Commençons par la tribune publiée hier sur LinkedIn par Joran Le Gall Président de l’association nationale des assistants de service social. Intitulée « Pourquoi est-ce que je me mobilise le 1er février et qu’est-ce que je souhaite voir évoluer ? ». Loin des discours éculés, il met les pieds dans le plat : « j’entends sans cesse de beaux discours sur la protection de l’enfance et le soutien à la parentalité, à propos des personnes sans-abri ou mal logées, ou plus généralement sur le social et la santé. Et je ne vois rien venir » écrit-il. Il n’est pas le seul.
« Il y a une queue de gens en galère devant mon bureau, mais vous croyez qu’ils ont prévu d’embaucher ou qu’ils s’en donnent les moyens ? Il y a des centaines, des milliers d’enfants et d’adolescents qui attentent une place en protection de l’enfance, vous pensez qu’ils comptent en ouvrir ? Des gens dans des bidonvilles ou dans la rue et où sont les places d’hébergement ou de logement ? Alors il arrive un moment où ça suffit, où ça devient insupportable de voir toutes ces personnes rangées sous le tapis en espérant qu’elles disparaissent ».
Plutôt que de perdre sa journée et son énergie à tout réexpliquer une fois de plus, Joran Le Gall a décidé de se rendre visible, mais cette fois par sa colère. C’est pourquoi il était, comme plusieurs milliers de travailleurs sociaux, dans la rue hier. « Pour que demain, la société puisse proposer de vraies solutions aux personnes en difficulté. Des lieux d’accueil, du personnel qualifié pour un accompagnement professionnel et de qualité, en nombre suffisant et qui a le temps de prendre le temps ». « Ce que je voudrais » écrit-il, « c’est pouvoir remettre de la chaleur là où il n’y a que de la douleur, pouvoir redonner le sourire dans la tristesse, offrir du choix là où il n’y en a plus. Parce-que ça je sais le faire, pas le reste ». (Lire la tribune de Joran Le Gall sur LinkedIn)
Pourquoi les travailleurs sociaux en ont « ras le bol »
C’est déjà la troisième journée de mobilisation nationale pour les travailleurs sociaux ce mardi : mal considérés, peu rémunérés, souvent invisibles, ces hommes – et surtout ces femmes – appellent à peser dans le débat politique. Joël Carassio du Journal de Saône-et-Loire résume très bien le problème. Il publie la carte des manifestations qui étaient prévues sur tout le territoire afin de montrer l’ampleur du mouvement. Une carte réalisée par la Commission de Mobilisation du Travail Social Ile-de-France
Les travailleurs sociaux sont « en première ligne », ce sont eux les « premiers de cordée », estime même Raymond Taube, formateur dans le secteur, fondateur de l’Institut de droit pratique. Pourtant ils sont très mal payés. C’est le lot des professions très féminisées en France. « un travailleur social débutant perçoit en moyenne 1200 euros nets par mois en début de carrière malgré un diplôme de niveau bac+3… quand une aide-soignante débutante va toucher 1800 euros depuis le passage de son diplôme en catégorie B, soit le niveau bac. » Où est l’erreur ?
Raymond Taube compare la situation des travailleurs sociaux français à ceux d’autres pays : « En France, le salaire des travailleurs sociaux n’atteint pas 20.000 euros par an même avec un treizième mois. Aux Etats-Unis il dépasse 50, voire 60.000 dollars. En Europe, un travailleur social perçoit en moyenne 23.000 euros à Münich, 25.000 à Bruxelles, 26.000 à Madrid, 39.000 à Dublin… et jusqu’à 74.000 à Zurich en Suisse.
Le journaliste s’interroge : « Selon vous, ces travailleurs sociaux sont les véritables « premiers de cordée » ? C’est bien simple, répond Raymond Taube, « s’ils se mettaient en grève, s’arrêtaient de travailler, ne serait-ce qu’un mois, ce serait dramatique. Les conséquences seraient catastrophiques. Mais ce sont des métiers invisibles, on ne pense jamais à eux tant qu’on n’en a pas besoin. Alors qu’ils portent vraiment la société, ils supportent les problèmes de millions de personnes en permanence, tous! Argent, famille, violences, sexismes, inégalités… Les travailleurs sociaux sont en permanence face à des situations inextricables. Je n’ose même pas imaginer ce qui se passerait s’ils s’arrêtaient, même quelques jours… » (lire l’article du journal de Saône et Loire)
« On ne compte plus les structures en crise »
Rue 89 Strasbourg s’intéresse plus particulièrement à la situation des éducateurs dans les structures médico-sociales. Thibault Vetter, journaliste, interroge Jérôme Bardot, éducateur technique spécialisé à l’Apedi, une association qui gère les établissements d’accueil des handicapés mentaux :
« Comme dans toutes les structures médico-sociales, seuls les professionnels de santé (infirmières, aide soignantes, psychomotriciens) ont l’augmentation de salaire. C’est très bien pour elles. Mais il n’y a rien pour les éducateurs, les personnels administratifs et de la logistique. Les éducateurs gagnent 1330 euros net quand ils sont embauchés, et finissent à 2 000 euros net après 40 ans de carrière. Avec la hausse des prix du gaz et de l’essence, les fins de mois sont difficiles. Cela s’ajoute à la dégradation de nos conditions de travail du fait d’un manque de moyens octroyés par l’État pour les structures. Nous sommes étranglés. » (lire l’article de rue89 Strasbourg)
À Rennes, les travailleurs sociaux dénoncent une situation « éthiquement irresponsable »
Ewen Bazin, du Télégramme a suivi le cortège : « Une manifestation calme mais déterminée » explique le journaliste. « Aucune délégation n’a été reçue. Jacques Tallec, secrétaire départementale Force Ouvrière, regrette que, malgré les mobilisations successives, la préfecture et l’Agence Régionale de Santé opposent une fin de non-recevoir ».
Il est rappelé que la conférence des métiers et de l’accompagnement social et médico-social aura lieu le 18 février. Plusieurs syndicats se donnent d’ores et déjà rendez-vous à Paris pour porter la voix des travailleurs sociaux, avec des départs de cars en partance de Rennes. (lire l’article du Télégramme)
lire aussi
- Nouvelle grève des professionnels du médico-social pour dénoncer leurs conditions de travail | Ouest France (le journal propose une synthèse des manifestations dans les différentes villes de Bretagne)
- « On n’a pas les moyens de bien s’occuper des enfants » : témoignage d’un éducateur spécialisé en grève ce mardi 1er février | France 3 Hauts de France (un très bon témoignage de Éric, la cinquantaine, éducateur spécialisé dans un foyer pour enfants en Picardie. Après 21 ans de carrière, il se dit aujourd’hui « fatigué psychologiquement » et se sent de plus en plus « sous pression »)
- Les travailleurs sociaux épuisés mais toujours mobilisés en Gironde | rue89 Bordeaux
- Alpes-de-Haute-Provence : le ras-le-bol des travailleurs sociaux à Digne-les-Bains | La Provence
- Millau. Les travailleurs sociaux à nouveau dans la rue | millavois.com (un beau poème à découvrir !)
- « C’est pas comme ça que je me représente le métier », les travailleurs sociaux en grève en Vaucluse | France Bleu région (la parole aux étudiants : Sur les 25 étudiants de sa promotion, seuls quatre sont toujours dans le travail social. « J’ai des copains qui ont lâché parce que c’était trop violent ».)
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photo : L’association d’entraide d’anciens enfants confiés à l’ASE Repairs75, solidaire du mouvement des travailleurs sociaux s’organise pour sa participation à la mobilisation du 1er février à Paris (Facebook Commission de Mobilisation du Travail Social Ile-de-France )
La sélection des articles a été réalisée avec l’aide de Michelle Verrier Flandre. Merci à elle
2 Responses
La Recherche sur l Intervention en Travail Social est en France une Inconnue alors qu’elle existe aux USA depuis 1930 et un peu partout depuis des dizaines d années dans les Pays Européens.. Développons la Recherche pour combler le retard sur le Travail Social Français.
Je suis assistant familial et je confirme parfaitement l’état des lieux catastrophique concernant le travail dans le cadre de la protection de l’enfance.