« Gérer des tensions » . Si l’on observe bien notre travail au quotidien, nous ne pouvons que constater que les travailleurs sociaux sont confrontés à de multiples tensions. Celles des violences entre adultes, celles qui concernent les enfants, il y a aussi les relations des personnes avec les administrations… avec les employeurs… Tout cela arrive dans le bureau de l’assistant(e) de service social ou celui de l’éducateur. Parfois ces questions sont cachées, (la honte d’en parler existe bien). Parfois c’est au contraire tout le problème qui est mis sur la table avec une certaine violence ou désespérance. Nous ne pouvons ignorer ces réalités. Elles font partie de notre travail et finalement nous avons appris par la force des choses et grâce à l’écoute et au non jugement à les canaliser puis à expliciter ce qui est en jeu.
Les travailleurs sociaux n’ont pas réponse à tout et n’ont pas de baguette magique. Ainsi par exemple, faut-il le rappeler nous ne disposons pas de logement ou encore de subsides permettant de pallier un budget qui empêche d’assurer l’essentiel. Il nous faut passer par l’instruction de demandes administratives devenues de plus en plus complexes parfois impossibles à remplir au regard des situations rencontrées.
Mais c’est aussi lorsqu’il n’y a pas de réponse qu’il est important que nous soyons présents pour soutenir et accompagner les personnes qui vivent des difficultés sans solutions immédiates. Quand un travailleur social reçoit une personne, il se doit d’abord de l’écouter pour comprendre quel est son problème et comment elle le vit. C’est à partir de l’acceptation de cette subjectivité qu’il construira un plan d’aide en accord avec la personne. Il n ‘agira pas à la place. Il est là pour soutenir, aider à comprendre et proposer des solutions acceptables et réalisables en s’appuyant sur les capacités de la personne mais aussi sur les dispositifs locaux et nationaux prévus par le législateur. Mais aujourd’hui l’accès à ces dispositifs est devenu complexe et inadapté à la réalité des nombreux demandeurs.
Les travailleurs sociaux sont par ailleurs « écartelés » entre leurs missions initiales et les attentes des pouvoirs publics économiques, politiques et administratifs. Pourtant Les personnes qui vivent toutes ces tensions doivent pouvoir trouver chez les travailleurs sociaux une écoute et une attention accompagnée d’une absence de jugement permettant la recherche de solutions.
Nous intervenons dans des institutions elles mêmes en crise et sous tensions dues à des logiques :
- économiques avec des budgets contraints qui limitent leurs moyens : les institutions sociales doivent faire plus avec moins ou à minima à moyens constants. Les process de travail sont modifiés dans un objectif d’une meilleure rentabilité.
- administratives en lien avec des législations complexes et des règlements contraignants : les règles liées à chaque dispositif s’empilent et ne tiennent pas compte les unes des autres. Certains travailleurs sociaux doivent jongler avec plusieurs dizaines de dispositifs pour une seule et même personne. (La bureaucratie nous épuise)
- politiques en lien avec une pression des usagers qui interpellent les élus et les administrateurs de structures : les interventions pour recevoir en priorité celles et ceux qui ont eu accès à tel élu ou tel responsable administratif sont régulières et depuis la décentralisation et la proximité semblent se développer.
- sociales avec certains usagers eux-mêmes qui parfois mettent en place des stratégies de contournement pour atteindre leurs objectifs : l’aide contrainte qui leur est imposée par les dispositifs ( RSA, MASP, Protection de l’enfance…) met à mal une communication transparente et la relation de confiance.
Ces logiques s’ignorent mutuellement, et elle ignorent aussi les outils que nous utilisons pour tenter de résoudre les difficultés. Il nous est demandé de répondre aux demandes de l’ensemble des acteurs mêmes si celles ci sont parfois incompatibles. Cette réalité peut conduire parfois à perdre le sens de notre action.
Parfois même il nous est demandé d’agir en dehors même du processus d’aide. Ce que nous disait le sociologue Bertrand Ravon en 2008 reste d’actualité : « le problème n’est pas tant le face à face avec des usagers agressifs, violents, complexes ou exigeants, que la difficulté à tenir la durée nécessaire à une écoute adaptée à la personnalité de l’usager ; une durée et une qualité de la relation inconciliables avec les contraintes de temps et les standards de gestion impartis par les institutions. » « Remontés, démontés ou épuisés, les travailleurs sociaux ne cessent de traverser des épreuves difficiles et qui pour une grande part ont partie liée aux recompositions du travail social. Ces épreuves sont parfois insurmontables tant les prescriptions sont impossibles à réaliser ou le situations d’emplois précaires.»
Tout le monde ou presque est d’accord : Il y a nécessité de repositionner le travail social dans ses fonctions essentielles en les replaçant dans le cadre d’une éthique des pratiques d’intervention.
Dans un monde en perpétuel mouvement fortement exposé médiatiquement, il est nécessaire aujourd’hui de
- veiller à développer des pratiques de bientraitance tant auprès des professionnels que des usagers avec qui ils agissent,
- respecter les outils méthodologiques utilisées par les travailleurs sociaux. Ils ont fait leurs preuves dans la prise en compte des situations
- rappeler leur missions et les fonctions qu’ils occupent au sein du corps social, les reconnaître et les valoriser, c’est le sens du plan d’action en faveur du travail social
- leur apporter des perspectives à travers l’élaboration et la mise en œuvre de politiques sociales portées par du sens et de l’expertise
- veiller à ce que la logique de réductions des coûts et maîtrise des budget ne contribue pas à détourner les travailleurs sociaux de leurs missions premières.
Voilà quelques éléments essentiels. Certains faisaient partie du plan d’action du gouvernement précédent. Il est probable que les priorités passées soient de nouveau affirmées. Il serait souhaitable que l’ensemble de ces préconisations qui avaient été formulées par le passé par la commission éthique de l’ancien Conseil Supérieur du Travail Social soit à nouveau pris en considération.
Photo: Trevor Butcher 010-« When you don’t know how to trust » Certains droits réservés