L’éducation populaire étouffée sous la financiarisation

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Le livre d’André Decamp intitulé « Éducation populaire. Nouvel Eldorado des start-up sociales », ne cherche pas à discréditer les acteurs de ce secteur. Il leur propose un état des lieux lucide et réflexif.

L’éducation populaire s’abreuve aux idéaux d’émancipation et de transformation sociale. Elle favorise l’esprit critique, promeut le pouvoir d’agir des plus faibles et encourage une solidarité fondée sur la quête de justice sociale (égalité d’accès aux droits) et cognitive (égalité d’accès au savoir).

La financiarisation s’infiltre à tous les niveaux de la société. L’éducation populaire est de plus en plus soumise aux impératifs de l’idéologie technico économique et de sa culture de la productivité et de la rentabilité. Elle promeut  la compétitivité et  la performance Tournant le dos à l’État providence, la politique d’action sociale vise dorénavant à réduire les dépenses publiques, à diminuer le nombre de fonctionnaires et à laisser l’initiative privée prendre le relai.

Le choix des actions engagées est jugé à l’aune du « retour sur investissement ». Les injonctions de bonnes pratiques sont pilotées par la mesure de leur impact social. Quelle est la plus-value obtenue ? Combien ça rapporte ? Qu’est-ce que ça a évité ?

De la financiarisation des associations …

Les pouvoir publics ont commencé par réduire progressivement la part de leurs subventions de fonctionnement dans le budget des associations. Celui-ci est tombée de 34 % en 2003 à 20% en 2020.

 Puis, le « new public management » a introduit dans le secteur non marchand les recettes du secteur marchand : appel à projet plaçant les associations en concurrence, transformation de l’usager en client d’une prestation, intégration du secteur de l’action sociale jusque-là réservé et protégé à la logique du marché compétitif.

Enfin, l’intervention publique se met au service de la concurrence et du capital. Elle promeut les entreprises sociales et autres start-up dont l’ambition ne s’inscrit ni dans la justice sociale (égalité d’accès aux droits), ni dans la justice cognitive (égalité d’accès au savoir)…  Si ces structures captent les financements publics, c’est avec pour objectif de faire du business.

… à la financiarisation des centres sociaux

 Les centres sociaux ne sont plus aux commandes de leur projet associatif. Les initiatives ne viennent plus d’en bas, d’une co-construction avec les habitants et usagers. Ce sont dorénavant les financeurs qui ont l’initiative, privilégiant avant tout la stabilité budgétaire.

Les directeurs ne sont plus recrutés en tant qu’acteur de l’éducation populaire, mais sur leurs qualités et leurs compétences de gestionnaire, ainsi que sur leurs aptitudes à s’adapter à la compétition du marché des services.

Les centres sociaux sont piégés. D’un côté, ils sont incités à l’innovation financière, leurs financeurs les incitant à trouver des ressources lucratives. De l’autre, l’innovation sociale qu’ils initie a toujours été fondée sur le pouvoir d’agir des habitants parmi les plus fragiles.

S’ils s’éloignent de leur objectif premier, c’est en raison des impératifs financiers auxquels ils sont soumis. Entre 2005 et 2012, ils ont reçu chaque année 3 % de subventions en moins, la commande publique quant à elle s’est accrue dans la même période de 9 % annuels.

Plutôt qu’une production de connaissance et de pratique incluant les personnes concernées, c’est « l’opérationnalisme » qui l’emporte. Les problèmes sont résolus sans être pensés et analysés dans leur contexte, mais en tenant compte des impératifs budgétaires.

Pendant longtemps, leurs outils étaient d’une grande finesse et cousus main, parce qu’adaptés à chaque situation. L’action menée est dorénavant tenue à reproduire un schéma de conduite reproductible. La source d’inspiration en est ce « managérialisme « qui interprète le monde à partir de seules catégories de rationalisation gestionnaire.

Le livre d’André Decamp décrit cette contagion progressive tant de l’économie sociale et solidaire que de l’action sociale par le secteur marchand, sous l’effet des experts, des gouvernements et de l’Europe.

Jacques Trémintin

Éducation populaire. Nouvel Eldorado des start-up sociales, André Decamp, Éd. Libre & Solidaire, 2022, 320 p.

couv educpop


 Lire aussi :

  1. Défaire le capitalisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme, par Éric Dacheux & Daniel Goujon, Éd. Erès, 2020, 353 p. Alors qu’il y a une diversité de modèles économiques (domestique, publique, sociale), le capitalisme n’admet que la logique orthodoxe de marchandisation potentielle de tout ce qui existe, imprégnant fortement les mentalités autour du triptyque : acquisition, compétition et rationalité. (lire la présentation)
  2. Chemins d’économie humaine par Lourthusamy Arokiasamy, Yves Berthelot, Andrès Lalanne, Lily Razafimbelo, Ed. Cerf, 2016, 233 p. l’économie humaine revendique comme principes de fonctionnement la solidarité, la justice et la dignité. Elle tourne le dos tant à la stagnation provoquée par la planification marxiste qu’à l’explosion des inégalités produite par un néolibéralisme privilégiant la libre concurrence et la loi du marché,  (lire la présentation)
  3. L’entreprise du XXIème siècle sera sociale (ou ne sera pas) de Jean-Marc Borello, François Bottollier-Depois, Nicolas Hazard, Éd. Rue de l’Echiquier, 2012, 317 p. Les auteurs présentent « l’entreprise sociale », comme la synthèse de la libre entreprise, des services publics et de l’économie sociale et solidaire. (lire la présentation)
  4. L’efficacité économique au service de l’intérêt général : le Livre Blanc des entrepreneurs sociaux, Collectif, Rue de l’échiquier, 2012, 54 p. Entre les associations utiles et subventionnées, mais peu rentables et les entreprises lucratives efficaces mais peu soucieuses des enjeux sociaux et environnementaux, l’économie sociale et solidaire propose une troisième voie pionnière. (lire la présentation)
  5. Le microcrédit ou le pari de l’homme, par Maria Nowak, éditions Rue de l’échiquier,  2009, 126 p. Depuis que Maria Nowak a fondé l’Association pour le droit à l’initiative économique, en 1988, c’est près de 75.000 emplois qui ont été créés.

 


Bonus

« Éducation populaire et Économie sociale et solidaire :  si lointaines et pourtant si proches »

 L’économiste est celui qui est toujours capable d’expliquer pourquoi il s’est trompé la veille », affirmait Bernard Marris, assassiné avec l’équipe de Charlie. Les partisans les plus orthodoxes de cette discipline trustent nos media, en nous disent et répétant sans cesse que seule l’économie marchande serait à même de nous garantir la prospérité.

En conséquence, il faudrait non seulement nous soumettre à ses lois, mais encore plus les étendre à toutes les activités humaines… y compris à une animation devant se plier aux exigences de rentabilité, de rendement et d’efficacité. Si l’on s’extrait de cette gangue idéologique néolibérale, on constate très vite que la réalité est bien plus complexe, diverse et multiple qu’elle veut nous le faire croire. (accéder à ce dossier sur le site de Jacques Trémintin)

 


Photo en une :  Freepik

Note : cet article entre dans la rubrique « livre ouvert » animée et rédigée par mon ami et collègue Jacques Trémintin

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