Les romans de l’été (1) : Et pourtant, les victimes peuvent aussi mentir !

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La vague « Me too » est bien loin d’avoir reflué. Et voilà qu’un roman met en scène une adolescente qui accuse à tort un homme de l’avoir violée !

Quand Alice Keridreux, avocate de profession, voit entrer dans son bureau Lisa Charvet, elle n’imagine pas un seul instant ce qui va advenir. Sa nouvelle cliente a décidé de changer de conseil. Elle lui demande, « en tant que femme » de la défendre.

Maître Laurentin qui l’avait assisté, lors du premier procès de son agresseur, avait pourtant très bien fait son travail : Marco Lange, le « violeur », en avait pris pour dix ans. Le procès en appel de la Cour d’assises allait bientôt se tenir. Peu de surprises à attendre. Les témoignages étaient accablants.

Pourtant, depuis le verdict, Lisa Charvet était torturée par une insupportable culpabilité. Elle avait fait condamner un homme qui ne lui avait rien fait. Marco Lange croupissait en prison depuis mille cent quatre-vingt-quinze jours, pour un crime qu’il n’avait pas commis.

Une vérité trop lourde à porter

Comment est-il possible de faire condamner un innocent ? En décembre 2022, la condamnation pour viol sur mineur de Farid El Hairy, jugé coupable et écroué pour des faits qu’il n’avait jamais commis a marqué les esprits. La rétractation de sa victime démontre qu’une telle erreur judiciaire ne relève pas que de la fiction.

Alice Keridreux attendra un moment précis du procès, celui qui suit les premiers témoignages pour rendre publique la révélation de sa cliente. On imagine volontiers la stupéfaction et la tétanisation qui suivent cette annonce. Mais, l’avocate ne va pas pour autant renoncer à exercer sa fonction.

Ce que l’avocate mettra en cause, ce n’est pas tant le mensonge de Lisa, que cette présomption de crédibilité voulant qu’un enfant (ou un adulte) se déclarant victime de viol soit considéré comme toujours crédible ; que des adultes qui ont tant envie d’y croire  au point d’anticiper le scénario ; que ces préjugés qui stigmatisent un présumé coupable.

Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde analyse avec finesse et pertinence l’enchaînement des circonstances qui amènent l’adolescente à s’engluer dans son mensonge. La tentation d’inverser le harcèlement qu’elle subit au collège en basculant dans la posture de la victime ; l’attention tout nouvelle dont elle va devenir destinataire, rompant avec l’indifférence ressentie jusque-là ; un mal-être adolescent qui trouvait enfin une issue.

Ne s’enfermer dans aucun dogme

Nous faisant entrer dans la procédure du procès d’assises et dans l’arrière-cour de la profession d’avocat, l’auteure fait l’éloge du doute face à la certitude, de la complexité face à l’évidence et de la profondeur de la psyché humaine face à ses apparences.

Il faut lire ce livre, surtout pas pour mettre en doute dorénavant les révélations quant aux violences sexuelles subies par les enfants et les femmes, mais pour nous inciter encore plus de vigilance. Qu’il mente ou pas, qu’il affabule ou non, qu’il déforme ou pas, il y a toujours une souffrance vécue par la victime.

S’il ne faut pas jamais accueillir ces témoignages avec suspicion, il ne faut pas plus s’interdire un décryptage de ce que la personne cherche à nous dire : est-ce la révélation d’une agression ou le symptôme d’un mal-être bien plus profond qui ne trouve que ce moyen pour se manifester.

Une fois de plus, entre l’invalidation par principe de la parole et sa validation sans aucun recul, il y a place pour la nuance, comme le montre avec brio ce livre. Ce qui doit l’emporter c’est bien d’identifier ce que l’enfant (ou l’adulte) veut nous dite et non ce que l’on croit ou que l’on a envie qu’il nous dise.

La petite menteuse

Pascale Robert-Diard, « La petite menteuse », édition l’iconoclaste aout 2022


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert » Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  1. La méprise – Outreau (tremintin.com), Florence Aubenas, Seuil, 2005, 255 p. Dans un style enlevé qui redonne vie aux acteurs de ce drame, Florence Aubenas nous livre les clés de ce qui est considéré comme l’un des pires désastres de la justice française
  2. Outreau, la vérité abusée: 12 enfants reconnus victimes (tremintin.com) Marie-Christine Gryson-Djehansart, éditions Hugo & Cie, 2009, 263 p. « Madame Gryson, vous êtes une femme malhonnête » La cinglante attaque de l’avocat claque dans la salle des assises de Saint Omer. La réponse arrivera cinq ans après, à travers ce livre dont la profonde honnêteté s’inscrit comme un démenti convainquant de cette perfide accusation
  3. Justice injuste. Le scandale de l’affaire d’Outreau (tremintin.com) Acacio PEREIRA, éditions Philippe Rey, 2004, 264 p.    Le 4 mai 2004, quand s’ouvrent les débats de la Cour d’assises du Pas de Calais, les accusés apparaissent définitivement comme des monstres.
  4. La faiblesse des hommes. Histoire raisonnable de l’affaire d’Outreau (tremintin.com) Gilles Antonowicz, Ed. Max Milo, 2013, 319 p. De l’ample documentation existante l’auteur en a fait un livre décrivant ce qui s’est passé, sans chercher à faire triompher un point de vue sur un autre, ni remettre en cause la vérité judiciaire, mais sans vouloir non plus dissimiler les nombreuses interrogations qui demeurent.
  5. Je suis debout. L’aîné des enfants d’Outreau sort du silence (tremintin.com), Chérif Delay (en collaboration avec Serge Garde), Le Cherche Midi, 2011, 191 p. Voilà un ouvrage qu’il est difficile de refermer, avant d’avoir lu la dernière page.

 


Dossier : Le mensonge

Quoi de plus immoral que de mentir ? Pourtant, l’humanité a toujours menti et continuera éternellement à le faire. Est-ce une raison pour l’accepter ? Mais comment faire pour que la sincérité prenne le dessus sur le mensonge ?

 

« Croire a ou croire en ? »Les travailleurs sociaux sont confrontés, comme le reste de la société, à une recrudescence de dénonciations de violences sexuelles de la part de femmes agressées.

 

« Vraies et fausses allégations » Loïc Sécher a été acquitté, après 7 ans de prison pour viol. Son accusatrice s’était rétractée.

 


Bonus

« En cas de plainte contre un éducateur,  agir dans la transparence »

 Claude Bynau est psychologue et conseiller technique à la Société de protection et de réinsertion du Nord à Lille. Et si un jour, un jeune se plaignait devant vous de votre collègue ou à l’inverse qu’il se plaignait de vous en évoquant un attouchement sexuel ? Claude Bynau, psychologue a reçu un jour l’une de ces confidences. Il nous explique comment il a agi, en faisant complètement confiance à la procédure judiciaire.

J.T. Vous avez été confronté, il y a de cela quelques années, à une situation de dénonciation d’un éducateur par une adolescente.

Claude Bynau : A l’occasion d’un entretien clinique classique réalisé dans un établissement agréé ASE et PJJ, qui accueille des adolescent(e)s, une jeune fille m’a effectivement parlé du comportement d’un éducateur. Elle m’a expliqué qu’alors qu’elle se plaignait d’avoir mal au dos, l’éducateur lui a proposé de la soigner. Il lui a mis de la pommade et a pratiqué un massage. Elle a trouvé bizarre qu’il ferme la porte de la chambre et qu’il la masse si longtemps. Selon elle, il a fini par avoir les mains baladeuses. Je lui ai demandé si elle s’était sentie en insécurité et si, à son avis, le comportement de l’éducateur avait dépassé les limites. Elle m’a confirmé avoir ressenti un grand malaise. Je lui ai alors dit que je ne pouvais pas garder cela pour moi, que j’allais en parler au directeur et qu’on serait peut-être amené à faire un signalement.

Dans la journée, j’ai fait part au Directeur de l’établissement des propos tenus par la jeune fille. Nous avons fait un signalement. Comme l’éducateur était de service ce jour là, le Directeur l’a convoqué, lui a expliqué la situation et a décidé de prendre à son égard une mesure conservatoire, lui demandant de rentrer chez lui. Il fallait éviter qu’il ne croise la jeune fille, avec le risque, soit qu’il fasse pression sur elle, soit qu’il se fasse accuser d’avoir tenté de le faire. Il valait mieux couper court.

Le procureur a demandé une enquête de gendarmerie qui a démarré trois ou quatre jours plus tard. Elle a abouti, au bout de trois semaines, à un classement sans suite. L’éducateur a été réintégré. Bien sûr, il y a eu discussion au sein de l’institution. Des salariés ont pris position contre l’éducateur, considérant inadmissible son attitude supposée. D’autres ont pris sa défense, en accusant la jeune fille de fabuler ou de vouloir régler des comptes. Il a fallu rappeler à tous qu’il ne nous appartenait pas d’avoir à dire s’il y avait eu quelque chose ou pas.

Notre mission était bien de protéger à la fois la jeune fille et le collègue de toute appréciation hâtive et de s’en remettre à la justice pour savoir s’il y avait lieu qu’il y ait poursuite ou pas. Dès lors qu’il y a eu classement sans suite, nous avons exigé que cessent les accusations vers l’un ou vers l’autre. Le nécessaire avait été fait. L’enquête avait eu lieu. Le procureur avait tranché. Il n’y avait donc plus matière à faire des commentaires.

 J.T. : Comment l’éducateur a-t-il vécu cette épreuve ?

Claude Bynau : Nous avons rencontré très vite le collègue pour savoir comment il avait vécu cette période. Il nous a dit avoir été dans un premier temps très secoué. Il avait particulièrement mal vécu que sa femme soit auditionnée. Pour son couple cela avait été difficile à gérer. En plus, se retrouver en arrêt pendant trois semaines, cela l’avait fait gamberger. Il en a d’abord voulu à ceux qui avaient fait le signalement.

Puis, après réflexion, il a trouvé que c’était la moins mauvaise solution, parce que les choses au moins avaient été claires.  Il était convaincu que c’était la meilleure procédure à adopter car cela avait permis de couper court à tous les fantasmes et propos diffamatoires qui n’auraient pas manqué de circuler très vite. Si rien n’avait été fait et que la jeune fille en avait parlé à d’autres intervenants sociaux, le résultat aurait été bien pire. Cela aurait décuplé les suspicions à  son égard.

En faisant le signalement tout de suite, nous avons opté pour la transparence et avons montré que nous n’avions rien à cacher. Même si dès le début, il s’est senti l’esprit tranquille, cette procédure lui a permis d’autant plus facilement de tourner la page.

J.T. Avez-vous pensé que cela aurait très bien pu vous arriver à vous aussi ?

Claude Bynau : Bien sûr que j’y ai pensé.  J’ai travaillé longtemps dans un placement familial qui accueillait beaucoup de jeunes victimes d’agression sexuelle. J’ai été amené souvent à assurer des transports en voiture avec des jeunes. J’ai dit à mes collègues que si une jeune fille tenait des accusations à mon égard (on m’a dit « pourquoi pas un jeune homme », j’ai répondu pourquoi pas), je souhaitais qu’on fasse pareil pour moi. Je ne veux absolument pas qu’on laisse entendre qu’on aurait essayé, parce que c’était moi, de court-circuiter la circulation de l’information. C’est mettre le doigt dans un engrenage aux effets imprévisibles.

Au contraire, le meilleur moyen de faire preuve de sa bonne foi, c’est d’accepter que vous soit appliquée la même procédure que pour tout le monde. Je rappèle que ce n’est là que l’application de la circulaire du  30 avril 2002 (1) qui oblige les institutions à mettre en place une procédure type que doit connaître chaque salarié de l’établissement et qui doit figurer dans le livret d’accueil. Si un jeune se plaint d’avoir été victime de maltraitance de la part d’un membre du personnel, il faut d’abord prévenir l’autorité administrative (la direction) qui se doit alors de faire un signalement au procureur. Les parents du mineur ainsi que son référent social ou le juge des enfants sous l’autorité duquel il se trouve doivent aussi en être informés. Il faut faire confiance à la justice.
Propos recueillis en juillet 2004

(1) circulaire n°2002-265 relative au renforcement des procédures de traitement des signalements de maltraitance et d’abus sexuels envers les enfants accueillis dans les structures sociales et médico-sociales

 

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