Chaque profession possède sa part d’originalité qui sort de l’ordinaire. A lire le livre de Carole Benveniste Thorez, il apparaît que la profession d’assistante sociale est quand même plus extra-ordinaire que bien d’autres.
Puissance de l’empathie et force de la compassion, tels sont les qualificatifs utilisés dans la préface. Le lecteur ne pourra que s’en convaincre en suivant les mille et une aventures de cette professionnelle. L’auteure n’a pas choisi de chroniquer la dimension routinière qui n’échappe pas ce métier, pas plus qu’à un autre. Elle nous plonge dans l’improbable, l’inattendu et l’impensable. Mais aussi inimaginables que puissent être ces courts récits, toute assistante sociale pourrait en décrire d’aussi surprenants.
Faut-il avoir peur de recevoir cet usager qui a récemment envoyé une chaise à travers le bureau de l’assistante sociale scolaire ? C’est sans doute l’inconscience du danger qui peut le mieux parfois garantir du risque encouru. Encore faut-il vérifier que ce patient schizophrène sous traitement l’a bien pris, avant de l’accueillir seule dans son bureau !
La visite à domicile peut confronter à bien des surprises. Celle par exemple de devoir assurer l’entretien sur le perron et assise dans le couloir de l’immeuble, l’usager étant quant à lui confortablement installé dans son vaste logement de … 2 à 3 m² ! Ou bien découvrir une personne âgée allongée sur son lit, comme morte. Jusqu’à ce que le cadavre se mette à bouger !
L’action sociale aide les vivants, mais aussi peut sauver de la mort. Cette femme était sur le point de se pendre. L’arrivée de l’assistante sociale l’en dissuadera. Cette avocate réfugiée après avoir fui son pays, se noie dans l’alcool. L’attention et la bienveillance déployées lui permettront de s’en sortir. Ce SDF semble totalement perdu. Son hospitalisation en urgence à l’initiative de l’auteure permettra de détecter et d’opérer une tumeur au cerveau, grosse comme une orange.
Parfois, les logements visités sont quand même un peu négligés. Ce monsieur a pris l’habitude d’étendre ses matières fécales sur les murs. Le fils de cet autre n’a rien trouvé de mieux que de confier ses quarante chats à son vieux père, en attendant de trouver un nouveau logement. L’odeur est pestilentielle. Sans compter ce syndrome de Diogène qui fait accumuler des objets, y compris des produits périssables, sans autre raison que la pulsion d’accumulation.
En voie d’insertion, Monsieur est rentré fortement alcoolisé à son domicile. Il roue de coups sa femme. Jugé, il décide d’accepter le verdict, sans se défendre. Il considère qu’il a mérité la sanction qui lui sera infligée. Il sortira d’incarcération, avec la ferme intention de se réinsérer. Ce qu’il réussira brillamment.
Et puis il y a ces soupçons qu’il faut étayer. Un signalement aussitôt bloqué par la hiérarchie qui ne le considère pas comme crédible. Jusqu’à ce qu’une descente de police découvre un trafic d’enfants et une activité de proxénétisme. Ou, au contraire, une évaluation demandée suite à une alerte au numéro vert enfance maltraité. Finalement, il n’y a pas aucun enfant enfermé dans aucun placard !
Bien sûr, le travail d’assistant de service social ce n’est pas que cela. Mais c’est aussi ça ! La plus-value de cette profession ne tient pas dans le chiffrage de statistiques à propos d’objectifs à atteindre, mais dans l’écoute, dans la bienveillance et dans l’absence de jugement, véritable triptyque de l’accompagnement social. Tout le monde ne se sentira peut-être pas prêt à l’exercer. Quand il lira le parcours de vie de l’auteure résumé dans la dernière partie de son livre, le lecteur considèrera que c’est là la bonne personne au bon endroit.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
- Le service social du travail. Avatars d’une fonction, vicissitudes d’un métier , François Aballea et Charlotte Simon, L’Harmattan, 2004, 286 p., S’il est bien un paradoxe pour l’assistante sociale du travail, c’est d’avoir été en partie à l’origine de la profession et pourtant d’être largement méconnue.
- Assistante sociale aujourd’hui, Brigitte Bouquet et Christine Garcette, Maloine, 2011, 191 p., Tout ce que vous avez toujours voulu savoir du métier d’assistant de service social, sans n’avoir jamais osé le demander est sans doute là
- Chroniques d’une assistante sociale en milieu médico-social, Christine Maurey, Ed. L’Harmattan, 2016, 139 p., Cela fait vingt-cinq ans que Christine Maurey a été recrutée dans un établissement médico-social accueillant des enfants porteurs d’un handicap sensoriel. Non seulement elle ne regrette rien, mais elle nous livre pour notre plus grand plaisir un récit attachant de son expérience
- Les assistantes sociales à l’école, Pascale Garnier, Puf, 1997, 220 p., Les assistantes sociale scolaires se définissent clairement comme porte-parole des enfants et de leurs droits face aux adultes et aux institutions.
- Assistante sociale – Un métier entre indétermination et technicité, Aline FINO-DHERS, L’Harmattan, 1994, 118 p., En écho au débat qui agite le secteur social depuis quelques années et qui s’attache à comprendre les raisons de la crise d’identité de ses acteurs, Aline Fino-Dhers nous apporte sa contribution sur la problématique qui touche le métier d’assistant social.
- Le travail social à l’épreuve de la rencontre, Charline Olivier, Ed. L’Harmattan 2016, 185 p., Après seize ans d’exercice du métier d’assistante sociale, Charline Olivier a choisi de prendre la plume, pour écrire son quotidien
- Assistante sociale auprès des personnes âgées, Richard Vercauteren & Anna Latouche, érès, 1997, 151 p, L’accompagnement de la personne âgée s’appuie sur au moins trois dimensions : lui permettre de parler d’elle comme moyen de dire ce qui l’étouffe, lui permettre de se réapproprier son passé comme vecteur de réintégration d’une citoyenneté perdue, lui permettre d’identifier ses potentialités comme manière de valoriser ses richesses et expériences.
- « La mutante ou 1001 journées d’une assistante sociale« , Catherine Beclair, Première édition , 2015, 144 p., Ce qui a poussé Catherine Beclair à devenir assistante sociale ? Une mutation de gênes faisant de l’éthique, du secret professionnel et de la déontologie une seconde nature.
Bonus
Une assistante sociale à l’assemblée
Le travail social mènerait-il à tout ? Bien des professionnels du social sont devenus universitaire (François Dubet), ministre (Claude Evin), cinéaste (Jacques Malaterre). Patricia Adam, elle, est devenue adjointe au Maire de Brest, vice Présidente du Conseil général du Finistère, puis Députée de la seconde circonscription de ce même département. Portrait de cette assistante sociale qui n’a rien renié de ses convictions sociales et professionnelles.
Se voir proposer, en 1980, un poste d’assistante sociale au service de l’aide sociale aux armées et devenir trente ans après, Présidente de la commission de la défense de l’Assemblée nationale : voilà l’une de ces coïncidences peu communes que vous réserve, parfois, l’existence. Cet itinéraire improbable est celui de Patricia Adam, députée socialiste de la seconde circonscription du Finistère, depuis trois législatures. L’occasion pour Lien Social de tenter de décrypter la carrière d’une travailleuse sociale que rien de prédestinait à entrer en politique.
En formation après 1968
Son baccalauréat scientifique en poche, Patricia Adam se l’est bien promis : elle fera des études exemptes de ces mathématiques et physique dont elle ne veut plus entendre parler. Passionnée par le monde tel qu’il va et plus particulièrement par celui qui ne va pas, elle veut s’investir pour essayer de peser sur les inégalités et les injustices. Mais, son engagement n’est pas encore, et pour longtemps encore, de l’ordre de l’action militante politique, malgré toutes les tentatives des ses copains de la faire adhérer aux groupuscules d’extrême gauche qui fourmillent alors. Ce qu’elle veut, c’est devenir assistante sociale. Ayant raté les délais pour se présenter aux concours proposés par les écoles préparant à cette profession, elle s’essaie à la vie étudiante à Nanterre, en fac de sciences économiques. L’expérience ne la détourne pas de son ambition première. L’année suivante, elle prépare le concours de l’École Pratique de Service Social, située à Montparnasse, décroche la sélection et fait son entrée en septembre 1972, aux côtés de quatre vingt autres étudiants. Ce statut, elle le conteste très vite, lui préférant la qualité de « professionnels en formation », n’hésitant pas, à ce titre, à créer avec d’autres une section CFDT. Nous sommes quelques années après 1968. La contestation règne. L’école est dominée par la sociologie. Les débats y vont bon train. Ce sera le creuset de sa formation professionnelle et personnelle. Certains profs seront à ce point contestés et boycottés par la promotion, qu’ils démissionneront : trop « psys » et/ou passéistes au goût d’une génération imprégnée des idéaux de la révolution, bien décidée à bousculer le vieux monde et le travail social. « Il y a néanmoins des intervenants qui m’ont profondément marquée » se rappelle Patricia Adam. « Celui dont je garderai toujours le souvenir, c’est Thobie Nathan, qui venait nous parler d’ethno-psychiatrie. Nous l’aurions volontiers écouté des journées entières. Ses interventions étaient bien trop courtes, à notre goût ».
Jeune professionnelle
Boursière du département des Yvelines, Patricia Adam est nommée par la DDASS aux Mureaux. Flins, Renault, l’immigration algérienne … la voilà plongée au cœur de ce pourquoi elle s’est investie. Même si l’administration dans laquelle elle prend pied lui semble dépassée, car engluée dans des pratiques par trop traditionnelles, elle va pouvoir avec l’équipe de jeunes professionnelles au sein de laquelle elle se retrouve, essayer de faire preuve d’un peu de créativité. Très vite, elle se heurte à une réalité de terrain peu propice aux idées nouvelles. Et quand, avec ses collègues, elle rencontre la maire de la commune, pour lui proposer de travailler en partenariat. L’élue ne comprend pas l’objet de cette démarche. Le CCAS défend son pré-carré, s’opposant frontalement aux circonscriptions d’action sociale qui sont alors en train de se mettre en place. « Notre génération était trop en avance sur son temps. La politique de la ville, le partenariat, le travail social de groupe ou communautaire… tout cela ne surviendra que plusieurs années plus tard ». Pour l’heure, c’est le casework, la relation individuelle à l’usager, le travail chacun dans son coin qui dominent. Une collaboration est bien entamée tant avec les centres sociaux gérés par la CAF qu’avec les animateurs des maisons de quartier. Mais, le découragement guette cette jeune professionnelle qui ne se voit guère entamer une carrière de quarante ans, dans une telle routine. Patricia Adam connaît alors un tournant dans sa carrière. Rejoignant la ville de Brest, en 1980, pour des raisons familiales, elle quitte la région parisienne et pose sa candidature auprès de deux services offrant un poste d’assistante sociale : le service de l’aide sociale aux armées et l’UDAF. Elle choisit l’employeur qui lui répond en premier. Ce sera l’UDAF. Elles sont deux professionnelles, pour tout le Finistère. « Tout était à construire, face à un dispositif de tutelles majeurs protégés en pleine expansion. Le service s’est très vite étendu à travers tout le département, ouvrant des antennes et recrutant de nouveaux professionnels chaque année. » Très vite, elle deviendra cadre … et déléguée du personnel CFDT.
Entrée en politique
C’est en 1989, que Patricia Adam entre sur la scène politique. Très impliquée dans la Société des régates de Brest, elle en est la Présidente, quand deux sportifs de son club emportent une médaille d’or, aux Jeux Olympiques de 1988. L’année suivante, Pierre Maille, tête de la liste de l’opposition, lui propose de se présenter à ses côtés, au titre de la société civile. Elle n’a toujours pas de carte dans aucun parti politique, même si son cœur penche à gauche, depuis toujours. Le parti socialiste emporte la ville en 1989. Mais, Patricia Adam n’est en charge ni de l’action sociale, ni du sport : elle devient adjoint au maire du tourisme et des relations internationales puis d’un quartier de la ville. En 1998, la gauche est en bonne voie d’obtenir la majorité au Conseil général du Finistère. Patricia Adam est désignée par les militants, comme candidate. Elle est élue Conseillère générale et devient vice-présidente aux côtés de Pierre Maille qui prend la tête de l’assemblée départementale. Sur ce nouveau poste d’élue, elle ne s’occupera pas non plus de social, mais d’économie et de tourisme, de recherche et d’enseignement supérieur. Arrive 2002 et l’application de la loi Jospin sur la parité entre les hommes et les femmes dans les candidatures électorales. Héritage d’une mère féministe, Patricia Adam s’est toujours battue contre les discriminations en général et contre celles de genre en particulier, militante de la première heure du planning familial. Le combat pour l’égal accès des femmes aux droits a commencé par la libre disposition de leur corps : elle a, comme bien d’autres assistantes sociales, monté des dossiers d’aide financières, pour permettre aux femmes qui le souhaitaient de se rendre en Angleterre pour pratiquer un avortement, avant que cet acte ne soit légalisé en France. Cette lutte ne peut que continuer par leurs élections à des fonctions politiques, très majoritairement préemptées alors par des hommes. Le débat sera âpre, y compris au sein du parti socialiste. Déjà adjointe au maire de Brest et vice-présidente du Conseil général du Finistère, Patricia Adam est désignée candidate au poste de député, par les militants. Et elle remporte l’élection de 2002.
Quand une assistante sociale gère l’action sociale
Elle sera réélue en 2007 et en 2012. Elle entrera, une nouvelle fois, non dans une commission en rapport avec son expérience professionnelle, mais dans celle de la défense, se mettant ainsi en adéquation avec la vocation militaire de sa ville d’adoption marquée par la forte présence de la Marine nationale et la construction navale militaire de l’Arsenal. Elle en deviendra Présidente, une fois la gauche devenue majoritaire. A mi-temps à l’UDAF, à compter de son élection au Conseil municipal de Brest, Patricia Adam renonce à son emploi, faisant le choix de se consacrer à plein temps au Conseil général quand elle y entre en 1998. Elle abandonnera tous ses autres mandats en 2007, quand elle est réélue députée. Son choix de s’investir sur des questions qui ne lui sont pas a priori familières trouve une exception en 2002, date à laquelle elle assure la vice-présidence de la commission des affaires sociales, action territoriale, enfance famille du Conseil général. C’est la première fois, depuis son engagement d’élue, qu’elle revient vers le travail social qu’elle avait quitté en 1998, mais cette fois-ci avec sa casquette de politique. La première assemblée plénière de l’assemblée départementale, tenue en 2004 juste après le renouvellement du tiers des élus, est envahie par les travailleurs sociaux des services départementaux inquiets face aux orientations impulsées par la nouvelle majorité. Patricia Adam et Pierre Maille reçoivent les représentants des manifestants et proposent rapidement une large concertation qui va durer près d’une année, pour parler de la réorganisation de l’action sociale du département. Bien des sujets vont être mis sur la table : l’instauration d’un droit de recours des usagers, la place des élus dans les instances décisionnelles, le statut du secret professionnel. « Il y avait un véritable blocage entre les élus et les professionnels du social, une méfiance réciproque, une absence de dialogue et une méconnaissance de ce que faisaient les uns et les autres. »
L’expertise du travail social
Patricia Adam, jeune assistante sociale, s’était heurtée au refus de collaboration des élus locaux. Élue à son tour, trente ans plus tard, elle se heurtait à la défiance des travailleurs sociaux envers l’intervention des politiques. Sa conviction n’a pourtant pas changé. Elle a mis tout son poids dans le combat pour rapprocher les uns, des autres, et privilégier les politiques transversales. Cette volonté multi partenariale a trouvé une illustration à travers l’organisation des Commissions locales d’insertion décidant de l’attribution de l’ancien RMI, devenu depuis RSA. Non seulement elles furent ouvertes aux élus, mais aussi aux associations et institutions directement concernées (comme l’office d’HLM), sans oublier, démarche innovante s’il en est, aux représentants des usagers eux-mêmes. « Aujourd’hui, il n’y a pas une action sociale initiée par un élu, sans que n’y soient associés les travailleurs sociaux du Conseil général » affirme-t-elle. Et de prendre pour exemple, la rénovation urbaine de Pontanézen, un quartier « sensible » de Brest qui s’est réalisée en associant les professionnels y intervenant. Patricia Adam déplore le gâchis que représente l’absence des travailleurs sociaux dans la gestion de la politique de la ville. On y trouve de nombreux métiers, mais bien rarement les professionnels qui, de par leur connaissance du terrain, leur inscription dans la dynamique locale et leur confrontation quotidienne avec les populations concernées devraient être incontournables. « Mais, cette reconnaissance ne pourra jamais être vraiment établie, tant que ces professions resteront à ce point dévalorisées et ignorées. La légitimation de leur expertise passe par l’établissement d’une véritable filière professionnelle allant jusqu’au doctorat, le diplôme d’État devant être assimilé à la licence » affirme cette députée qui, n’ayant jamais oublié qu’elle fut assistante sociale, organisera en fin d’année un colloque sur la promotion d’une telle filière.
Jacques Trémintin – Portrait paru dans Lien Social n°1128 (28/11/2013)
Photo : pexel Tim Gouw