Marie-Jeanne Bassot est une figure exceptionnelle dans le domaine de l’action sociale. Elle a consacré sa vie à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière en France au début du XXe siècle. Son histoire est à peine croyable et comme pour toutes les femmes de cette époque, son action a été un peu oubliée. C’est son histoire que je souhaite vous raconter aujourd’hui. Il serait juste qu’elle soit rappelée dans les centres de formation au travail social. C’est l’histoire d’une femme battante et résiliente qui a décidé de vivre la vie qu’elle a choisie.
Cette femme qui est née le 22 février 1878 à Paris, a grandi au sein d’une famille bourgeoise privilégiée. Mais c’était sans compter, son engagement indéfectible envers la justice sociale. C’est cette idée qui l’a conduite sur un chemin très éloigné du parcours qui lui était prédestiné. Malgré l’opposition de sa famille, Marie-Jeanne est devenue une pionnière dans le développement des centres sociaux et des »settlements houses », laissant derrière elle un héritage essentiel.
L’éducation de Marie-Jeanne a été caractérisée par des principes stricts et une éducation rigoureuse, conforme aux coutumes des jeunes femmes de la bourgeoisie parisienne de l’époque. Bien qu’elle ait reçu une éducation traditionnelle, la nature compatissante et l’esprit curieux de Marie-Jeanne l’attirent vers la détresse des personnes et des familles les plus pauvres. Jeune fille, elle commence à rendre visite aux plus démunis sur les conseils de son aumônier, ce qui la confronte aux injustices de leurs conditions de vie. Cette expérience éveille en elle le désir de se consacrer entièrement à l’aide aux ouvriers et ouvrières parisiens.
En 1903, elle découvre une nouvelle approche de l’action sociale à travers « La Maison sociale », une association récemment créée à Paris par Mercédès Le Fer de la Motte. Contrairement au travail caritatif traditionnel, cette organisation visait à favoriser les liens sociaux et à fournir un soutien plutôt qu’une simple assistance matérielle. Inspirée par une forme de dévouement désintéressé, Marie-Jeanne souhaite devenir « résidente sociale » en s’immergeant dans les communautés qu’elle souhaitait aider. Malgré l’opposition initiale de ses parents, elle s’engage dans ce chemin à l’âge de 25 ans, commençant en tant qu’auxiliaire dans l’une des premières Maisons sociales ouvertes en France.
À mesure que l’engagement de Marie-Jeanne grandit, elle doit faire face à l’opposition de sa famille, qui considère sa voie choisie comme une vie vraiment inacceptable. En octobre 1906, déterminée à suivre son chemin, elle quitte le foyer familial sans leur consentement. Elle devient résidente à la Maison sociale de Montrouge. En 1908, on lui confie la tâche d’établir une nouvelle Maison sociale à Levallois-Perret, une banlieue industrialisée. C’est alors que sa famille lance une campagne contre la Maison sociale et sa directrice, déposant même des plaintes auprès des autorités religieuses et civiles.
Ces actions menées par sa famille ne parviennent pas à faire revenir Marie-Jeanne sur sa décision. Déterminée à poursuivre sa voie, elle doit fait face à de nouvelles pressions. Sa mère organise l’enlèvement de sa fille et la conduit de force dans un hôpital psychiatrique à Genève. Cependant, Marie-Jeanne a rapidement pu prouver sa santé mentale au médecin-chef de l’asile, qui la libère immédiatement. Elle retourne alors à Paris auprès de ses consœurs résidentes.
Afin de garantir sa liberté personnelle de manière définitive, Marie-Jeanne Bassot porte plainte contre sa mère pour séquestration arbitraire. C’est un acte audacieux pour une jeune femme de son époque. Le procès, qui se tient en mars et avril 1909, fait la une de tous les journaux parisiens. Le tribunal donne raison à Marie-Jeanne, condamnant sa mère pour avoir employé la violence pour la détourner de la voie qu’elle souhaitait suivre.
Cependant, cette affaire nuit gravement à la réputation de La Maison Sociale, entraînant des démissions et des suspensions de financements. En fin de compte, en octobre 1909, le Comité directeur de l’association est contraint de prononcer sa dissolution et de fermer les six maisons sociales qui œuvrent dans les quartiers populaires. Malgré cette adversité, Marie-Jeanne ne renonce pas à son projet. Elle est convaincue de la nécessité et de la pertinence de l’action sociale globale et de l’établissement de relations de confiance avec les communautés.
Ainsi, à l’âge de 32 ans, Marie-Jeanne Bassot entreprend un parcours d’initiatives sociales de plus en plus importantes, jouant un rôle éminent dans le développement de l’action sociale en France. Moins de trois mois après la dissolution de La Maison sociale, elle s’installe à Levallois-Perret et reprend une action sociale de proximité. Avec le soutien d’une philanthrope américaine résidant à Paris, elle a pu louer un espace plus grand et a fondé « La Résidence sociale », une association qui soutient ses multiples actions.
Pendant la Première Guerre mondiale, Marie-Jeanne Bassot élargit son champ d’action pour aider les habitants de Levallois-Perret qui faisaient face à de graves difficultés. Elle a créé un « ouvroir de guerre » qui offrait une rémunération aux femmes confectionnant des sous-vêtements pour l’Intendance militaire. Elle a également mis en place un comité d’aide aux orphelins de guerre et une section d’assistance médicale et sociale pour les anciens combattants réformés pour cause de maladie.
En parallèle, Marie-Jeanne Bassot établit des liens avec de grandes organisations philanthropiques américaines qui se déploient en France à cette époque. Elle coopère avec des institutions telles que l’American Red Cross, la Mission Rockefeller et l’American Women’s Hospitals, établissant des relations durables avec leurs dirigeants. Son expérience attirent alors l’attention et le respect de nombreux acteurs sociaux à travers le monde.
En 1919, Marie-Jeanne Bassot part aux États-Unis, où elle visite plusieurs settlements américains et présente son action à Levallois-Perret. Ce voyage ouvre une nouvelle page dans sa vie. Elle est désormais convaincue du pouvoir de transformation sociale des settlements. Elle décide de propager ce modèle en France. De retour chez elle, elle consacre toute son énergie à développer son action à Levallois-Perret et à créer un réseau d’œuvres sociales similaires dans d’autres quartiers populaires et en milieu rural.
Elle consolide l’association La Résidence sociale sur le plan juridique, institutionnel et immobilier. En 1920, son association est déclarée officiellement à la Préfecture de Police. Elle obtient la reconnaissance d’utilité publique en 1922. Marie-Jeanne Bassot devient secrétaire générale de l’association. La Résidence sociale continue de se développer, offrant des services tels que des garderies scolaires, une bibliothèque, des cercles d’activités et d’études, ainsi qu’un soutien médical et social.
Parallèlement, Marie-Jeanne Bassot établit des liens avec d’autres œuvres sociales ayant des objectifs semblables. En 1922, elle contribue à la création de la Fédération des centres sociaux de France, regroupant 12 associations animant des centres sociaux dans différentes régions. Elle en devient la secrétaire générale, un rôle qu’elle occupera jusqu’à sa mort en 1935. Elle participe activement aux conférences internationales des settlements et du service social.
Reconnue pour son travail éminent, Marie-Jeanne Bassot a reçu de nombreux hommages tout au long de sa vie. En 1924, elle a reçu le prix Léopold Davillier de l’Académie française, suivi du prix Corbay décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques en 1927. Elle a également été décorée de la Légion d’honneur en 1932 et a reçu la médaille du Comité national de l’enfance en 1933. Une rue à Levallois-Perret et le centre social de Sangatte portent son nom en reconnaissance de son engagement et de son héritage.
Marie-Jeanne Bassot est décédée le 13 décembre 1935 à Levallois-Perret, à l’âge de 57 ans, des suites d’un cancer. Elle a laissé un héritage important dans le domaine de l’action sociale en France, sa détermination et sa vision ayant contribué à la professionnalisation du travail social et à la reconnaissance des centres sociaux. Son travail a ouvert la voie à de nouvelles approches dans l’accompagnement des populations défavorisées, mettant l’accent sur l’éducation, l’entraide et la construction de relations de confiance. Son engagement envers les populations défavorisées et sa lutte pour l’égalité et la justice restent des exemples inspirants pour les générations futures.
Alors quand on parle aujourd’hui « d’aller vers » ou de co-construction, constatons modestement que nous n’avons rien inventé.
Sources :
- Biographie de Marie Jeanne Bassot par Jacques Eloy sur le site du groupe de recherche en histoire du service social (GREHSS)
- “L’oeuvre de la Maison sociale. Analyse des représentations et des enjeux à travers le procès de Marie-Jeanne Bassot” Par Brigitte Bouquet (vous trouverez dans ce texte les détails du procès que Marie Jeanne Bassot avait mené contre ses parents afin de se libérer d’une tutelle contraignante)
- Marie Jeanne Bassot in Mémoires Vives – Centres sociaux.
Photo en une : Marie Jeanne Bassot sur le site de mémoires vives