Le gouvernement a présenté en Conseil des ministres un projet de loi relatif à «la gestion de la crise sanitaire». Il provoque « des transformations profondes pour l’exercice de droits et libertés » explique la Défenseure des Droits qui a rendu un avis au Parlement. En voici l’essentiel. 10 points sont mis en avant par Claire Hédon. Certains concernent la situation des enfants qui risquent d’être discriminés, mais aussi des personnes pauvres et isolées qui pourraient être doublement pénalisées.
1. Le manque d’un débat démocratique
La Défenseure des droits a appelé de ses vœux l’organisation d’un débat démocratique public de fond sur les mesures qui vont être prises. Elle avait déjà alerté le gouvernement sur ce sujet par le passé. Des parlementaires se plaignent actuellement d’une forme de précipitation qui empêche un débat serein. Claire Hédon regrette vivement le choix d’une procédure accélérée compte-tenu de l’ampleur des atteintes aux droits et libertés fondamentales prévues par ce projet ainsi que du caractère inédit de certaines dispositions qu’il comporte.
2. De nombreuses zones d’ombre dans le texte
Un manque de clarté du texte permet de nombreuses interprétations. La Défenseure des Droits estime que cela pourrait restreindre les droits et libertés au-delà de ce que prévoit le projet de loi. De nombreux points, pourtant essentiels, sont renvoyés vers des mesures règlementaires qui seront définies plus tard. Ainsi l’espace public sera découpé en lieux accessibles et non accessibles, des personnes privées étant chargées de contrôler la situation sanitaire des individus, et donc leur identité, remettant en cause des principes de liberté de circulation et d’anonymat pourtant longtemps considérés comme constitutifs du pacte républicain.
3. Des restrictions d’accès aux transports publics et aux biens et services
Les mesures prises sont de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et venir et à entraver la vie quotidienne de nombreuses personnes, alors même qu’une part importante des populations jeunes notamment les précaires n’a pas encore eu accès à la vaccination. Le caractère discriminatoire de ces mesures ne peut être écarté. Par ailleurs, précise Claire Hédon, les mesures sont envisagées de manière générale et sans information préalable délivrée suffisamment longtemps en amont.
4. Le contrôle d’une partie de la population par une autre
La Défenseure des droits s’interroge sur le choix d’octroyer à des entreprises publiques et privées une forme de pouvoir de police, assurant elles-mêmes les contrôles de la détention d’un « passe sanitaire ». Ce contrôle devrait relever des autorités publiques.
5. Des risques de discriminations dans l’emploi
La Défenseure des droits rappelle qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte. Or le projet de loi peut créer une forme de discrimination en opérant une distinction entre les travailleurs détenteurs de l’un des trois documents demandés et ceux qui n’en n’ont pas.
6. Des risques considérables d’atteinte aux droits de l’enfant
La Défenseure des Droits relève que « une fois de plus, la situation spécifique des mineurs n’est pas prise en compte. Le texte prévoit que faute de « passe sanitaire », des restrictions soient engagées pour l’exercice de droits essentiels pour la jeunesse. Elle rappelle à cet égard que l’accès aux loisirs et à la culture est un droit proclamé par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Il ne s’agit pas d’un droit accessoire, mais bel et bien d’un droit fondamental pour le bon développement de l’enfant. Claire Hédon estime aussi que le risque est grand d’une stigmatisation de l’élève non vacciné au sein de son établissement scolaire ou internat scolaire.
La Défenseure des droits est favorable à ce que, pour les mineurs de 12 à 18 ans, la vaccination reste uniquement encouragée et ne tombe pas sous le coup d’une obligation déguisée. Elle considère en outre que, pour les mineurs de moins de 12 ans, le projet de loi devrait indiquer de manière expresse qu’ils sont exemptés de la vaccination.
7. Les personnes en situation de pauvreté risquent d’être doublement victimes
Claire Hédon rappelle que la carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. « Les nouvelles mesures comportent ainsi le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités ».
8. Des mesures d’isolement étendues
Le projet de loi prévoit que les mesures d’isolement soient étendues aux personnes présentes sur le territoire. Cela pose des questions nouvelles. Ainsi la notion de « (…) tout examen médical probant concluant à une contamination par la Covid-19 » demeure pour la Défenseure des Droits insuffisamment précise au regard de la privation de liberté qu’il peut entraîner. Autre problème, celui d’une incohérence, car si les tests sont payant les tests, cela aura pour effet de « désinciter » à se faire tester et freinera alors la politique de dépistage massif en favorisant ainsi la circulation du virus.
9. Les risques liés au traitement des données
Claire Hédon exprime une inquiétude qui porte sur le risque de glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale, auquel pourrait contribuer ce projet de loi.
10. La vaccination obligatoire pour certaines professions
Seuls les professionnels liés à la santé sont, à ce stade, soumis à cette obligation de vaccination. La Défenseure des Droits s’inquiète à leur sujet de la mise en échec du principe de non-discrimination en matière d’emploi, dès lors qu’ils ne seront pas vaccinés.
En conclusion la Défenseure des Droits insiste sur la nécessité de réévaluer régulièrement le dispositif mis en place au regard de la situation sanitaire afin que les restrictions ne durent que le temps strictement nécessaire à la gestion de la crise. Elle précise qu’elle a déjà été saisie de multiples réclamations depuis l’annonce de l’instauration du «passe sanitaire». « Toutes illustrent que la précipitation et la difficile lisibilité de certaines dispositions sont susceptibles d’entraver l’exercice de droits et libertés de manière non proportionnée à l’objectif poursuivi » conclut-elle
Photo : Claire Hédon Défenseure des Droits (© D. Dubasque)