuelle Santelli, Ed. La Découverte, 2016, 125 p. Les descendants d’immigrés sont accusés de tous les maux. L’analyse de la réalité objective que nous propose Emmanuelle Santelli permet d’évacuer toute une série de fantasmes et d’idées reçues trop souvent ancrés dans l’imaginaire collectif.
- Ces enfants d’immigrés qui réussissent, Boussad Boucenna, Ed. L’Harmattan, 2016, 229 p., Les études fourmillent pour analyser l’échec scolaire, la délinquance ou les problèmes d’intégration des jeunes issus de l’immigration maghrébine. Par contre, il n’y en a guère pour décrire la réussite de ceux qui s’en sortent. Boussa Boucenna vient combler ce vide.
- On a tous un ami noir, François Gemenne, Éd. Fayard, 2020, 253 p., Comment contrer tous ces discours contre l’immigration qui contestent tout racisme au prétexte de l’existence d’un ami noir ? Sûrement, en lisant l’ouvrage de François Gemenne qui multiplie les démonstrations contre-intuitives.
- Avec l’immigration. mesurer, débattre, agir, François Héran, Ed. La Découverte, 2017, 300 p., Le débat autour de l’immigration est devenu une question centrale à travers le monde, empruntant des registres des plus violents. Renonçant aux invectives et aux diabolisations, François Héran fait entendre une voix de scientifique, avançant des arguments de démographe et non d’idéologue.
- La France raciste, Michel Wieviorka, Points Actuels-Seuil, 1993, 201p., La montée du racisme en France est concomitante avec la crise sociale qui voit le déclin de la société industrielle (et par conséquent du mouvement ouvrier) et une véritable dualisation, le fossé se creusant de plus en plus entre le monde du travail et celui de l’exclusion.
- De l’utilité des roms. Une peur populaire transformée en racisme d’État, Etienne LIEBIG, Ed. Michalon, 2012, 158 p., Ce que cherche ce livre, en définissant les mécanismes mentaux qui permettent de reproduire les mêmes discriminations et exclusions, de générations en générations n’est pas tant de déconstruire les représentations qui forgent notre inconscient, que pour les énoncer.
- Pourquoi rejetons-nous tant la différence ? (dossier sur la discrimination) Quand la discrimination sévit, elle peut se montrer ouvertement abjecte ou insidieusement hypocrite. Mais, à chaque fois, elle répand son fiel pour stigmatiser, dénigrer, inférioriser, mépriser … allant même parfois jusqu’à exterminer. Il est nécessaire d’en appréhender les causes, les mécanismes et les effets délétères.
Bonus :
« Face aux préjugés, les jeunes générations sont autant crédules que lucides »
Interview de Nicolas Céléguègne publié dans le Journal de l’animation n°209 (mai 2020). Formateur d’éducateurs spécialisés, de moniteurs éducateurs ou d’aides médicopsychologiques à l’IMF de Marseille et enseignant au GRETA, Nicolas Céléguègne, conseiller de Mission Locale, décrit ces mécanismes discriminatoires qu’il a si souvent combattus.
JDA : Quelles sont les principaux préjugés véhiculés par les enfants ?
Nicolas Céléguègne : La première chose que je voudrais dire, c’est que nous avons tous des préjugés. Une fois qu’on a admis cela, on peut d’autant mieux s’en distancier et faire la part des choses. Pour ce qui est des enfants, je crois qu’ils ne hiérarchisent pas spontanément leurs copains et que leurs amitiés se fondent sur d’autres critères que les différences apparentes ou non. Leurs affinités sont souvent singulières, sans rapport direct avec des détails discriminants. Bien sûr, il existe un harcèlement scolaire qui s’appuie sur la dissemblance : untel porte des lunettes, une autre est enveloppée, un troisième ne porte pas les dernières chaussures à la mode. Mais, on est là sur des mécanismes de groupe recherchant un souffre-douleur à partir de la fragilité et la faiblesse, la différence n’étant qu’un prétexte. Les enfants reproduisent beaucoup ce qu’ils entendent chez les adultes : leurs parents, en premier, mais aussi les professionnels qu’ils soient enseignants ou animateurs. J’ai vu, ces derniers temps, des voyageurs quitter des rames de métro aussitôt qu’y entraient des personnes ayant un type asiatique. Si des enfants présents assistent à de telles scènes, on peut penser qu’ils soient amenés à adopter des comportements analogues à l’encontre de leurs camarades de classe de la même origine ethnique.
JDA : et chez les ados ?
Nicolas Céléguègne : Chez les adolescents, c’est différent. C’est un âge où l’on se montre beaucoup plus critique et rebelle. La grande mode, aujourd’hui, c’est leur défiance à l’égard des médias et leur adhésion à ce qui se dit sur les réseaux sociaux et YouTube. Ils n’hésitent pas à affirmer que l’information diffusée par les radios, télévision ou journaux est mensongère et se montrer sensibles aux thèses complotistes. J’en ai même entendu affirmer très sérieusement que la terre était plate ! Autres préjugés qui perdurent malheureusement encore, ceux liés à l’antisémitisme. Et puis, il y a ces blagues sur les belges, les portugais, les chinois … qui relèvent autant de l’humour que de la stigmatisation. On ne va pas se mettre à interdire de rire. Il faut juste s’interroger sur ce qu’il y a derrière ces plaisanteries. Le grand classique des cours de récréation comme des centre de vacances, ce sont aujourd’hui les « histoires de blondes » assimilant les femmes ayant cette couleur de cheveux à des idiotes qui ne réfléchissent pas avant de parler ou d’agir. Ce type de plaisanterie véhicule un vrai mépris pour une catégorie de la population faussement assimilée en bloc à un bas niveau mental. L’histoire, l’actualité et notre entourage démontrent que c’est totalement faux.
JDA : Comment expliquez-vous la persistance de ces idées reçues ?
Nicolas Céléguègne : je vous renverrai au livre de René Girard « Le bouc émissaire » où il explique combien, à chaque fois qu’une société traverse une crise économique et/ou sociale qui bouscule ses valeurs, elle a besoin de se retrouver autour d’une identité commune et de rejeter les minorités qui s’en distinguent, les désignant comme victime aléatoire chargée de tous les malheurs, désordres et difficultés rencontrés. Aujourd’hui, on stigmatise facilement les fraudeurs au RSA, les homosexuels, voire les Roms.
JDA : Justement, pourquoi cette communauté est-elle si souvent montrée du doigt ?
Nicolas Céléguègne : l’imaginaire collectif véhicule depuis très longtemps la responsabilité des Roms dans tout ce qui va mal. On les admire quand ils se produisent au cinéma, dans un concert ou un spectacle de cirque. Mais, parallèlement, on les accuse d’être sales, d’exploiter leurs enfants, de voler et le comble de ne pas être chez eux. Or, leur migration en Europe remonte à il y a environ mille ans, n’ayant cessé depuis de circuler à l’intérieur du continent. Ils sont donc arrivés bien avant les descendants actuels des italiens, des polonais ou des portugais qui se sont installés en France au 19ème et 20ème siècle ! Leur stigmatisation est sans doute liée à leur mode de vie nomade, aux valeurs qu’ils portent sur le travail ou la famille. La pire des persécutions a été celle menée par les nazis qui en ont massacré entre 220 000 et 300 000. Ils ont compté avec les juifs, le plus grand nombre de victimes. Mais, il ne faut pas croire qu’ils ont ensuite été intégrés. Depuis toujours, ils essaient de survivre au sein d’une population qui les rejette et ne leur donne les moyens d’exister. Il a fallu attendre le 1er janvier 2014 pour qu’ils aient le droit de travailler en France. En 1969, une rumeur envahit Orléans : des magasins de vêtement juifs auraient équipé leur cabine d’essayage de trappe. Dès qu’une jeune femme y entrait, elle était kidnappée en vue de la prostituer dans le cadre de la traite des blanches. La même rumeur circule à Marseille, ressortant régulièrement. Mais là, ce sont des enfants qui seraient enlevés par le même système de trappe dans les cabines d’essayage. Mais cette fois-ci, ils seraient emportés dans des camions blancs conduits … par des Roms !
JDA : Comment réussir à combattre ces préjugés ?
Nicolas Céléguègne : je crois beaucoup aux vertus de l’éducation. Il est fondamental de donner aux enfants les clés d’interprétation leur permettant de faire la part des choses par rapport à ce qu’ils entendent dans leur famille, à la télévision ou sur internet. L’école propose déjà un enseignement pour décoder les media, pour savoir remonter la source de l’information, pour apprendre ce qu’ont subi les minorités dans l’histoire (même si ce n’est pas toujours suffisant à mon goût). Les Missions locales mènent aussi des actions contre les discriminations, en animant des ateliers avec des jeunes sur la base de leur vécu. Les Accueils collectifs de mineurs ont aussi une responsabilité importante dans ce combat. Mais, pas sous la forme de discours ou d’injonctions. Cela peut se faire par l’accès à une culture qui s’abreuve à toutes les traditions ethniques. Mais aussi, à travers une pratique sportive privilégiant le plaisir de jouer et le partage plutôt que la compétition qui célèbre les gagnants en mettant de côté les perdants. Ou encore des jeux coopératifs qui brassent les participants et les associent sans tenir compte de leurs différences.
JDA : Gagnerons-nous un jour le combat contre les préjugés ?
Nicolas Céléguègne : ce sera une bataille qu’il faudra mener en permanence. Toute la question est de savoir si l’on regarde le verre à moitié vide ou à moitié plein. Nous avons évoqué l’aspect plus négatif, à travers ces adolescents addicts aux réseaux sociaux et à ses fausses informations. J’ai néanmoins le sentiment que les nouvelles générations sont plus matures, moins crédules, plus réfléchies et responsables. Petit à petit, le sens critique progresse. J’espère que cela va s’amplifier. Mais, il est tout autant important de rappeler que la loi a aussi évolué : elle définit le racisme, l’homophobie, les discriminations en raison d’une religion etc … non comme une opinion ou un choix possible, mais comme un délit qui est punissable.
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2 réponses
C’est Michel Rocard affirmant que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Cette phrase est incomplète car il avait ajouté « mais elle doit en prendre sa part ». Il a dit cela devant un congrès de la CIMADE, en 1990 me semble t-il, auquel j’étais présent étant, à l’époque, conseiller technique au cabinet de Claude Evin en charge des questions d’immigration et d’intégration.
effectivement, comme Michel Rocard l’avoue dans un livre sur son experience de premier ministre, il a inversé – sous le poids de la fatigue – les deux propositions alors qu’elles étaient ecrites dans l’ordre: La France doit prendre toute sa part dans l’accueil des réfugiés, même si elle ne peut pas tous les accueillir. Il dit ensuite combien il a essayé de lutter contre l’exploitation de cette inversion.