Mathieu Klein, président du HCTS, a remis, mardi matin, le livre blanc du travail social à la ministre des Solidarités, Aurore Bergé. Il a pu apporter des précisions lors d’une conférence de presse en ligne donnée dans l’après-midi. J’en ai retenu trois questions. Voici ses réponses.
La remise du livre blanc vient de se terminer, quelle est votre première réaction ?
M.K. : Je suis très satisfait de cette présentation. Cet événement marque une étape significative dans notre engagement à améliorer le secteur du travail social. Cinq ministres étaient présents ce matin pour le recevoir. Cela souligne l’importance du sujet pour le gouvernement. C’est une bonne chose et cela permet de montrer aussi que ce rapport a été construit grâce à la participation très large d’un grand nombre de professionnels et d’acteurs clés du secteur.
Je rappelle que nous sommes dans un contexte de crise grave. Le syndicat d’employeurs NEXEM annonce 50.000 postes vacants. Dix pour cent des postes sont vacants de manière pérenne dans le champ de la protection de l’enfance. L’urgence de la situation n’est plus à démontrer. Jamais dans son histoire le secteur du travail social n’a connu une crise attractivité aussi importante. Les difficultés de recrutement sont majeures tant pour les employeurs du public, les collectivités, que du secteur privé. C’est aussi le cas des centres de formation, il y a une diminution importante du nombre de candidats à l’accès aux métiers du travail social. C’est une tendance lourde profonde qui ne date pas d’hier, mais qui s’est accentué dans le contexte de la crise actuelle qui a suivi la crise sanitaire.
Qu’apporte le Livre Blanc au regard des rapports passés ?
En février 2022, nous avons rendu public le livre vert du travail social. C’était un état des lieux du secteur. Ensuite, cela a été un travail le plus d’un an avec l’ensemble des acteurs professionnels du travail social dans tout le pays, que ce soit à travers des webinaires, des groupes de travail, des contributions d’organisations, les comités locaux du travail social. Il est difficile de compter le nombre de personnes qui ont contribué à la construction de ce livre pendant un an, sans doute plus d’un millier. Ce livre reprend des constats et surtout porte 14 recommandations.
L’attractivité est évidemment le premier sujet sur lequel nous avons dû travailler puisque c’est bien aujourd’hui le problème central. Nous avons choisi de mettre sur la table en premier point la question des rémunérations. C’est là que le curseur devait être placé. C’est en tout cas ce que nous avons nous-même choisi de positionner en numéro un.
Le second sujet porte sur l’organisation du travail et l’autonomie des professionnels. C’est une remise en cause de la bureaucratisation excessive que ces métiers connaissent depuis plusieurs années. Il s’agit de redonner aux professionnels du travail social leur autonomie, leur capacité d’agir et de construire des parcours d’accompagnement. On a vu d’ailleurs pendant la crise covid l’agilité des professionnels du travail social. Elle a été très importante et très utile pour permettre justement de trouver des réponses qui n’étaient pas des réponses habituelles.
La 3ᵉ de recommandation porte l’intérêt d’attirer les jeunes dans les métiers du travail social, notamment en restructurant l’architecture des formations. L’objectif est de construire un parcours académique complet allant jusqu’au doctorat. Il nous faut mieux travailler aussi sur la question des passerelles depuis d’autres métiers. La valorisation des acquis issus de l’expérience permet de diversifier les voies d’accès au travail social. Ces enjeux sont aussi évoqués avec les mutations actuelles comme le grand âge, l’accès aux droits, mais aussi la transition écologique quand on sait que le dérèglement climatique frappe souvent les personnes les plus fragiles. Sans oublier les problèmes de logement qui sont prégnants.
Les mutations démographiques avec le vieillissement de la population ont des conséquences majeures en termes d’accompagnement et, pardon de le rappeler, nous sommes face à des contextes difficiles de certains EHPAD avec les phénomènes de maltraitance avérés. Il y a aussi les enjeux du numérique avec la dématérialisation de l’accès au droit qui est tout à la fois une opportunité et un risque. Si plus de personnes peuvent accéder à leurs droits simplement, il y a ceux qui décrochent. Ils sont en fragilité, et en risque de perte de leurs droits. Tous ces sujets et d’autres sont abordés dans ce rapport.
Une fois ce rapport remis, quelles sont vos prochaines échéances ?
Olivier Dussopt a insisté sur les enjeux de « sinistralité » spécifique des métiers du social. J’ai évoqué la question de la pénibilité, mais aussi du développement des compétences nécessaires via la VAE dans le secteur. Ce sont autant d’éléments qui avaient été mis entre guillemets, dans le cadre des portefeuilles respectifs de chaque ministère. Maintenant le chantier ne fait que s’ouvrir. Le HCTS va lui-même engager un comité de suivi du Livre Blanc. Mais je souhaite en priorité que soit mis en place un comité des métiers du travail social. Je compte aborder ce sujet dans les prochaines semaines auprès d’Aurore Bergé. Ce comité était une annonce de Jean Castex en février 2022, lorsque le Ségur du social avait été engagé. C’était une première étape.
Souvenez-vous qu’aujourd’hui encore le Ségur a laissé des traces. Il y a ceux qui en ont bénéficié, et ceux qui en ont été exclus. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il y a une forme d’iniquité dans les modes d’attribution des primes mensuelles. Il était prévu de mettre autour de la table l’ensemble des acteurs : l’État, les partenaires sociaux, les employeurs et leurs syndicats, sans oublier les collectivités, notamment les Départements et les CCAS qui sont en première ligne puisque qu’ils sont employeurs d’un grand nombre de travailleurs sociaux. Il faut que l’ensemble des acteurs des métiers du social puisse être autour de la table. La mise en place de ce comité des métiers doit être pour ma part confirmée. C’est la direction à donner pour la suite du travail que nous avons conduit.
Je suis le porte-voix dans des professionnels du travail social, c’est pourquoi je dis que la convention collective unique ne peut être considérée comme un « solde de tout compte ». À ce titre, je sollicite la mise en place de ce comité des métiers. C’est pour moi le seul outil pertinent et nécessaire. Quant à la Délégation Interministérielle annoncée ce matin, il lui faut des moyens adéquats, des sujets précis et une feuille de route. Bien évidemment, l’État a un rôle à jouer. L’annonce de la création d’un Institut du Travail Social est aussi une bonne chose. C’est un outil susceptible d’apporter une réelle contribution sur les formations, sur les modes d’intervention innovants et aussi sur le développement de la recherche en travail social.
Nos échéances sont claires. Nous aurons une assemblée plénière en janvier, Cela permettra d’avoir un « retour » sur la présentation du Livre Blanc. Puis, nous avons à installer son comité de suivi. Il y a aussi l’importance d’organiser une rencontre avec les autres conseils nationaux (CNLE, CNPE, CNCPH… ). Enfin j’ai aussi prévu de prendre rendez-vous auprès d’Aurore Bergé au sujet de la création du comité des métiers du travail social, c’est un sujet qui, je le rappelle, est essentiel.
Note : J’ai rédigé cet article à partir des éléments et des réponses apportées par Mathieu Klein lors de sa conférence de presse donnée à l’issue de la remise du Livre Blanc du HCTS mardi 5 décembre
Photo : © Photo Ville de Nancy