L’air du temps est chargé de polémiques opposant les partisans et les détracteurs du « time-out ». C’est la version contemporaine du « coin » que beaucoup d’entre nous ont connu dans leur enfance (du moins pour les plus anciens). Ce temps mort imposé aux enfants dans une relation parfois chargée d’électricité est décrié par les tenants de l’éducation positive qui lui préfèrent le dialogue.
Des parents revendiquent ce « time-in » qui, en validant et accompagnant les émotions de l’enfant, l’aide à les réguler. Renforcement positif contre renforcement négatif : le match est engagé, à coups de tribunes libres publiées dans les journaux. Un livre rédigé par une journaliste américaine permettra-t-il de départager les deux camps ? Rien n’est moins sûr !
Son argumentaire principal ? Et si les principes éducatifs de l’occident n’étaient finalement un épiphénomène tout à fait inadéquat au regard de ceux mis en œuvre depuis des dizaines de milliers d’années par les cultures traditionnelles de chasseurs-cueilleurs ? Leur savoir-faire séculaire et leur savoir-être ancestral privilégient la coopération plutôt que le conflit, la confiance plutôt que la peur, les besoins personnels plutôt que les standards pédagogiques rigides.
Michaeleen Dorcleff est allée enquêter auprès des Mayas (Mexique), des Inuits (Canada) et des Hazdas (Tanzanie). Elle y a trouvé des enfants d’une grande serviabilité, qui maîtrisent leurs émotions et qui acquièrent très tôt une grande autonomie. Quel est donc le secret de ces pratiques éducatives ?
Alors que nous consacrons une énergie folle à distancier le monde des enfants de celui des adultes, les Mayas font en sorte de les lier intimement. Ils laissent leurs enfants se mêler en permanence à leur quotidien, les encourageant à imiter leurs gestes, même si c’est maladroitement, à reproduire leurs activités au risque de les freiner. Peu importe : ce qui compte, c’est cette proximité éminemment éducative. Résultat : ils participent naturellement aux tâches ménagères que nos enfants considèrent comme des corvées à fuir !
Alors que nous manifestons ostensiblement notre irritation et notre colère face aux bêtises de nos enfants, les imprégnant ainsi de nos réactions négatives considérées comme autant de modèles comportementaux, les Inuits prennent bien soin de contrôler leurs émotions. Leurs propres enfants reproduisent les attitudes apaisées dont ils sont témoins en permanence. Ils apprennent comment gérer leurs frustrations, à la manière de ces adultes qui montrent l’exemple.
Alors que notre autoritarisme et notre volonté de contrôle encouragent la passivité et/ou la révolte, les Hazdas laissent une large place à l’autonomisation. Plutôt que de dire comment faire, ils favorisent l’expérimentation de leurs enfants qui sont incités à trouver leur propre voie, en essayant, échouant, recommençant, par essai et erreur.
Alors que couple parental (ou pire l’un des deux parents seulement) s’épuise à assumer l’éducation de ses enfants, ces peuples déploient une alloparentalité étendue qui forme une vaste carapace protectrice. L’enfant peut découvrir à son rythme le monde qui l’entoure et identifier ses potentialités et ses dangers, ses faits et gestes étant sous le regard bienveillant d’une communauté qui veille de loin sur lui.
Alors que les parents occidentaux cherchent à ce que leur descendance se conforme au plus vite à un modèle idéal, ces peuples laissent le temps à leurs enfants d’acquérir les compétences nécessaires. Ils sont considérés comme naturellement immatures et sont respectés dans la temporisation incontournable face à l’acquisition progressive de ce discernement qui est sensé caractériser l’âge adulte.
Oui, mais il n’y a que peu d’adéquation entre le contexte de ces techniques éducatives et notre monde moderne, réagiront bien des lecteurs. Avoir toujours les gamins dans ses pattes, cultiver la passivité émotionnelle face à leurs bêtises, compter sur la famille élargie, ne pas brusquer la maturation … ça fonctionne peut-être dans l’idéal, mais dans la vraie vie c’est utopique … Voire ! Car, Michaeleen Dorcleff a testé ces approches pour le lecteur. Elle met en scène sa propre vie de famille, montrant les changements qu’elle a opérés avec son mari dans l’éducation de leur petite fille, en s’inspirant de ses découvertes.
Étonnant et déstabilisant !
« Chasseur, cueilleur, parent », Michaeleen Dorcleff, Éd. Leduc, 2021, (478 p. – 21,90 €)
Lire aussi sur le site de Jacques Trémintin :
- Et si nous laissions nos enfants respirer ? Comprendre l’hyper parentalité pour mieux l’apprivoiser Humbeeck Bruno, Ed. Renaissance du livre, 2017, 236 p. Faites-vous partie de ces « parents-hélicoptère » qui exercent un contrôle permanent sur tout ce qui concerne son enfant ?
- Nos enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistages, médicaments… Giampino Sylviane & Vidal Catherine, éd. Albin Michel, 2009, 284 p. Toute éducation se confronte à deux ambitions quelque peu contradictoires : préparer nos enfants à s’adapter aux attentes de la société, tout en évitant de formater leur personnalité.
- Pour une éducation sur mesure, Fize Michel, Éd. Mimesis, 2018, 132 p. La plupart des informations qui sont diffusées sur les adolescents proviennent de cas pathologiques que l’on généralise pour en faire une réalité universelle
- La bonne éducation. Parents, réappropriez-vous l’éducation de vos enfants, LIEBIG Etienne, Ed. Michalon, 2016, 214 p. Trop souvent, on mesure la pertinence des principes éducatifs à l’aune des derniers courants de pensée en vigueur. Or, l’histoire de l’éducation, c’est l’histoire de sa relativité.
- Il n’y a pas de parents parfait, Filliozat Isabelle, JC Lattès, 2008, 306 p. Il faut en finir avec le mythe du parent qui sait toujours ce qu’il faut faire pour y arriver et de l’enfant qui vient combler les attentes placées en lui.