Didier Dubasque
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Les professionnels de l’aide et du soin ont besoin de soutien pour gérer les impacts émotionnels de leur interventions

Comme pour l’ensemble des professions de relation d’aide et de soins à la personne, notre « mental » a besoin d’être pris en considération et protégé. Trop de professionnels ne tiennent  pas compte de cette dimension ce qui peut provoquer des risques de burn-out ou plus simplement de stress intense.  Un article diffusé en février 2018 par le réseau international social care network revient sur ce sujet. En voici certains éléments…

« Il n’existe pas de législation qui reconnaît la nécessité du soutien émotionnel et de nombreuses  institutions sociales ne considèrent pas suffisamment cet impact particulier du travail dans la relation d’aide ». Or les travailleurs sociaux ont véritablement besoin d’une écoute bienveillante et de conseils avisés permettant une « mise à distance ». Cela est d’autant plus fort en période de crise comme celle que nous connaissons actuellement.

Notre affect est sans cesse mis à l’épreuve

À bien y regarder, la relation d’aide est chargée de diverses émotions. Les travailleurs sociaux les réceptionnent, mais finalement en parlent très peu. Or ce n’est pas sans impacts. Beaucoup travaillent seuls et se mobilisent auprès des personnes les plus vulnérables de notre société. « Nous voyons, entendons et intervenons dans des situations qui peuvent être pénibles. Nous assistons aux réalités de la maltraitance, de la pauvreté et de la dépendance. Le traitement de l’impact émotionnel de notre travail demande du temps et des efforts ».

Oui ben sûr, il y a de bons moments à partager, du rire, de la reconnaissance, des temps chaleureux partagés. Il ne s’agit pas de dépeindre un travail qui ne serait que sombre et désespérant. Mais quand les personnes viennent initialement nous voir ou que nous allons vers elles, c’est bien parce qu’elles font face à des problèmes stressants, parfois même angoissants. Les personnes peuvent nous transmettre leur stress et leurs angoisses que nous gérons tant bien que mal. Nos employeurs ne prennent pas suffisamment en considération cette réalité. Ils estiment souvent, soit que cela fait partie du travail, soit que cela ne les concerne pas.

Prendre compte ses propres émotions

La quasi-totalité des travailleurs sociaux investis dans leur travail sont déjà rentrés chez eux un soir ou un autre avec une préoccupation, un mal-être ou même de forts sentiments angoissants. C’est généralement suite à une rencontre qui s’est mal passée ou face à un risque qu’ils ont perçu. Se déroule alors dans leur tête un scénario « catastrophe » qui peut les conduire à développer des sentiments de culpabilité, d’incompétence ou tout simplement de stress non expliqué. Cela peut se reporter sur leurs proches qui, ne comprennent pas ce qui se passe, notamment s’ils gardent cela pour eux. Quand on rentre chez soi et qu’il n’y a personne à qui parler de sa journée, nous enfouissons ce qui nous préoccupe au fond de nous et ce n’est pas bon du tout.

Parler le soir des situations à nos amis, partenaires et famille pourrait être une réponse, mais il est souvent injuste de les charger de nos préoccupations. Il ne faut pas oublier non plus que nous sommes soumis(e)s au secret professionnel lorsque nous parlons de situations individuelles. Même si nous ne donnons pas des noms, il peut y avoir des situations reconnaissables. Nous pourrions aussi suivre des séances de débriefing ou de supervision en dehors du travail si nous sommes affectés et avons besoin d’aide, mais est-il vraiment logique et raisonnable de dépenser une part de son salaire pour un besoin créé par les conditions inhérentes à notre travail ? Cela en dehors des heures de travail ? Cela n’est pas logique ni acceptable.

Il y a aussi le partage avec des collègues au sein des équipes, mais ils ou elles sont comme nous. Chacun doit déjà gérer la propre charge émotionnelle. Il faut de plus en avoir le temps. Le risque de partager entre pairs nécessite une grande confiance et l’assurance que cela ne parte pas ailleurs.

Car nos émotions sont « transférables ». Ce que nous avons transmis à l’un(e) peut « voyager » et être retransmis à d’autres. Nous avons à notre travail des collègues qui sont d’excellents vecteurs de diffusions des émotions qu’ils reçoivent et transmettent à leurs collègues. Cela peut vite devenir compliqué au sein des équipes qui ont fort à faire pour déjà prendre soin des uns et des autres.

Alors que fait-on ?

Il n’a jamais été question, au cours des nombreuses journées de formation auxquelles j’ai pu participer, de savoir où et comment trouver le soutien approprié face à ce stress émotionnel qui nous marque souvent plus qu’on le pense. Ce manque peut parfois être comblé par un encadrement métier bienveillant, à l’écoute et sensibilisé à ce sujet.

Pour ma part, ce type d’encadrement fut assez exceptionnel. C’était il y a de nombreuses années avec une encadrante qui d’ailleurs a quitté avant l’heure l’institution ne supportant plus certaines contraintes. Pourtant, c’est bien d’elle dont je me rappelle le plus. Elle avait su m’écouter, me rassurer, stimuler ma curiosité. Bref, Eliane (ceux qui me connaissent la reconnaitront peut-être) avait l’art et la manière de nous encourager à aller plus loin, à repousser nos limites sans nous mettre en risque. Je pouvais à l’époque lui faire part des émotions ressenties lors de certains entretiens avec des personnes agressives ou effondrées.  Et cela n’avait aucune influence sur une quelconque avec la fameuse « notation annuelle ».

J’ai aussi pu bénéficier il y a longtemps aussi d’une supervision extérieure à mon service. J’allais une à 2 fois par mois raconter à ma superviseuse mon quotidien professionnel, mais aussi mes doutes et mes interrogations face à telle ou telle attitude des personnes que je rencontrais. Je m’interrogeais aussi des attitudes et parfois des colères de collègues et de l’encadrement. Je travaillais à l’époque dans un service de placements éducatifs où les relations entre pairs étaient dures et sans concessions. Sans cette supervision, je n’aurais sans doute pas pu tenir ni m’affirmer.

Notre part d’humanité

Les échanges avec des collègues indiquent que beaucoup de travailleurs sociaux pensent qu’ils sont obligés de traiter les impacts émotionnels du travail comme une question personnelle. Comme si le fait de ressentir des émotions n’était pas professionnel. Or une part d’humanité fait partie de notre travail. Nous ne sommes pas des machines. C’est sans doute aussi pourquoi les travailleurs sociaux sont fragilisés actuellement. Les modes de gestion actuels n’intègrent plus cette dimension.

Au travail, notre santé mentale a besoin d’être protégée autant que notre santé physique, et cela est étroitement lié à nos droits de salariés. Tous les métiers d’aide et d’assistance sont concernés. Le travail émotionnel devrait en toute logique être considéré comme faisant partie de notre travail. Parlez à vos collègues de la façon dont ils pourraient être soutenus plus efficacement.

Parlez-en à votre supérieur et demandez-lui l’ouverture d’un espace de parole, de supervision pour aborder ce sujet. Vous pouvez aussi en parler à votre représentant du personnel qui participe à des instances paritaires. En cas de carences, encouragez-le à entamer des négociations avec la direction pour qu’il puisse fournir un soutien approprié .

Ces choses-là sont trop importantes pour que nous continuions à faire comme si elles n’existaient pas.

 

Note : j’ai complété et un peu modifié cet article que j’avais publié initialement en février 2018

 

crédit photo : default 01 8photo  freepik.com

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