Noël Touya, directeur de la maison d’enfants à caractère social à Biarritz, a écrit une lettre ouverte qui raconte ce lieu, « où le confinement se vit autrement » explique le journal Sud Ouest. Noël Touya est coauteur du livre « Travailler en Mecs – Maisons d’enfants à caractère social » et de « Promouvoir les pratiques professionnelles » Établissements, dispositifs et réseaux sociaux et médico-sociaux tous deux parus chez Dunot.
Voici sa lettre :
« J’entends les cris de Léo, 10 ans. Aujourd’hui, il est en colère, tout l’énerve et la patience infinie de ses éducateurs ne suffit pas à le calmer. Cela fait 3 semaines qu’il ne voit plus sa mère, pour lui et sa sœur, les droits de visite et d’hébergement sont suspendus. Sa mère a bien compris, elle essaye de le rassurer et de le soutenir dans cette épreuve au cours des échanges par Skype, mais la souffrance est là, saleté de virus, confinement de m…
Dans la Maison, la vie s’est organisée, ritualisée, petit dèj. (Marie Jo a res- sorti les cornflakes…), la matinée est consacrée aux devoirs… On s’est organisé, presque un pour un, la scolarité pour beaucoup est douloureuse, couteuse et puis tellement ruineuse en confiance en soi et en estime de soi.
« J’y arrive pas !! », la voix de Léo résonne dans les coursives de cette vieille institution. Combien de cris a-t-elle étouffé entre ses épais murs, de combien de pleurs, de rebellions a-t-elle été la scène, combien de générations d’adultes ont assisté impuissants aux itinéraires chaotiques des petits sauvageons…
Aujourd’hui, c’est mercredi, Marie Jo nous a préparé le « poulet frites », une « institution » dans l’institution !! Léo a retrouvé le sourire, il lui lance « si t’avais un restaurant se serait un 6 étoiles !! ». Le repas a été pris dans le grand jardin, le soleil de printemps nous rappelle qu’il existe encore des saisons dans ce temps où la vie s’est ralentie. Mylène, la sœur de Léo marche sur le muret de la clôture, elle avance en se tenant au grillage. De l’autre côté de la rue, deux enfants sont à la fenêtre, eux aussi confinés : « Hé, la fille ! lui lancent-ils, la conversation essaye de s’engager, qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi t’es là ? Il est joli ton jardin ! Mylène s’éloigne doucement en évitant leurs regards… Hé, la fille, la fille ! ».
Une éducatrice est là, remonte avec elle, « on va faire une activité, tu veux toujours, oui répond-elle »… Quel métier ! Savoir accueillir les solitudes, les petits désespoirs, les cœurs gros, les colères, les frustrations et tenter d’en faire quelque chose, d’en transformer quelques uns, de faire diversion… C’est un métier où la présence ne peut être du « semblant », sinon ça se voit et ça ne marche pas…
Serge Paugham définit la socialisation comme un lien où l’on compte sur quelqu’un et pour quelqu’un… Il faut donc accepter d’occuper cette place, de ne pas se défausser, de trouver la juste proximité avec l’enfant car pour lui, il est parfois difficile de recevoir « d’étranger » ce qu’il ne peut recevoir de sa propre famille…
« Quiconque se préoccupe de l’enfant a nécessairement, en parallèle, le soucis de ses parents. L’un ne va pas sans l’autre » disait Pierre Gautier, dans la préface de l’ouvrage « Les enjeux de la parentalité » de Didier Houzel. A l’origine était l’orphelinat, la clôture et les parents étaient jugés incompétents, dangereux, incapables…
Mais nous avons appris à faire une place aux parents, d’abord timidement, nous avions peur d’eux, nous nous défendions avant même qu’ils nous attaquent et puis nous avons accepté les parentalités partielles, défaillantes, « dysfonctionnantes » et nous nous sommes mis à inventer des stratégies de suppléance, de soutien. Enlever un enfant à sa famille est un acte lourd, parfois, l’y laisser également…
Actuellement 47 jeunes sur 75 vivent au sein de leur famille dans le cadre d’un « placement à domicile ». Formule au combien paradoxale, qui sous-entend qu’un enfant est « confié » à un établissement ou un service social mais est autorisé à rester domicilié chez ses parents. En cette période de confinement, nous appelons tous les jours parents et enfants, nous sommes auprès d’eux, nous prenons la température des humeurs familiales, nous réceptionnons les ras-le-bol, les questionnements, les ressentis que fait naitre cette drôle de situation. Avec presque tous, la relation établie sert de socle à ce travail à distance. Etonnant, le confinement ouvre à des confidences, la parole se libère.
Le confinement, le virus, le climat familial, le travail scolaire, l’imprimante qui est en panne, la connexion internet qui est trop faible, la peur de ne pas y arriver et les repas à faire, et ce beau temps !!… Tout y passe, et puis : « on se rappelle demain, -oui, à l’heure du Café ?, -oui, on a nos habitudes ! ».
Monsieur le Ministre, cela sert à ça le travail social, d’amortisseur des secousses catastrophiques sanitaires, sociales, familiales et personnelles. Le travail social participe de ce que vous appelez la résilience. Une société pour résister doit s’appuyer sur l’empathie, la solidarité afin qu’elle garde une suffisante cohésion dans un contexte « d’archipelisation » et d’éclatement. Le travail social, au même titre que l’éducation, la culture est vecteur de reliance, mais il est également là pour prévenir la dégringolade des derniers de cordées qui risque d’en emporter plus d’un dans leur chute.
Le travail social n’est pas une charge, il est un investissement pour l’avenir. Dans l’attente de puiser des enseignements de cette expérience COVID 19, accordons toute notre admiration et notre considération aux professionnels des Maisons d’Enfants et à travers eux, à tous les travailleurs sociaux. »
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