Une encadrante d’une équipe de travailleurs sociaux particulièrement désabusée, et interrogée sur sa façon d’animer des réunions d’équipe me dit un jour de façon provocatrice : « moi, je n’ai au travail qu’une seule fonction. Je suis un tube ! » « Un tube ? »
« oui me précise-t-elle, je fais passer les commandes de la direction, avec nos 37 dispositifs différents et je transmets les informations, il y en a beaucoup, ça passe d’un coté et je remonte dans l’autre sens ce qui m’est rapporté du terrain : principalement, la plainte, les dispositifs qui ne fonctionnent pas les galères des «usagers». Face à une telle distorsion, je trouve qu’ être un tube finalement ce n’est pas ce qu’il y a de pire». Ces propos, certes provocateurs, dénotent d’une forme d’écartèlement d’un encadrement qui doit sans cesse concilier la commande institutionnelle et les réalités du terrain. Ils sont à la jonction de 2 réalités qui se rencontrent de moins en moins.
Pourtant nous savons tous qu’il n’existe pas de solution rapide face à de situations complexes qui se sont dégradées progressivement au fil du temps. Chacun joue sa partition avec d’un coté une gestion administrative de l’action sociale faite de dispositifs à utiliser et à renseigner via des logiciels afin de produire de la connaissance et répondre à la commande publique et de l’autre des travailleurs sociaux qui continuent d’intervenir tels des artisans situation par situation dans le détail de ce qui est rapporté par les personnes qu’ils rencontrent. Ces 2 logiques là ont du mal à se rencontrer et peuvent parfois être antinomiques. L’encadrement qui est à la jonction de ces 2 logiques ont parfois des difficultés à se positionner.
Toujours est il qu’il faut bien le reconnaître : les « chefs » n’ont jamais eu bonne presse chez les travailleurs sociaux. Il y a comme un doute sur ses motivations ou sur ses pratiques, comme si, en tant qu’ancien travailleur social, il était passé du « coté obscur de la force « …
Bref l’encadrement n’est pas ce qu’il y a de plus simple et certains postes restent vacants tant la fonction est difficile à tenir et reste connotée d’aspects négatifs : En clair excusez moi de cette expression mais « être chef c’est s’assurer d’une quantité astronomique d’emmerdements à gérer au quotidien »… Pourtant la fonction peut être passionnante pour peu que le travailleur social que vous êtes accepte de relever le défi. Mais au final comment percevez-vous votre encadrant(e) ? Une personne sur qui vous pouvez compter en cas de coup dur ? Une personne dont il faut s méfier et en dire le moins possible ? Chaque encadrant(e) a son style et parfois ses priorités. J’ai toujours pensé qu’il fallait au travail savoir aussi bien faire avec les personnes que celles qui ont un pouvoir sur nous au titre de la hiérarchie (le fameux N+1) car au final, si vous savez « gérer » votre n+1 et qu’il a confiance en vous le quotidien deviendra plus facile.
Mais il vous faut aussi faire aussi avec une certaine montée de l’exigence des personnes reçues. Cette exigence est elle même le reflet des pressions auxquelles elles sont soumises : Il ne se passe pas une semaine sans que l’encadrement soit interpellé par telle ou telle personne qui, soit conteste une décision prise, soit sollicite un changement d’intervenant en estimant que le professionnel n’en n’a pas fait assez ou du moins pas comme elle le souhaitait. Certains utilisent des subterfuges pour obtenir ce qu’ils estiment leur être dû alors même qu’il peuvent ne pas y avoir droit. Cette montée d’exigence oblige les encadrements à se positionner assez rapidement à des moments où fréquemment, il faut un peut de temps pour comprendre les enjeux avant de prendre une décision que souvent le cadre ne souhaite pas porter seul.
Parfois aussi les sollicitations et les récriminations des personnes sont tout à fait cohérentes telles la demande logique de pouvoir être reçues dans des délais raisonnables, ou avoir la connaissance d’une décision…
D’autres expriment une forme de défiance systématique à l’égard du travailleur social. Certaines personnes estiment que les réponses apportées ne sont pas satisfaisantes ou incomplètes. Ils s’inscrivent dans une logique de consommation des aides à sens unique. C’est à dire sans contrepartie. Cette forme d’instrumentalisation des travailleurs sociaux par celles et ceux qui savent très bien ce qu’il faut dire pour obtenir telle ou telle prestation n’est pas vraiment nouveau mais c’est assez déroutant pour certains. . Cette tendance a été grandement encouragée dans certains département qui ont développé des logiques « d’offre de service » limitées à des prestations extralégales.
Dans ces situations l’encadrement a un rôle à jouer qui n’est pas des plus simples : « entendre la demande de la personne et y répondre », » recueillir le point de vue et l’analyse du travailleur social mis en cause » et ne désavouer personne, tout en les replaçant dans le réel. De la place de chacun la réalité est subjective. Ni l’un ni n’autre n’a entièrement raison ni complètement tort. Nous ne sommes pas dans un monde du bien contre le mal, du vrai contre le faux. Nous savons que la réalité est bien plus complexe et que notre perception peut être faussée par nos propres représentations.
Essayons juste d’être à l’écoute de chacun, sans juger, et tentons de trouver des solutions satisfaisantes pour tous en évitant les clivages. Le quotidien est suffisamment compliqué comme cela : pas la peine d’en rajouter…
Photo : Evilspoon7 Dark Vador Certains droits réservés
note : c’est un article que j’avais rédigé en juillet 2016… Et oui c’est l’été, les sujets peuvent être plus légers…