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« Les héritiers » et Parcourssup : rien ou presque n’a changé depuis les années 60…

Connaissez-vous le célèbre ouvrage écrit par les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron qui s’intitule « Les Héritiers : les étudiants et la culture » ? Ce livre, paru en 1964, m’avait marqué lors de mes études d’assistant social dans les années 80. Il me parait toujours d’actualité à l’heure où Parcoursup est censé simplifier l’orientation des futurs étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur. Ce système qui « automatise » les inscriptions ne résout en rien les inégalités sociales à la source telles que les avaient définies les deux sociologues.

Dans « Les Héritiers », Bourdieu et Passeron montraient que le système éducatif français, censé être un mécanisme d’égalité des chances et de méritocratie, était en réalité fortement influencé par les origines sociales et économiques des étudiants. Ils soutenaient que les élèves issus de milieux aisés avaient accès à un capital culturel supérieur, qui leur permettait de réussir plus facilement dans le système éducatif et, finalement, d’accéder à des postes de pouvoir et d’influence dans la société.

En se basant sur des données empiriques, les auteurs avaient démontré que les étudiants des classes supérieures étaient surreprésentés dans les filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur. Les étudiants des classes populaires étaient, quant à eux, souvent cantonnés dans des filières moins prestigieuses et moins rémunératrices. Ce constat avait mis en évidence les limites du système éducatif en tant que vecteur d’égalité sociale et d’ascension sociale pour les individus issus de milieux défavorisés.

« Les Héritiers » a eu un impact significatif sur la sociologie de l’éducation et a contribué à mettre en lumière les mécanismes de reproduction sociale et les inégalités qui en découlent. Depuis sa publication, de nombreuses études ont été menées dans différents pays pour analyser la manière dont les systèmes éducatifs reproduisent les inégalités sociales et culturelles. Le concept de capital culturel développé par Bourdieu dans cet ouvrage et dans d’autres travaux ultérieurs est devenu un outil d’analyse central dans la sociologie contemporaine.

Depuis cette époque, il est établi que le milieu social dont est issu un élève impacte fortement ses performances dans notre système éducatif, nous explique Pascal Molinier, professeur de psychologie sociale à Montpellier. Bien qu’il date à présent de plus de cinquante ans, ce constat n’a jamais été démenti (Forquin, 1982 ; Broccolichi, 2009 ; Cayouette-Remblière et De Saint Pol, 2013). Il peut même être affirmé que la situation s’aggrave puisqu’il est à peu près clairement établi aujourd’hui que notre système éducatif, non content de pérenniser les inégalités sociales, tend à les renforcer (CNESCO, 2016).

La part belle aux héritiers

Ce tableau révèle les inégalités à partir de données récentes (2021-2022). Il ne précise pas comment les jeunes issus des milieux très favorisés (la haute bourgeoisie) accèdent aux études supérieures. Ils ne vont pas à l’université, mais dans les grandes écoles. Mais il nous donne une indication précise de ce qui se passe dans le processus de sélection pour les enfants des ouvriers.

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Aujourd’hui, « les héritiers » continuent de squatter les établissements élitistes. Et Parcoursup ne les gênent pas. Cette intelligence artificielle qui impacte l’orientation de millions d’élèves a fait l’objet de plusieurs critiques et controverses depuis sa mise en place en 2018. Voici quelques-uns des principaux points soulevés par ses détracteurs :

  1. Le règne de la complexité et du stress pour les candidats : Le processus de Parcoursup est complexe pour les lycéens et étudiants en réorientation. La gestion des vœux, des sous-vœux et la nécessité de rédiger des lettres de motivation pour chaque formation peut être accablante pour certains candidats.
  2. L’incertitude dans la gestion des listes d’attente : C’est l’un des aspects les plus controversés de Parcoursup est la gestion des listes d’attente. Les candidats sont généralement placés sur des listes d’attente sans savoir combien de temps, ils devront attendre avant de recevoir une proposition d’admission. Cette incertitude peut être source de stress et d’anxiété pour les candidats et leurs familles.
  3. L’opacité des critères de sélection : Parcoursup a été critiqué pour l’absence de visibilité de certains critères de sélection utilisés par les établissements d’enseignement supérieur. Il a été suggéré que ces critères pourraient favoriser certains profils d’étudiants au détriment d’autres, entraînant des inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur. Notamment ceux que nous pouvons nommer « les héritiers » qui dès leur enfance ont été préparés pour accéder aux grandes écoles.
  4. Les inégalités territoriales et sociales : c’est le cœur de notre sujet. Certaines critiques soulignent que Parcoursup pourrait renforcer ces inégalités en privilégiant les candidats issus de milieux favorisés ou de certaines régions. Par exemple, les lycées réputés pour leur excellence pourraient avantager leurs élèves dans le processus de sélection, tandis que les lycées moins bien classés pourraient pénaliser leurs élèves. Mais il faut bien écrire cela au conditionnel car nous sommes ici confrontés à l’opacité des critères de sélection
  5. Il y a aussi l’absence de tirage au sort : Avec la mise en place de Parcoursup, cette pratique de tirage au sort des candidats a été supprimée. Si cette mesure visait à rendre le processus d’admission plus équitable et transparent, certains estiment que cela a également entraîné une compétition accrue entre les candidats et une sélection plus opaque.
  6. Il y a aussi le manque de places dans certaines filières : Parcoursup a aussi été critiqué pour le manque de places des filières qui sont particulièrement demandées. Cela peut conduire à des situations où des candidats qualifiés ne sont pas admis dans la formation de leur choix, malgré de bons résultats scolaires.

 

Malgré ces critiques, Parcoursup reste le principal outil d’admission dans l’enseignement supérieur en France. Des ajustements et améliorations auraient été apportés au système depuis sa mise en place, mais certains points de controverse demeurent. Mais l’opacité demeure.

L’endogamie et l’entre-soi ne sont pas les signes d’une société en bonne santé.

Selon Pascal Molinier, la plateforme Parcoursup peut même renforcer les inégalités sociales existantes dans l’accès à l’enseignement supérieur en France. Il souligne que les performances scolaires sont un facteur déterminant dans les admissions sur Parcoursup. Or celles-ci sont étroitement liées au milieu social d’origine des élèves. Ainsi, les bacheliers issus de milieux modestes peuvent être défavorisés dans la sélection. J’ajouterai que par ailleurs des élèves « moyens » ou avec de mauvaises notes en lycée, une fois arrivés à l’université, peuvent paradoxalement cumuler les réussites dans leur parcours universitaire. Or, ils sont orientés en amont à un moment où l’adolescence est souvent difficile dans les milieux populaires, ce qui impacte leurs résultats.

Pascal Molinier rappelle que l’université est un outil de promotion sociale et que jusqu’à présent, elle offrait une chance à tous les élèves, y compris ceux ayant des performances médiocres dans l’enseignement secondaire. Avec Parcoursup, cette opportunité  disparait, excluant définitivement les bacheliers les plus fragiles. Le professeur d’économie sociale  soutient que la France devrait éviter de restreindre les espaces de détection de ses élites, l’endogamie et l’entre-soi n’étant pas les signes d’une société en bonne santé. Il espère que les résultats de la procédure Parcoursup seront attentivement examinés par les décideurs politiques et que les bacheliers exclus et leurs parents feront entendre leur voix.

Les talents et compétences scolaires touchent tous les milieux

En conclusion, il est essentiel de reconnaître que les talents naturels sont distribués de manière aléatoire dans toutes les strates de la société. Cependant, attribuer les inégalités scolaires uniquement à des « dons naturels » serait une erreur. L’école doit jouer un rôle clé pour réduire ces disparités en offrant un soutien éducatif aux élèves, leur fournissant ce que les enfants des milieux favorisés reçoivent souvent à la maison.

Pour ce faire, l’éducation doit adopter des approches plus rationnelles et abandonner l’idée que l’apprentissage se fait de manière spontanée. Les enseignants et plus largement les éducateurs ont la responsabilité d’inculquer aux élèves les méthodes et compétences nécessaires. Il leur faut aussi clarifier leurs attentes et les critères d’évaluation. De plus, il est crucial de multiplier les exercices pour permettre aux élèves de progresser et de mettre fin à la glorification d’une fausse autonomie. Celle-ci ne profite qu’aux enfants des classes dites supérieures qui sont dans les faits particulièrement soutenus.

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Photo de Freepik

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