L’auteure est belge. La publication a plus de dix ans. Est-ce suffisant pour l’ignorer ? Certainement pas. Ce roman n’a pas perdu une once d’actualité Passé au-dessous des radars, il n’est pas trop tard pour le placer sous les projecteurs.
Sur un ton mêlant humour et tendresse, Eva Kavian entraine le lecteur sur les traces de Samantha. Tout commence par la naissance de son héroïne. Sa maman porteuse d’une déficience mentale est très vite privée de sa fille. Quoique débordante d’affection, elle n’y arrive pas. Un placement en famille d’accueil apparaît plus raisonnable.
L’itinéraire qui s’ensuit semble poursuivre l’enfant d’une invraisemblable malédiction. La première famille d’accueil, en échec de maternité, attend des jumeaux peu de temps après son arrivée. Le second couple explose après les infidélités du mari. Le troisième père d’accueil, pédiatre en retraite, se suicidera après avoir commis l’irréparable.
De séjours brutalement interrompus chez chacune des familles d’accueil en placements d’internats éducatifs, l’enfant devient vite adolescente et finit par intégrer à 16 ans un dispositif de préparation à l’émancipation. Elle y trouve enfin l’apaisement.
Tous ces épisodes, pour traumatisants qu’ils soient, sont contés avec une légèreté teintée d’une pointe d’ironie. Mais, loin de tomber dans la moquerie, l’écriture particulièrement fluide et habile permet de mettre à distance toute morosité et de se projeter sur les ressentis de Samantha.
Bien que sans concession, la description les personnages intervenant tout au long des pages est remarquable de finesse. L’auteure a su éviter tant la caricature, que la complaisance. Chacun(e) semble sortir de la vraie vie, tout en endossant un rôle improbable que seule l’habileté de la fiction peut leur attribuer
Le regard porté sur le handicap est respectueux et bienveillant. A ne pas manquer, dans la dernière partie du livre, les descriptions particulièrement savoureuses d’un monde pourtant si différent mais qui devient si attachant quand il révèle sa profonde humanité.
Le quotidien ordinaire des institutions y est dépeint avec réalisme. Le formalisme, le corporatisme et la superficialité qui y règnent, y sont décrits avec une étonnante vérité. Familière de ce petit monde ou ayant mené une enquête préalable pour en comprendre les ressorts, l’auteure a tout compris.
Quant aux portraits des professionnels, ils sont croqués avec juste ce qu’il faut d’(im)pertinence pour les présenter dans une vérité pleine de nuances. Familles d’accueil, assistantes sociales, psychologues crèvent « l’écran ». Le lecteur familier de leurs modes de fonctionnement ne pourra qu’en valider la perception.
A ne pas manquer, ce roman qui fonctionne en boucle : A l’orée de sa majorité, Samantha retrouve la mère dont elle a été privée toute son enfance. Et elle la répare en accomplissant ce que celle-ci n’a finalement jamais réussi à réaliser. Publié par une maison d’édition spécialisée dans la littérature jeunesse, ce roman peut être apprécié à tout âge.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert » Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
1- Accompagner vers la parentalité les personnes en situation de handicap, Bertrand Morin, Éd. Chronique Sociale, 2013, 136 p. Il n’est pas facile de se réjouir sincèrement de l’arrivée future d’un enfant dans une cellule familiale composée de parents en situation de handicap.
2- Un parfum de victoire. Avoir un enfant, quand on est en situation de handicap, Collectif (sous la coordination de Marie-Anne Divet), Histoire ordinaires éditions, 2014, 149 p. La parentalité des personnes en situation de handicap n’est guère acceptée dans notre société qui ne sait leur opposer que le doute, le scepticisme et la stigmatisation.
3- Stériliser le handicap mental ? Nicole Diederich, Éd. érès, 1998, 264p. Voilà un livre essentiel qui mérite d’être largement diffusé. Clair, engagé, convainquant, son argumentation fait mouche.
Proximam en Belgique : « j’habite chez ma mère, a l’IMP » (reportage)
Au départ, il y a deux établissements que rien ne prédisposait à travailler ensemble. Une maison maternelle recevant des mères seules ou accompagnées de leurs enfants et un institut accueillant des enfants et jeunes porteurs de handicap mental et de troubles du caractère et du comportement. L’un et l’autre ont uni leurs efforts pour faire fonctionner un dispositif original qui affine l’offre sociale en répondant a un vrai besoin :l’accompagnement à la parentalité déficiente.
Bonus
Le droit à l’enfant.
« Fragments de vie d’un référent ASE » Éd. érès, p. 163 à 166
Régis a été placé très jeune dans une famille d’accueil, parce que ses parents en situation de handicap mental, s’étaient rapidement sentis dépassés par son éducation. Quand ils se séparèrent, son papa disparut de la vie de son fils. Il ne resta plus que sa maman. Mais qu’il fut difficile de maintenir les liens avec elle ! Lorsque je la relançais pour une visite avec son enfant, elle adoptait une posture fuyante, trouvant toujours une excellente raison pour ne pas le faire : « j’ai un problème de voiture », « je dois déménager », « je vais être juste financièrement jusqu’à la fin du mois ». J’avais beau lui proposer de la véhiculer, de lui faire remarquer que son déménagement ne l’empêchait pas se libérer une heure ou que l’on pouvait programmer une rencontre en début de mois suivant, rien n’y faisait…
Cette maman était trop centrée sur sa préoccupation du moment, pour qu’elle puisse être disponible pour son enfant. Lorsque la juge des enfants s’étonna de la carence de ces relations depuis l’audience précédente qui remontait à deux années, cette maman répéta les mêmes arguments. Elle se fit vertement reprendre par la magistrate qui lui signifia en termes crus son incapacité à exercer sa fonction parentale. A la sortie de cette pénible séance, elle me fit remarquer combien cette juge s’était montrée … compréhensive à son égard ! Décidément, sa perception de la réalité ne s’améliorait pas avec le temps.
Pourtant, ce n’était pas le manque d’affection qui aurait pu lui être reproché. Certes, les visites avec Régis s’étaient interrompues, sans qu’on en sache la raison, sauf à supposer que le nouvel enfant qu’elle venait d’avoir, lui aussi placé, prenait dorénavant toute la place. Effectivement, quand elle voyait encore Régis, il fallait veiller à ce qu’elle ne l’enserre pas de toutes ses forces, au point de l’étouffer, comme si cette étreinte fusionnelle venait compenser leur séparation et démontrer tout l’amour qu’elle lui vouait. Mais tout cela était gérable. On ne peut que s’interroger sur sa capacité psychique à réussir à être mère, et surtout à le concrétiser.
Cette illustration ne saurait bien sûr réduire la question de la parentalité des personnes porteuses de handicap mental à un échec couru d’avance. Interrogeons-nous néanmoins sur les mécanismes qui conduisent le travail social à adopter de curieuses positions sur cette question.
Convenons que notre passé n’est pas toujours très reluisant. Parmi les fantômes qui hantent nos professions, il y a ces pratiques eugéniques de stérilisation des jeunes filles porteuses d’un handicap. Comme on ne les considérait alors pas aptes à devenir parent, on avait recours à une ligature des trompes, sans qu’elles soient ni consultées, ni même informées de la nature de l’intervention chirurgicale subie. Cette atteinte insupportable aux droits humains assimilait la personne avec handicap à un simple objet dont on pouvait disposer. Mais, n’a-t-on pas tordu le bâton dans le sens inverse, aujourd’hui ? Car, s’il existe des parents porteurs d’invalidité qui se comportent parfois bien mieux que leurs congénères valides, on peut aussi considérer que certaines déficiences mentales vont rendre particulièrement délicate l’éducation d’un enfant.
À l’occasion d’un colloque professionnel, où bien des beaux esprits dissertaient généreusement sur la nécessaire liberté dont devaient disposer les personnes différentes, une mère courage prit alors la parole pour témoigner. Sa fille avait voulu mener sa vie sexuelle jusqu’à l’enfantement. Totalement incapable de gérer son bébé, celui-ci avait été placé. Elle ne le pouvait le rencontrer qu’en visite protégée. Et de s’interroger sur le destin d’un enfant mis au monde dans ces conditions. Grand froid dans l’assistance. Les travaux reprirent très vite, en considérant sans doute cette mère comme trop fusionnelle et intrusive dans la vie de sa fille.
S’il est légitime de combattre le rejet par principe de toute parentalité chez un adulte, qu’il ait ou non un handicap, il l’est tout autant de s’interroger sur le droit inaliénable et irrévocable « à l’enfant ». Alors que dans le même temps, on pose de légitimes exigences aux couples candidats à l’adoption, faut-il, au nom d’un terrible passé, s’interdire d’interroger le potentiel parental des personnes en difficulté, déjà peu aptes à gérer leur propre autonomie ? La maman de Régis a montré ses grandes difficultés à se décentrer de la gestion de sa propre existence pour se rendre disponible à son fils. Elle n’a demandé l’autorisation à personne pour procréer. Et cela est heureux. Il ne manqu-rait plus qu’au prétexte de son handicap, il lui faille obtenir une permission ! Mais, de fait, c’est la société qui a aidé à grandir ses six enfants qui ont été placés les uns après les autres en famille d’accueil… au nom de son droit à enfanter…
S’il serait éthiquement inacceptable de rétablir une quelconque stérilisation eugénique, peut-on pour autant banaliser toutes les parentalités handicapées, sans se préoccuper du sort des enfants qui naissent de parents peu à même de s’en occuper ? Il y a là matière à ouvrir un débat dépassionné et serein, lucide et prudent.