Les mésaventures de Francine en EHPAD

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Je connais Francine* depuis de nombreuses années. C’est une amie âgée de 92 ans qui a pour particularité d’être très dépendante. Son handicap ne lui permet plus de se déplacer. Elle tremble au point qu’elle ne peut décrocher le téléphone ni boire sans une paille qu’on lui tient. Il faut aussi l’aider à manger. Sa vue baisse, mais ses neurones fonctionnent toujours aussi bien. Entendez par là qu’elle garde un esprit vif et qu’elle continue de s’informer en suivant l’actualité. Elle ne lit plus et les discussions que j’ai avec elle sont les mêmes que celles que nous avions il y a maintenant plus de 40 ans.

Francine est une belle personne avec des convictions : toute sa vie, elle a défendu la cause des femmes, mais aussi la défense des plus fragiles. Par le passé, elle militait beaucoup, tout comme son mari d’ailleurs qui a connu des responsabilités nationales au sein d’un syndicat.

Pourquoi vous parler de Francine ? Tout simplement parce qu’elle vient de vivre une expérience en EHPAD qui m’a particulièrement touché et que je souhaite vous faire partager. Jusqu’à présent, Francine vivait de façon autonome grâce à son mari âgé de 90 ans qui, comme son épouse, reste intellectuellement actif et ouvert à toute discussion. Il l’aide au quotidien et il lui permet de rester vivre dans sa maison. Il n’a pas de handicap et n’avait pas jusqu’à récemment de souci de santé. Bref, tout allait bien jusqu’à ce que son médecin l’hospitalise en urgence suite à un problème médical sérieux qui l’a conduit aux urgences.

Que pouvait faire Francine ? Il lui a fallu intégrer en urgence un EHPAD qui a accepté de l’accueillir temporairement. (Je vous passe les multiples démarches engagées par la famille). L’établissement a bonne réputation et il y a même une chambre prévue pour les «temporaires», ces personnes qui sont appelées à ne pas rester longtemps dans l’établissement.

26 jours en Ehpad.

Ce fut long, dit-elle et on la comprend quand on écoute son récit. Francine n’a pas très bien vécu la visite d’admission en présence du directeur qui l’a accueillie ou plutôt qui a accueilli sa famille. Il n’a pas eu un regard ou du moins pas une question à lui poser. Cet homme parle d’expérience assurément. Mais pourquoi ne s’est-il pas adressé à moi ? me demande-t-elle. Rapidement, le directeur retire tout espoir aux nouveaux arrivants qui comptent bien ne rester que provisoirement dans son établissement. Quand on arrive ici, on n’en sort pas, dit-il en substance en utilisant une image que je me garde bien de préciser ici afin qu’il ne soit pas reconnu. Sans doute a-t-il l’habitude de dérouler le même discours aux familles qui souhaitent rapidement retrouver leur domicile. En tout cas, Francine fut sidérée de ce premier entretien où elle a bien eu le sentiment de ne pas être reconnue comme une personne sachant ce qu’elle veut.

Voilà donc Francine dans sa chambre où elle passera le plus clair de son temps. Elle s’est retrouvée assise dans un fauteuil pendant la quasi-totalité de son séjour. Fort heureusement, sa famille venait souvent la chercher l’après-midi le temps d’une sortie. Mais, dit-elle, « Il fallait que l’on me change, mais personne n’était là pour le faire. Je suis de ce fait restée tous les jours ou presque sans pouvoir être propre ». Au début, elle n’avait pas osé demander quoi que ce soit, puis quand elle commença à interpeller la gouvernante de l’EHPAD, il lui sera promis un change à la mi-journée. La promesse ne tiendra que 3 jours sur toute la durée de son séjour.

Car à l’EHPAD, une phrase revient sans cesse : « On est en sous-effectif ». Cette phrase magique entendue chaque jour a eu le don d’agacer Francine qui observe bien ce qui se passe autour d’elle. Cette phrase est un prétexte pour justifier tout ce qui ne va pas. « Il y a les aides-soignantes sympas qui prennent soin de vous, et il y a «les autres».

Les autres, ce sont toutes ces intérimaires qui ne font que passer. Elles vont d’un EHPAD à un autre et apprécient la formule. C’est sans aucun doute plus intéressant financièrement. Par contre, ça l’est beaucoup moins pour les pensionnaires qui doivent sans cesse s’adapter à des personnes nouvelles, comme celle qui jettera sa chaussure à travers la pièce en signe d’agacement après que Francine ait demandé qu’on lui mette ses pantoufles, ce qu’elle ne pouvait faire seule.

Pourtant n’allez pas croire que Francine soit désagréable. Tout au contraire, elle est très respectueuse des gens à qui elle s’adresse mais veut garder sa dignité en disant ce qu’elle pense sans agressivité. « Mais vous avez du caractère » lui est-il rétorqué. En effet Francine a du caractère, c’est d’ailleurs ce qui est appréciable chez elle. Mais avoir du caractère dans un EHPAD, semble ne pas être très bien vu, malgré la charte des usagers.

Des « expériences » à surtout ne pas renouveler

Lors de son séjour, Francine aura à vivre encore quelques expériences particulièrement pénibles et désagréables. Elle sera témoin du manque d’écoute et du traitement différencié des personnes qui demandent par exemple à avoir un peu plus de café. Certaines obtiennent satisfaction, d’autres pas. Allez savoir pourquoi, dit-elle.

Pire, un midi, elle sera oubliée. Personne ne lui apportera de repas et elle ne pourra se rendre au réfectoire (il faut l’y emmener). Elle sera «récupérée» et ira manger avec le personnel une fois le réfectoire fermé. Par contre, il lui faudra sauter son petit déjeuner plusieurs fois. Là aussi, elle a été oubliée. « J’adore prendre mon petit déjeuner » dit-elle, mais à force d’attendre, midi arrive et au final, le petit déjeuner, c’est le repas, conclut-elle, dépitée.

Un soir, ce sera la surveillante de nuit qui, passé 23 heures, viendra la coucher. Là encore, Francine avait été oubliée. « Au début, je n’osais pas trop faire de tapage, puis j’ai commencé à paniquer. J’avais beau appeler, il n’y avait personne, je me suis dit que j’allais passer la nuit dans le fauteuil, mais à force d’efforts, j’ai réussi à passer la porte et à appeler dans le couloir et c’est là que l’on m’a entendu. Heureusement, la surveillante de nuit m’a aidée » dit-elle en repensant au stress que cela lui a provoqué. Elle retrouvera son lit passé minuit.

Tenter de résister

« Je ne sais pas si le personnel se rend compte de ce qui se passe » dit-elle. Les résidents deviennent amorphes, et moi-même, je serais devenue un zombie si j’étais restée là ». « Au début, tu tentes de résister, de rappeler tes besoins, et puis à un moment, tu baisses les bras. J’en avais plus que marre et je pense à toutes ces personnes dépendantes qui sont oubliées dans leurs chambres dans des conditions d’hygiène plus que douteuses. Je dirais plutôt lamentables ».

« Je n’étais pas dans un établissement dépendant d’ORPEA pourtant, mais quand même ! On parle d’ORPEA mais on pourrait en dire long sur les autres établissements. Sur les 26 jours passés dans cet EHPAD, malgré mes demandes et les promesses qui m’ont été faites, je n’ai eu qu’une douche et un shampoing ». Comment dire ?

« Quel bonheur de rentrer chez soi ! »

 

* Le prénom (Francine) a été changé.

Photo de Lifestylememory sur Freepik (la photo n’est qu’une libre illustration)

 

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2 Responses

  1. Bonjour Didier,
    Cette histoire m’obsède et je viens de la relire. Elle est sacrément intéressante, et me fait penser aux travaux de Joan Tronto sur le « care », lorsqu’elle reprend la pensée d’un chercheur exprimant que le travail auprès de gens fragile, c’est simple, « il suffit d’écouter et de répondre ». Pour elle, la question n’est pas celle là, elle consiste à apprendre à écouter et répondre et avant de répondre il faut savoir « interpréter les besoins ». Ce directeur d’EHPAD qui ne sait pas à qui s’adresser pour l’accueil d’une résidente et qui pense que l’admission est une démarche bureaucratique et solitaire est pathétique.

    1. Bonjour Jean-François.
      Merci de votre réaction. Effectivement cette histoire a de quoi tous nous interroger. J’y pense aussi beaucoup étant assez proche de la personne qui l’a subie. Elle n’en revient toujours pas. Je lui transmettrai votre réaction. Cordialement DD

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