Les influences de mai 68 sur la formation et la pratique professionnelle des assistant(e)s de service social

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Dans son numéro 11 « Des temps du social » qui vient de paraitre, le groupe de recherche sur l’histoire du service social donne la parole à Cristina De Robertis auteure de la méthodologie de l’intervention en travail social. Cet  ouvrage a connu de multiples versions et a été plusieurs fois réédité. Il a aussi été traduit en plusieurs langues (espagnol, polonais, italien, et la dernière édition en portugais). Ce livre, est un référence de la formation et la construction de la professionnalité des assistantes sociales en France et à l’étranger. Tout étudiant qui se respecte l’a lu ou l’a étudié en cours.

Il a aussi été adopté par d’autres professions sociales notamment les Conseillères en économie sociale familiale (CESF). L’impact et la longévité de cet ouvrage n’étaient pas prévisibles. Il constituent une source d’étonnement et de satisfaction renouvelées de son auteure. Les temps du social présente la genèse de ce livre. Il prend sa source dans les idées issues du mouvement des années 68 et garde toujours une grande modernité. Tentons de comprendre pourquoi.

Les acquis de Mai 68 sur la formation

« Les événements » de mai 1968 ont eu de grandes répercussions sur la société française, ainsi que sur notre profession nous explique Cristina De Robertis. Il faut, dit-elle se rappeler des trois changements de fond originaires de cette période :

1. La suppression de l’année commune avec les infirmières

Par le passé la formation des assistantes sociales était organisée avec une première année commune avec les infirmières. C’était une année centrée sur la santé et le médical. Une des revendications des étudiants et professionnels a été exaucée en 1969, les réformes ont porté essentiellement sur l’aménagement (à titre expérimental) de la répartition des enseignements théoriques, pratiques et des stages. Ils ont fait l’objet d’arrêtés et de circulaires du Ministère des Affaires Sociales de l’époque (1). De ce fait, les écoles pouvaient organiser et disposer autrement les différents contenus dans le cursus de formation : la première année n’était plus commune aux deux professions de nouvelles possibilités d’enseignement ont vu le jour.

2. Un enseignement des sciences sociales (économie et sociologie)

Parmi les revendications de la profession, il était demandé un renforcement des matières en sciences humaines. Jusque là, outre les matières médicales et le droit, c’est surtout les enseignements en psychologie et psychanalyse qui prédominaient dans la formation. Ainsi en novembre 1968 un nouvel arrêté établit la répartition des enseignements de la première année de formation (2). Très rapidement la formation a vu s’accroitre les enseignements en sciences sociales, notamment l’économie et la sociologie. Cette option mise en place par les écoles était en accord avec les définitions des capacités à acquérir issus des travaux de «commissions pluripartites» de mai 68, à savoir

  • une conscience critique ;
  • un esprit de recherche ;
  • un esprit de synthèse. (3)

3. Le financement des études par l’État

Cette vague de changements de l’après 68 a vu encore une autre revendication exaucée : la gratuité des études. Celles-ci étaient payantes, et même si des systèmes de bourses existaient, elles restaient relativement élitistes et difficiles d’accès. C’est vers 1973 que la gratuité sera effective et le fonctionnement des écoles de formation subventionnés par l’Etat. S’ensuit alors une augmentation considérable du nombre d’étudiants en formation portés par la motivation de changement social et d’emplois crée dans les services publics et privés.

Les autres influences

Dans son article Cristina De Robertis rappelle aussi l’influence à l’époque de la sociologie critique : « Au cours des années 1970 » écrit-elle « le travail social a été pris à partie par les courants de sociologie critique qui l’ont désigné comme instrument de normalisation et de contrôle social des populations «marginales ou déviantes», comme on disait à l’époque. Le travail social était une cible facile car moins inscrite dans le pouvoir institutionnel que les psychiatres ou les juges ». « Le travail social a ainsi été accusé par des « penseurs du social » de manière très violente, considéré comme une activité ayant pour fonction de stigmatiser et invalider les pauvres ». Pour autant les étudiants qui s’engageaient dans la formation étaient inscrits dans une toute autre logique et revendiquaient une forme d’alliance avec ceux qui étaient nommés « les exclus ».

« C’est aussi au cours des années 70 que l’influence des courants théoriques portées par l’analyse systémique prend de l’importance en travail social. En provenance notamment du Québec des initiations et formations se mettent en place sur l’intervention avec une approche des systèmes appliqués à la pratique du travail social » …/…  « La théorisation en France de « l’approche globale » plus centrée sur une vision intégrée et holistique de l’intervention se développe. Elles ont produit un questionnement important (et à mon sens une véritable remise en cause) des références psychanalytiques prédominantes du case-work de l’époque ».

Le mythe des « dames patronesses »

J’ajouterai aux propos de Cristina qu’il est utile de se rappeler que contrairement à ce que l’on veut parfois nous faire croire le travail social ne s’est pas développé dans une simple idéologie portée par des »dames patronnesses ». Il est aussi un peu facile de considérer que les travailleurs sociaux étaient  des alliés du capitalisme et du patronat visant à contrôler les classes populaire comme l’a fort injustement dénoncé Jeanine Verdès Leroux dans son ouvrage intitulé sobrement « le travail social » (4) Je faisais à l’époque partie de ceux qui avaient lu ce livre et qui ne se retrouvaient pas dans ce qui était décrit. Nous étions plus dans une logique d’alliance et de reconnaissance des compétences propres des usagers du service social.

Nous ne parlions pas de leur « pouvoir d’agir » mais nous faisions avec et les aidions à reconnaitre leurs compétences. Nous les encouragions aussi à lutter et à s’organiser face à l’adversité. En bons enfants des années 68, nous pratiquions tout autant les actions collectives sans en faire un roman.  Étions nous minoritaires comme il m’a déjà été rétorqué ? Je n’en suis pas certain car les collègues autour de moi agissaient avec les mêmes valeurs même si leurs pratiques pouvaient différer notamment avec l’approche individuelle .

Bref on ne peut réduire le travail social à une simple analyse marxiste d’agent du capital oppressant un prolétariat déclassé  comme ce fut exprimé dans les années 70-80. Surtout pas à nous qui venions pour certains de l’extrême gauche, du mouvement écologiste ou encore libertaire… Ceux qui n’en venaient pas étaient aussi tout autant « portés » par un mode de pensée prônant  la conscientisation et le pouvoir de l’agir. Il est peut-être intéressant de renouer aujourd’hui avec les espoirs de nos ainés qui ont connu cette période même si la réalité d’aujourd’hui est fort différente de celle d’hier notamment avec les conditions d’exercice du travail et l’autonomie professionnelle qui au fil du temps à été réduite à peau de chagrin.

En conclusion, je vous invite à prendre connaissance plus en détail du numéro 11 des temps du social que vous pouvez télécharger ici.

notes

(1) – Décret du 1er Aout 1968 « aménagements à titre transitoire a la répartition des enseignements préparatoires au diplôme d’Etat d’assistant et assistante de service social » J.O. du 10 aout 1968 (pages 7795 et 7796)

(2) – Arrêté du 15 novembre 1968 « Répartition de l’enseignement théorique, des travaux pratiques et des stages de la première année d’études préparatoires au Diplôme d’Etat d’assistant et assistante de service social » J.O. du 1er décembre 1968 (page 11292). Les annexes détaillant la répartition des enseignent ont été publiés dans Les Feuillets de l’ANAS N° 81, 1er trimestre 1969, Paris

(3) PASCAL Henri et DE ROBERTIS Cristina (1994) Evolution de la formation des assistants sociaux, dans La Revue Française de Service Social « 50 ans de service social, quelques repères » N° 173 – 174, ANAS, Paris

(4) Verdès-Leroux Jeannine, Le travail social, Paris éd. de Minuit, 1977

 

Photo : Cristina de Robertis auteure de la méthodologie de l’intervention en travail social

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