Un mois après le début du confinement, que sont devenues les personnes sans-domicile et mal-logées ? Le Collectif des associations unies, qui regroupe depuis 2007 les principales associations du secteur du logement et de l’hébergement, tire un premier bilan de ces semaines proches du chaos pour les personnes les plus exclues face au logement. 11 chapitres du dossier de presse visent à alerter les autorités du dénuement de la population la plus fragile, qui ne dispose pas d’un logement en dur. Regard sur les différents points abordés avec les extraits de ce rapport.
Un choc dramatique pour des dizaines de milliers de personnes.
Si les centres d’hébergement sont parvenus tant bien que mal à maintenir leur activité malgré les réductions d’effectif, c’est moins le cas des accueils de jour, maraudes et distributions alimentaires. Animés en grande partie par des bénévoles parfois âgés, touchés par l’absence de personnels malades ou devant garder leurs enfants, agissant sans gants ni masques, ces trois secteurs rencontrent encore d’importantes difficultés. A tel point que des milliers de personnes sont menacées par la faim. Des maraudes ont rencontré des personnes qui n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours. L’accès à l’hygiène, indispensable face au virus, est également compromis. De nombreux bains-douches ou toilettes publiques ont été fermés et les lieux d’habitat précaire, comme les squats et les bidonvilles ont un accès à l’eau très inégal. De nombreuses avancées ont été réalisées grâce à la mobilisation des pouvoirs publics et des associations.
Au 26 mars, il y a près de trois semaines, on comptait déjà près de 1 000 cas de Covid-19 dans les structures d’hébergement. beaucoup reste à faire. L’accès au logement n’a jamais été aussi vital qu’en cette période de confinement généralisé. L’urgence est encore là, des milliers de vies sont en jeu. Des réponses immédiates restent encore à apporter et des solutions à moyen terme sont à déployer pour préparer l’après-confinement et protéger les populations, sans domicile ou mal-logées, les plus en danger.
« Trop de personnes à la rue »
Il y a près de 2000 refus d’hébergement par le 115 chaque nuit. Pourtant la puissance publique a réussi à mobiliser des milliers de places d’hébergement d’urgence supplémentaires en quelques semaines. l’ampleur du sans-abrisme depuis des années en France est telle que cette mobilisation ne suffit pas pour proposer à toute personne à la rue une solution d’hébergement, même imparfaite. Les chiffres du 115 pour la journée du 9 avril ont pu être analysé sur tout le térritoire. Ce jour-là, plus de la moitié des demandes au 115 (53%) n’ont pu être satisfaites. Parmi les 3 418 personnes (hors Paris) ayant sollicité le 115, 1 794 n’ont pas bénéficié d’un hébergement.
« Trop de personnes dans les gymnases »
Comme l’affirme le Comité scientifique, dans son avis du 2 avril 2020, l’hébergement en gymnase «ne se justifie en rien»; il présente au contraire un risque épidémique majeur tant pour les personnes rassemblées que pour l’ensemble de la population. Il est donc à proscrire ». Pourtant, l’accueil des personnes sans-abri en gymnase persiste à plusieurs endroits du territoire. C’est le cas notamment suite à la mise à l’abri le 24 mars au sein de 6 gymnases franciliens d’une partie des 500 personnes vivant dans le bidonville de la porte d’Aubervilliers à Paris. Cet l’accueil en gymnase était censé être transitoire.
« Des hébergements à l’hôtel qui ne permettent pas un bon confinement »
Le ministère a mobilisé près de 9 000 places d’hôtels supplémentaires, alors que plus de 50 000 personnes chaque nuit en temps normal sont déjà hébergées à l’hôtel en France, Ce sont essentiellement des couples ou des femmes seules avec enfant. les conditions du confinement à l’hôtel ne permettent pas toujours de prévenir effectivement les contaminations. C’est le cas lorsque les personnes sont confinées à deux ou trois dans une même chambre, sans tests de dépistage préalables.
Des cas de COVID-19 ont été recensés par exemple dans deux hôtels du Nord de Paris, avec une propagation rapide du virus aux membres de la famille qui partageaient la même chambre. Dans les hôtels mobilisés ou réquisitionnés depuis le début du confinement, le co-hébergement à deux ou trois par chambre est trop fréquent (à Paris, Rennes…) mais délicat à vivre quand les personnes ne se connaissent pas. Dans un hôtel des Yvelines, les célibataires vivent à six dans un T2pour la durée du confinement, sur des lits superposés.
Des alertes se sont multipliées autour de l’accès à l’alimentation dans les hôtels. Comme pour ces deux familles de 5 personnes hébergées dans une seule petite chambre à Malakoff (92), avec un simple micro-ondes pour nourrir la famille. Ou dans ce Formule 1 à Plaisir (78), où les personnes hébergées sont restées plusieurs jours sans alimentation. Le confinement et les gestes barrières sont plus difficiles à respecter lorsque la cuisine de l’hôtel est partagée. Ou lorsque les distributions alimentaires génèrent des « attroupements » autour de l’hôtel
De nombreux jeunes sont en grandes difficultés, notamment ceux suivis à l’ASE
Dans les Hauts-de-Seine, ils seraient environ 300 à être confinés parfois à plusieurs dans de petites chambres d’hôtels, avec des carences importantes dans leur prise en charge : manque de gels ou de savons, draps non changés, difficultés d’accès à l’alimentation, liens avec les éducateurs parfois interrompus, absence d’ordinateurs accessibles et de wifi pour le suivi de la scolarité… Pour garder le contact avec l’extérieur, de nombreuses personnes et notamment des jeunes quittent leurs chambres et recherchent dans les parties communes, couloirs et escaliers, une meilleure connexion, ce qui devient une source de promiscuité et de tensions avec les autres hébergés
Des squats et des bidonvilles manquent d’accès à l’eau et à la nourriture
L’arrêt quasi-complet des activités de survie des personnes (travail informel, glanage…) a fait basculer une partie des 20 000 personnes concernées (en métropole), dont 30 à 40 % d’enfants, dans une pauvreté encore plus extrême. Plus globalement, les associations intervenant dans ces lieux de vie expriment de vives inquiétudes sur les conséquences sanitaires des mesures de confinement, difficilement applicables dans les squats et bidonvilles. Malgré l’intervention des pouvoirs publics plusieurs sites sont encore dépourvus d’une aide pérenne (par exemple en Seine-et-Marne et Val-de-Marne). Demeure en outre une demande importante des familles en couches et lait en poudre notamment, biens très onéreux. Des efforts d’installation de points d’eaux sont à saluer, mais restent insuffisants (par exemple quand il n’y a qu’un robinet pour 150 ou 200 personnes, ou des points d’eau à plusieurs centaines de mètres du bidonville,
Les difficultés de déplacement et le durcissement récent des conditions d’accès à l’Aide Médicale d’Etat posent problème. Cela rend illisible un dispositif déjà marqué par 50% de non-recours, ainsi que la stigmatisation des exclus font craindre une crise sanitaire majeure dans de nombreux bidonvilles et squats, pendant et après la crise du Covid-19.
Des conditions de vie dégradées pour les gens du voyage
La promiscuité des aires et le partage d’espaces (comme parfois les sanitaires) exposent particulièrement les gens du voyage à la maladie, surtout en l’absence de terrains de confinement pour les personnes malades. A titre d’exemple, à la date du 29 mars 2020, au CHU Pellegrin de Bordeaux, 70 % des patients en réanimation seraient des gens du voyage. Ces conditions de vie peuvent provoquer le départ soudain de familles ne se sentant, à juste titre, pas protégées. Le confinement empêche également de nombreux habitants de résidence mobile d’exercer leur activité professionnelle, le plus souvent indépendante. Ils sont donc nombreux à voir leurs ressources se tarir. Privés de revenus d’activités, de nombreux Gens du voyage ne seront par ailleurs pas en mesure de payer les mensualités de remboursement de leurs caravanes. Des délais de paiement sans frais doivent donc être consentis, d’autant que, non reconnues comme logement, ces caravanes n’ouvrent droit à aucune aide au logement.
On peut également craindre des conséquences négatives durables qu’auront, pour les enfants, l’absence quasi totale de scolarisation pendant deux mois et pour ces familles l’accumulation de dettes et impayés du fait de l’effondrement de leurs ressources.
Un besoin d’aides financières pour les plus précaires
La crise actuelle affecte durement les moyens de subsistance des plus précaires. De nombreuses catégories ne bénéficient pas des aides de l’État, qu’il s’agisse des indépendants qui ne remplissent pas les conditions d’indemnisation, de certains intérimaires, des saisonniers, de salariés dont les contrats précaires s’arrêtent, des intermittents du spectacle. Surtout, l’impossibilité de recourir à l’économie informelle, n’est évidemment pas du tout indemnisée.
Le gouvernement a partiellement répondu à cette demande, à travers une aide unique de 150 € par ménage au RSA ou à l’ASS et de 100 € par enfant pour les ménages allocataires des APL. Mais ce montant est trop faible pour compenser deux mois ou plus de pertes de revenus et ne touchera pas toutes les personnes précaires (moins de 25 ans, minimum vieillesse, demandeurs d’asile, personnes en situation irrégulière…)
Les risques d’impayés massifs des loyers sont réels. Or aucune disposition ne permet d’y remédier. Des milliers de ménages risquent de tomber dans la spirale de l’exclusion.Un fonds national d’aide à la quittance devrait être créé sans attendre, doté au minimum de 200 millions d’euros, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative.
Vous pouvez lire ici la totalité du rapport avec notamment un description de la situation dans certaines grandes villes : Toulouse, Marseille, Mayotte, Calais – la Grande Synthe, et la Guyane. Un chapitre aborde aussi la situation des travailleurs sociaux et des personnes bénévoles qui n’ont pas reçu de matériel de protection. Ce rapport, remarquable pourrait être utile aux services de l’État qui est invité à remédier aux dysfonctionnements et risques qui ont été identifiés.
Liste des 36 associations, fédérations et fondations auteurs de ce rapport : Advocacy France, Association Nationale des Compagnons Bâtisseurs, Association DALO, ATD Quart Monde, Aurore Centre d’action sociale protestant (CASP), Cités Caritas, Collectif National Droits de l’Homme Romeurope, Collectif Les Morts de la Rue, Comité des Sans Logis, Croix-Rouge française, Emmaüs Solidarité, Emmaüs France, Enfants de Don Quichotte, Fédération d’aide à la santé mentale, Croix Marine, Fédération des Associations et des Acteurs pour la Promotion et l’Insertion par le Logement (FAPIL), Fédération de l’Entraide Protestante, Fédération Française des équipes Saint-Vincent, Fédération des acteurs de la solidarité, Fédération Nationale des Associations Solidaires d’Action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (FNASAT-Gens du voyage), Fédération Santé Habitat, Fondation Abbé Pierre, Fondation de l’Armée du Salut, France Terre d’Asile, Habitat et Humanisme, Jeudi Noir, Les petits frères des Pauvres, Ligue des Droits de l ’Homme, Médecins du Monde Secours Catholique SoliHa – Solidaires pour l’Habitat Union Nationale des Amis et des Familles de Malades Psychiques (UNAFAM), Union professionnelle du l ogement accompagné (UNAFO), Union Nationale des Comités Locaux pour le Logement Autonome des Jeunes (UNCLLAJ), Union Nationale pour l’Habitat des Jeunes (UNHAJ), Union Nationale Interfédérale des OEuvres et Organismes Privés Sanitaires et Sociaux (UNIOPSS).
photo : @freepik : freepik.com Portrait D’un Sans-abri