Une écrasante majorité de Français se sent insuffisamment, voire pas du tout, informée sur la santé mentale : c’est le cas de 82% d’entre eux (1). C’est un curieux paradoxe quand on sait qu’il est considéré qu’un Français sur cinq a des problèmes de ce type (que ce soit psychologique ou psychiatrique). Les travailleurs sociaux sont souvent en première ligne confrontés à des personne qui souffrent beaucoup sans que cette souffrance psychique ne soit véritablement reconnue. La reconnaissance du besoin de soins est parfois un véritable parcours du combattant. Et que faire quand nous sommes face à une personne qui est dans un déni complet de sa situation ? Si elle est là en face de vous, ce n’est sans doute pas par hasard. Elle a besoin de vous mais ne sait pas encore si vous pourrez l’aider…
Il y a encore du chemin à parcourir avant que les personnes atteintes de troubles psychiques soient reconnues comme des malades relevant en priorité du traitement et des soins. Certes les urgences psychiatriques existent mais elles sont loin d’être une priorité nationale comme c’est le cas dans certains pays. tels le Royaume uni, ou le Canada. On aimerait bien qu’il en soit autrement.
Les médecins savent ce qu’il faut engager comme soins sans attendre lorsqu’une personne souffre de problèmes cardiaques et fait une crise. La mise en oeuvre des soins est beaucoup plus aléatoire dans le cas d’une crise de santé mentale. Dans de nombreux cas, il y a des portes d’entrées très différentes pour accéder aux soins, notamment lors de crises aiguës. Vous pouvez par exemple faire intervenir la police lors d’un trouble à l’ordre public ou les pompiers, ou encore SOS médecin. Le malade peut tout aussi bien être dirigé vers une cellule de la police comme lieu de contention ou être admis en urgence psychiatrique. Evidemment le traitement n’est pas le même.
Une étude menée en Angleterre a démontré qu’en 2012-13, la police a engagé près de 22 000 détentions liée à des crises ayant pour origine des pathologies mentales. Sur l’ensemble du territoire, les deux tiers de ces personnes ont été emmenées à l’hôpital, mais un tiers d’entre elles ont été incarcérées dans des cellules de police – un environnement plutôt inapproprié et surtout pénible pour toute personne qui subit une crise de santé mentale. Nous savons aussi que l’Angleterre est loin d’être un modèle notamment quand on a vu la récente émission qui traitait de ces « enfants volés » au nom de la protection de l’enfance.
Et les travailleurs sociaux dans tout cela ? Comment peuvent ils faire face à cette souffrance psychique de la population ? Certes nous savons que la personnes en crise est peu accessible. C’est souvent le seul moyen qu’elle se donne pour se protéger d’une réalité pour elle insoutenable. Elle se crée une autre réalité qui génère autant d’angoisse pour elle que pour celles et ceux qui les entourent. La victime peut aussi devenir tyrannique. Non seulement dangereuse pour elle même mais aussi pour les autres tout comme pour les travailleurs sociaux qui les reçoivent et qui ne savent pas forcément comment agir lorsque survient la crise ou le déni violent face au réel.
Mais nous pouvons aussi proposer un espace où la personne existe en tant que sujet. Un espace sans violence et apaisant. C’est déjà beaucoup. Nous ne sommes pas là pour soigner mais nous pouvons « aider l’autre à penser » en prenant en compte son système de référence. Certes, ce n’est pas facile. Mais quand le tourment envahit une personne, nous pouvons alors lui proposer de rencontrer un infirmer ou un médecin.
Mais le terme Psychiatre ou encore psychiatrie font peur. Non seulement à ces personnes qui en ont fait l’expérience, mais aussi à nous parfois. Il y a quelque chose d’étrange, que nous ne saisissons pas et qui peut fortement nous insécuriser. Je ne parlerais pas non plus de cette fâcheuse habitude ou tendance qui consiste à catégoriser les « souffrants » dans des cases référencées : il est mythomane, bipolaire, schizophrène, paranoïaque et j’en passe. Nous sommes bien avancés avec ça. Je ne sais pas si cela est pour les professionnels rassurant mais en tout cas cela ne change pas grand chose quand la personne est en face de nous. Nous nous adressons à elle prudemment certes, mais souvent sans l’avoir « cataloguée » dans tel ou tel registre médical. Nous continuons à la considérer comme un sujet acteur de sa propre vie. (Je ne parlerais pas des quelques rares collègues qui nous expliquent ce qu’il faut faire face à telle ou telle pathologie, je préfère laisser cela aux « vrais » spécialistes que sont les psychiatres et infirmiers psychiatriques dont certains sont extrêmement aidants pour nous).
Que savons nous faire exactement ? Sans doute beaucoup plus que nous le croyons. En effet avec quelques années de pratique et d’accueil de la population nous avons tous eu à un moment ou à un autre eu à faire face à des personnes sujettes à des délires, à une transformation de leur personnalité. Certains ont appris d’abord à ne pas être déroutés face à l’irruption de l’irrationnel qui survient parfois lorsque l’on ne s’y attend pas. Plusieurs aspects sont à prendre en compte :
– la personne : nous évitons de la contredire et nous ne lui signifions pas que nous sommes choqués par ses propos. Nous essayons de comprendre sa logique, en faisant bien attention à ne pas la heurter. Seule une écoute active le permet. Surtout ne pas couper le fil de la parole et éviter de donner son point de vue qui sera forcément interprété. Mais l’expérience nous apprend aussi 2 ou 3 choses sur les personnes en souffrance psychiques :
- Elles sont sensibles et ont souvent une conscience aigüe de celui ou celle qui est en face. Ce sont des personnes à qui « on ne raconte pas d’histoires ». Elles vous obligent à être authentique et voient très vite si vous êtes dans la fuite ou l’évitement.
- Elles souffrent réellement et c’est cette souffrance qui peut les rendre accessibles à l’aide
- Elles peuvent tenter de vous emporter dans leur logique ou vous conduire à poser des actes que vous ne poseriez pas en temps normal. Il vous faut être vigilant.
- Elles ont souvent conscience que quelque chose ne va pas chez elles. Elles ont du mal à le reconnaître (le reconnaître c’est déjà être guéri ou presque).
- Elles ont besoin de se « raconter des histoires » tellement le réel leur est insupportable. Leurs perceptions, leurs façons d’expliquer le monde qui les entoure est une sorte de protection. Leur vision différente leur permet souvent de « survivre » souvent au prix d’efforts surhumains pour que tout reste inscrit dans une certaine logique ou cohérence
– le symptôme : nous essayons d’aborder le registre des émotions « vous êtes en colère », « cela vous stresse quand vous parlez de cela.. » ces réactions ne sont pas forcément des question mais plutôt le signe que nous nous intéressons à ce que vit la personne au moment présent. Si elle reprend sur ce registre, vous savez que vous allez pouvoir avancer. Elle vous signifie qu’elle est accessible à l’aide. « Oui je suis énervée mais vous ne pouvez pas me comprendre… » cette forme de réponse permet de continuer un dialogue de personne à personne. Par contre si la personne ne vous donne pas accès à ce mode de communication, cela peut devenir très compliqué.
Seule l’aide de spécialistes nous permet alors d’avancer. C’est pourquoi le « travail à distance » avec les équipes mobiles de psychiatrie est si important. Lorsqu’il y en a, c’est souvent l’un des seuls moyens pour le travailleur social d’être soutenu et d’envisager qu’un relais puisse être pris en co-participation. Mais tout cela est bien compliqué lorsque la personne continue de vivre dans son monde et à se mettre hors d’atteinte d’un quelconque raisonnement rationnel.
En tout cas nous ne pouvons rester seuls lorsque nous sommes confrontés à des situations extrêmes. Nous travaillons avec nos propres limites, celles ci évoluent au rythme des situations que nous avons eu à gérer. Mais il nous faut aussi savoir ne pas nous mettre en danger en refusant certaines évidences. Jusqu’où par exemple acceptons nous que la personne en crise continue de délirer ou encore d’insulter ou menacer ses interlocuteurs ? c’est une question délicate et difficile pour laquelle seule un travail et une réflexion en équipe pluridisciplinaire peut apporter l’amorce d’une réponse.
N’hésitez pas à télécharger le rapport d’Antoine LAZARUS et d’Hélène STROHL: Une souffrance qu’on ne peut plus cacher publié par la documentation Française. Même si ce rapport date un peu, il est, à mon sens, ce qui a été écrit de mieux à ce sujet.
(1) à telecharger : l’étude sur «Les Français et la santé mentale» menée pour la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN) par OpinionWay auprès d’un échantillon de 1 009 personnes.
3 Responses
Bonjour,
Je me permets de réagir à votre article, car en tant qu’assistante sociale hospitalière en psychiatrie depuis 15 ans, j’ai souvent eu à aborder cette problématique avec mes collègues de secteur, mais aussi avec mes partenaires (mission locale, gérant de tutelle, ehpad, ….). Tout d’abord il y a le problème de la représentation que notre société a de la psychiatrie. LA FOLIE, vol au dessus d’un nid de coucou… et j’en passe. LES PEURS bien alimentées par la presse, et les conséquences d’une incompréhension totale de la prise en charge de la maladie mentale.
J’ai débuté ma carrière au siècle dernier, ma mission première, était de développer le réseau et le partenariat, afin de permettre l’insertion sociale (emploi, logement…) des patients. Comment convaincre la société qu’être atteint d’une maladie psychiatrique n’empêche aucunement de pouvoir avoir, un travail, une famille et une vie sociale. A ce moment là je ne sais même pas si il existait des équipes mobiles. Alors je me suis positionnée en relai, j’ai essayé de faire le lien entre mes collègues de secteur, je me suis rendue disponible, à l’écoute et parfois suis intervenue pour dédramatiser la psychiatrie. Passer par le social, pour amener au soins, cela est possible et sans forcement investir de l’argent. La compréhension de ce qu’est la maladie mentale, de ses conséquences sur le quotidien, des limites invisibles qu’elle entraine, reconnaître la maladie mentale au même titre que le handicap physique, serait déjà une avancée. Eh oui car il y a même une hiérarchie dans le handicap. Car le handicap psychique n’est pas visible, il est encore moins considéré, que le handicap physique, et l’on sais combien il y a encore mille effort à faire pour ces derniers.
Nous avons aussi acquis des réflexes que nous devons pouvoir transmettre, quel positionnement face à quelqu’un qui délire, comment rester suffisamment neutre afin que l’aidant ne transmette pas sa peur, car l’on peut se retrouver parfois dans des situations de danger immédiat. Nous devons pouvoir partager nos expériences, et le corps médical dois aussi s’impliquer dans la compréhension de la pathologie. Mais pour cela il faut accepter de prendre le temps, pour permettre une meilleure coordination et un accompagnement adapté.
Merci de votre témoignage intéressant. Je me propose d’intégrer dans le texte en annexe.
DD
Merci pour cet article. je suis en plein « dedans » et c’est vrai que l’espace d’accompagnement n’est pas simple. Cordialement