L’inflation a des effets sur les familles et les personnes seules. Confrontés à des fins de mois de plus en plus difficiles, de nombreux Français ont recours à tous les expédients possibles pour se maintenir à flot. Dans une note élaborée en partenariat avec le magazine Le Point, Jérôme Fourquet a récemment analysé les manifestations et l’ampleur de ces comportements liés à ce que l’on nomme «l’économie de débrouille ». C’est l’occasion d’observer des pratiques qui ne sont pas tout à fait nouvelles et qui sont connues des professionnels du travail social. Explications :
L’économie de débrouille, également connue sous le nom d’économie informelle, est un phénomène en pleine expansion. Cette pratique qui n’est pas nouvelle témoigne d’une capacité d’adaptation et d’innovation remarquable des personnes et des familles qui font face à des difficultés économiques. Les travailleurs sociaux sont témoins de cette intelligence pratique développée par celles et ceux qui vivent ou survivent avec des minima sociaux. Dans cet article, nous allons explorer les différentes facettes de cette tendance et mettre en lumière les aspects positifs et les potentialités de l’économie de débrouille en tant que solution alternative et solidaire.
Il nous faut d’abord tenter de définir ce qu’est cette forme d’économie. Elle regroupe l’ensemble des activités économiques qui échappent aux régulations et aux cadres légaux traditionnels. Selon l’étude menée par la Fondation Jean Jaurès, cette économie parallèle est en plein essor et concerne aujourd’hui un nombre croissant de personnes issues des classes populaires. Les auteurs de cette note, Raphaël Challier et Jérôme Fourquet, soulignent que cette économie de la débrouille « témoigne d’une forme d’ingéniosité et de créativité des catégories populaires pour faire face aux contraintes et aux défis du quotidien. »
Des revenus complémentaires
Les raisons qui poussent les individus à s’y adonner sont multiples. Il y a tout d’abord, il y a la recherche de revenus complémentaires et la nécessité de s’adapter à un marché du travail de plus en plus précaire. En effet, de nombreuses personnes ont recours à des activités informelles pour améliorer leur situation financière et développer leurs compétences. Comme l’explique un des témoins interrogés dans l’étude, « la débrouille, c’est une manière de se prendre en main et de ne pas se laisser abattre par les difficultés. »
Mais attention, le fisc veille ! Les algorithmes surveillent les sites comme le bon coin où de nombreux allocataires des minimas sociaux tentent de se créer un revenu de complément qui n’est pas déclaré à la CAF. (Sinon à quoi bon). Certains font preuve d’ingéniosité pour ne pas être repérés et l’on est pas loin parfois du travail « au noir » dit travail dissimulé. Pourtant, l’économie de la débrouille est tout autre chose.
C’est une autre façon de consommer
Mais au-delà de la simple nécessité économique, l’économie de débrouille est aussi le reflet d’aspirations plus profondes à une consommation et à un mode de vie alternatifs. De plus en plus de personnes souhaitent en effet se détacher des modèles de consommation dominants, jugés trop matérialistes et déconnectés des réalités écologiques et sociales. Ainsi, l’économie de débrouille peut être vue comme une forme de résistance et d’émancipation face à un système économique perçu comme injuste et insoutenable.
Cette tendance à l’alter-consommation se traduit par le développement de pratiques telles que le troc, l’échange de services, l’achat de produits d’occasion ou encore la production locale et artisanale. Ces nouvelles formes de consommation permettent non seulement de réduire les dépenses, mais aussi de créer du lien social et de promouvoir des valeurs de solidarité et de partage. Comme le souligne une des personnes interrogées dans l’étude, « le troc, c’est une autre façon de consommer, plus humaine et plus respectueuse de l’environnement. »
Quelques exemples qui révèlent cette pratique
Il existe de multiples façons de s’inscrire dans l’économie de la débrouille
- Le troc : le troc est une pratique ancestrale qui consiste à échanger des biens ou des services sans utiliser d’argent. Aujourd’hui, de nombreuses plateformes en ligne permettent de trouver des partenaires d’échange et de pratiquer le troc en toute simplicité. Par exemple, le site Troc.com permet d’échanger des objets, des vêtements, des livres, etc.
- L’achat et la vente d’occasion : ce sont des pratiques courantes. Les sites de petites annonces comme Le Bon Coin, eBay ou Vinted permettent de vendre ou d’acheter des objets d’occasion à des prix avantageux. Les vide-greniers, brocantes et marchés aux puces sont également des lieux privilégiés pour trouver des objets d’occasion.
- L’autoproduction : cela consiste à produire soi-même les biens dont on a besoin, plutôt que de les acheter. Par exemple, on peut cultiver son propre potager, fabriquer ses produits ménagers, ses cosmétiques ou encore ses vêtements. L’autoproduction permet non seulement de réduire ses dépenses, mais aussi de développer ses compétences. Cette forme d’autonomie renforce le « pouvoir d’agir » de celles et ceux qui pratiquent cette forme de production.
- L’échange de services et de savoirs : il s’agit ici d’échanger des compétences ou des savoir-faire entre particuliers. Par exemple, on peut échanger des cours de langue contre des cours de cuisine, ou encore des services de bricolage contre des services de jardinage. Les plateformes d’échange de services comme Yakasaider ou Smiile permettent de trouver des partenaires d’échange près de chez soi. Dans certains quartiers des travailleurs sociaux tentent, à travers des actions collectives, de développer des réseaux d’échanges réciproques de savoirs. Si vous êtes intéressé(e), sachez qu’il existe un réseau français qui met en avant une méthodologie pour cette forme d’échange.
- Le covoiturage : bien connue notamment chez les jeunes, partager un trajet en voiture avec d’autres personnes entre aussi dans l’économie de la débrouille. Le covoiturage permet de réduire les coûts de transport, de limiter les émissions de CO2 et de favoriser les rencontres et les échanges. Les plateformes de covoiturage comme BlaBlaCar ou Karzoo permettent de trouver facilement des trajets partagés.
- La location entre particuliers : la location entre particuliers est une pratique qui consiste à louer un bien (voiture, logement, outils, etc.) à un particulier plutôt qu’à une entreprise. Cette pratique permet de réduire les coûts et de favoriser l’économie collaborative. Les plateformes de location entre particuliers comme Drivy, Airbnb ou Zilok permettent de trouver facilement des biens à louer. Mais ce type de plateforme est très discutable car il a été détourné pour générer un business de la location qui, à mon avis sort du cadre de l’économie de la débrouille.
Ces quelques exemples (il y en a d’autres) nous montrent la diversité et la richesse des pratiques qui s’inscrivent dans l’économie de la débrouille. En adoptant ces pratiques, chacun peut contribuer à la construction d’une économie plus solidaire, plus respectueuse de l’environnement et plus résiliente face aux défis du quotidien.
Une économie qui ne permet pas d’en vivre
Il est important de préciser que l’économie de débrouille présente également des risques et des limites. Ce type d’activité est précaire des emplois, l’absence de protection sociale et la concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises légales. Toutefois, elle témoigne d’une réelle volonté de changement et d’adaptation de la part des individus, qui cherchent à reprendre le contrôle sur leur vie économique et à inventer de nouvelles formes de solidarité et de coopération. En tant que travailleur social, il me parait utile de valoriser les initiatives individuelles et collectives qui participent à la construction d’une économie plus juste, plus solidaire et plus respectueuse de l’environnement.
Pourquoi les travailleurs sociaux sont concernés par ce sujet ?
Un travailleur social peut jouer un rôle important dans l’accompagnement et la valorisation de l’économie de la débrouille, notamment auprès des personnes en situation de précarité ou d’exclusion. Tout d’abord, cela permet aux personnes de développer des compétences et des savoir-faire qui leur permettent de s’adapter aux difficultés du quotidien et de gagner en autonomie. En accompagnant les personnes dans leurs projets , le travailleur social peut les aider à renforcer leur confiance en elles et leur capacité à faire face aux aléas de la vie.
Ensuite, l’économie de la débrouille peut être une alternative pour les personnes qui ont du mal à accéder aux circuits économiques traditionnels, en raison de leur situation de précarité ou d’exclusion. En valorisant et en accompagnant les initiatives, le travailleur social peut contribuer à réduire certaines inégalités et à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes.
De plus, c’est une évidence l’économie de la débrouille repose souvent sur des échanges et des partages entre les personnes, ce qui favorise le lien social et la solidarité. En accompagnant et en valorisant les initiatives d’économie de la débrouille, le travailleur social peut contribuer à renforcer les liens sociaux et à créer du lien entre les personnes.
Enfin, l’économie de la débrouille peut être une alternative à un modèle économique dominant. Il repose sur la surconsommation et l’exploitation des ressources naturelles. En valorisant et en accompagnant les initiatives d’économie de la débrouille, le travailleur social peut contribuer à promouvoir une économie plus responsable, plus respectueuse de l’environnement et plus solidaire.
Pour aider et valoriser l’économie de la débrouille, le travailleur social peut mettre en place différentes actions.
Tout d’abord, il peut informer et sensibiliser les personnes à ces pratiques d’économie en organisant des ateliers, des conférences ou en faisant intervenir des personnes expertes sur ce sujet. Ensuite, il peut accompagner les personnes dans leurs projets, en les aidant à identifier leurs compétences, leurs besoins et leurs ressources. Il s’agit aussi de favoriser des mises en relation avec des partenaires potentiels. Il peut également valoriser les initiatives, en les mettant en avant dans les médias locaux, en organisant des événements ou en créant des réseaux d’échange de savoirs réciproques et de partage. Enfin, il peut soutenir les projets d’économie de la débrouille, en aidant leurs promoteurs à trouver des financements, et en les accompagnant dans leurs démarches administratives
En somme, le travailleur social peut jouer un rôle important dans l’accompagnement et la valorisation de cette économie si particulière, en aidant les personnes à développer leur autonomie, leur résilience et leur capacité à agir, tout en promouvant une économie plus responsable et solidaire. C’est déjà pas mal ! En tout cas c’est essentiel.
Source :
- La vitalité de « l’économie de débrouille » : symptôme du désarrimage des catégories populaires et (en mineur) des aspirations à une alter-consommation | Fondation Jean Jaurès
- Qu’est-ce que les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs® ?
Photo : Freepik master1305