Les pratiques de travail social ne concernent pas que la France, l’Europe et plus largement les pays riches. Nous avons aussi à apprendre des pays en voie de développement qui sont confrontés à des crises sévères comme l’insécurité alimentaire, l’exploitation des enfants, l’instabilité politique et économique ou encore le réchauffement climatique qui touche de plein fouet les pays du sud de l’Afrique et de l’Amérique latine.
Je vous propose de découvrir et peut-être aussi de soutenir le travail de professionnels et de bénévoles engagés dans la protection de l’enfance et des personnes vulnérables en République Démocratique du Congo. En effet, j’ai eu la possibilité d’échanger avec Jean Marie Barhakengera Sigareti qui est consultant expert en suivi des activités de résilience à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il est aussi et surtout coordinateur de l’association Uthabiti qui a accompagné depuis 2018, 15.568 familles dans les régions du Sud et Nord Kivu, et de la province de Tanganyika.
Cette carte vous permet de mieux situer le pays et où intervient l’association dans les régions de l’est du pays qui sont frontalières avec le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. C’est aussi une façon de bien mesurer la position et la taille du pays qui est grand comme quatre fois la France. Il est le deuxième plus vaste pays d’Afrique après l’Algérie, et le troisième pays le plus peuplé d’Afrique. Il est aussi le premier pays francophone le plus peuplé avec environ 95,2 millions d’habitants.
Le pays fait face à de nombreux tourments avec une histoire coloniale et politique complexe que je vous invite à découvrir ici
La population vulnérable : les femmes, les enfants, mais aussi les prisonniers
La situation sociale dans le pays est très tendue. Il y a des conflits interethniques importants, des territoires difficilement accessibles et dangereux si on n’est pas Congolais. D’ailleurs, le ministère des affaires étrangères en France indique que le Nord-Kivu et le Sud-Kivu sont « formellement déconseillés » (en rouge sur la carte des niveaux de vigilance) en raison de la présence de différents groupes armés, responsables d’exactions contre les populations civiles. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on ne peut pas agir !
C’est pourtant là qu’intervient l’association Uthabiti.
On constate chaque jour la présence de l’association dans des zones instables voire dangereuses pour la population locale. Aussi, depuis janvier dernier, la radio Okapi indique que 324 écoles du Nord-Kivu ne sont pas accessibles aux activités éducatives, se basant sur un rapport du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA). Cette situation a affecté la scolarité d’environ 100 000 enfants. Des écoles ont été détruites pendant les combats ou endommagées par les catastrophes naturelles et dans tous les cas occupés par des groupes armés.
Aujourd’hui, donnons la parole à Jean Marie Barhakengera Sigareti afin de mieux connaître son engagement et les projets menés et à venir au sein de l’association Uthabiti.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ?
Elles sont multiples, car la situation dans le pays est très difficile. Il existe des milices armées dans le territoire où intervient l’association. Les enfants sont souvent déscolarisés, surtout les filles car la priorité (de l’éducation) est donnée aux garçons, ce qui n’est pas juste. Il y a dans le pays beaucoup d’enfants de rue qui ont besoin d’encadrement éducatif. La pauvreté et le manque de ressources posent aussi de graves difficultés ne serait-ce que pour manger à sa faim. Les femmes seules avec ou sans enfants et les personnes âgées sont aussi un public prioritaire. Cela nous conduit à agir dans plusieurs directions en combinant action caritative et travail social. L’un ne va pas sans l’autre.
Concrètement qui est concerné par les accompagnements sociaux ?
Nous apportons de l’assistance aux différentes communautés dans 4 directions : l’éducation et protection des enfants, la santé mais aussi l’agriculture avec la protection de l’environnement et enfin la paix et droits humains.
Sur l’éducation et la protection des enfants, il y a cette réalité des enfants des rues qu’il faut absolument protéger et éduquer. Nous avons par exemple contribué à la reconstruction de 4 écoles qui étaient particulièrement délabrées. Car c’est l’école qui apporte l’éducation aux filles et aux garçons.
En matière de santé, il y a un problème face au manque d’eau potable. Il y a aussi les effets délétères de la malnutrition. Il y a dans le pays 27 millions de personnes, soit environ le quart de la population qui fait face à une insécurité alimentaire aiguë depuis septembre 2021. L’association tente d’agir pour porter une assistance urgente et durable à 15 000 ménages du Sud Kivu. Malheureusement, aujourd’hui, les moyens financiers disponibles n’ont pu aider que 235 familles. C’est vraiment trop peu par rapport aux besoins, mais nous manquons de moyens.
photo : des enfants accueillis et accompagnéa par l’association Uthabiti
L’agriculture est un moteur de la lutte contre la malnutrition. La population est dans une situation très précaire. La précarité pour nous est d’abord alimentaire avec la protection des enfants en détresse, les enfants malnutris, notamment les enfants des rues, ou encore d’enfants vendeurs d’eau contre du manioc. En République Démocratique du Congo, il a été estimé que 3,3 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë.
La paix et les droits humains. Il y a bien sûr le droit à l’éducation, mais il ne peut exister que si les communautés cohabitent dans la paix. Grâce à l’appui de l’association pour l’encadrement des paysans au Congo (AEPCO), Uthabiti a réussi à réunir des communautés et les groupes en conflits pour analyser ensemble les mécanismes possibles pour promouvoir la paix et la cohésion communautaire. Nous avons également organisé des cercles de paix, des jeux de paix pour sensibiliser les communautés à se réconcilier et à cultiver la paix. Il nous faut aussi lutter contre le travail des enfants.
Comment êtes-vous financés ?
Nous sommes une association récente qui est née d’une volonté d’agir face aux conflits interethniques dans les zones où nous intervenons. Nous recevons des financements locaux de particuliers et d’entreprises ainsi qu’une aide au développement via l’ONU. Nous travaillons avec l’autorisation des autorités gouvernementales sur les 3 provinces. Il faut pour cela que nos actions soient « alignées » sur les politiques d’action sociale de l’État, ce qui est le cas. Notre pays dispose de normes en lien avec le ministère des Affaires sociales, action humanitaire et solidarité nationale (MAS). Par exemple pour la formation des travailleurs sociaux.
L’Institut national du travail social (INTS) assure la formation initiale et continue dans le domaine social. Il vise à développer la recherche-action et appliquée en travail social. Il offre une gamme variée de formations dans les métiers d’assistant de service social (contribue aux actions de prévention, de protection, à l’expertise social en luttant contre les exclusions) ; d’éducateur spécialisé (professionnel qualifié capable dans une démarche socio-éducative d’aider les enfants, les jeunes ou tout individu en difficulté à développer leurs potentialités) ; d’animateur en développement social local (professionnel qualifié qui participe à la conception et à la mise en œuvre d’actions collectives).
Quelles sont vos priorités aujourd’hui ?
Il nous faut agir auprès de plusieurs publics distincts. Une grande priorité concerne la protection de l’enfance et l’insertion des enfants qui vivent dans la rue, mais il y a aussi les personnes qui vivent en milieu carcéral. Beaucoup d’entre elles sont délaissées et l’État ne s’en préoccupe pas suffisamment. Certaines peuvent mourir de faim et de malnutrition. Leur situation est très problématique. Nous devons aussi soutenir les personnes du 3ᵉ âge. Elles sont sans protection sociale et seules leurs familles peuvent éventuellement les aider. Mais avec les conflits, il y a aussi une nécessité de protéger dans des foyers les femmes veuves qui sont âgées et sans aucun moyen de subsistance. Enfin, il y a tout le travail à engager auprès des communautés. Il y a dans notre pays environ 450 tribus qui utilisent quasiment toutes un dialecte différent. Il faut les aider à cohabiter dans la paix.
Certains conflits sont des conflits tribaux avec des communautés qui veulent accaparer les terres d’une autre. Par exemple, des éleveurs qui ont besoin d’espaces utilisés par les agriculteurs. Des solutions sont possibles par le dialogue et la négociation que nous favorisons. Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas et la violence peut vite venir, notamment dans des zones où opèrent des groupes armés. À chaque fois, ce sont les plus vulnérables qui sont en danger. Nous tentons de renforcer leur sécurité par la médiation. Mais je le rappelle, le niveau de vie de la population est très faible. Pour en revenir à nos priorités, je pense que ce sont d’abord les enfants des rues. Il nous faut rechercher des lieux d’accueil ou en créer, car les besoins sont réellement importants et il y a un manque de structures.
Et vos besoins ?
Bien sûr, nous avons besoin de soutien, cela passe par les dons, mais aussi des appuis nous permettant de mieux assurer notre mission auprès de la population. Toutes les initiatives sont bonnes quand elles vont dans ce sens.
Pour soutenir l’association Uthabiti : Aidez les populations du Nord et Sud Kivu
Les contacts :
- Jean Marie Barhakengera Sigareti (jeanmarie.barhakengera@uthabiti.com)
- Virginie Rapin, correspondante pour la France de l’association Uthabiti(virginie@uthabiti.com)
- découvrir l’équipe sur le site de l’association
Lire aussi
- La Note d’orientation Sur Le Travail Social en République Démocratique du Congo
- L’histoire des enfants de la rue en RDC | LSE Africa
- Les missions de l’Institut National du Travail Social de RDC | INTS
Les photos ont été fournies par Jean Marie Barhakengera Sigareti que j’ai pu interviewer en visioconférence depuis son pays la RDC