M6 diffusera le 17 aout prochain un documentaire « réalité » qui met en scène des allocataires du RSA et de l’AAH. Le concept de cet émission provient d’un programme déjà existant. C’est une adaptation de l’émission Benefits Street, diffusée en Angleterre sur Channel 4 en 2004. Elle avait à l’époque fait scandale car finalement elle stigmatisait les personnes filmées en les faisant passer pour des profiteurs sans morale. Cette médiatisation de la pauvreté n’est pas sans poser un certain nombre de questions.
- Comment cette pauvreté sera-t-elle médiatisée ? Il s’agit de suivre le parcours individuel de plusieurs habitants de cette rue des allocs située dans un quartier d’Amiens. « des tranches de vie à la fois touchantes, parfois drôles, quelquefois crues, toujours sans fard. Un témoignage unique sur la précarité d’aujourd’hui. » précise la direction de la chaine. Nous savons combien les médias souhaitent médiatiser les émotions, la détresse humaine, il suffit pour cela de regarder le 20 heures sur les chaines généralistes. Il y a fort à parier qu’il faudra sortir les mouchoirs pour une ou deux histoires qui seront sans doute gratinées.
- Avant même la diffusion, les participants annoncent déjà qu’ils se sentent trahis. Le titre choisi de l’émission se veut provocateur et pas tout à fait dans l’esprit de ce qui a été annoncé initialement » Selon le Courrier Picard, qui est allé à la rencontre des personnes ayant participé au programme, ce titre choisi par la production provoque un malaise : « On est quand même choqués… Tout ce que j’espère, c’est qu’ils montreront la réalité de ce qu’ils ont tourné et pas des montages qui nous feraient passer pour des cas sociaux. On regarde un peu Facebook où il y a pas mal de commentaires négatifs et méchants. De toute façon, on demandera à être indemnisés si l’émission est truquée. On est impatients de la voir » raconte Cindy, suivie par les caméras »
- La façon dont s’est passé le tournage a de quoi interroger. Toujours selon le courrier Picard « Pierre, lui, n’a pas forcément gardé que des bons souvenirs du passage des caméras : « Parfois, il fallait leur mettre des limites car elles s’invitaient chez nous sans prévenir et violaient notre intimité ». Les participants ont-ils été rémunérés ? « Non, assure Pierre, catégorique. La seule chose que la production a payée c’est un barbecue. »
- Quel sera au final le message que retiendront les téléspectateurs ? le Point précise que l’émission anglaise à l’initiative de ce concept avait dévoilé « les méthodes de certains habitants pour voler à l’étalage, ou comment frauder le système des allocations. Véritable succès d’audience attirant jusqu’à 6,5 millions de téléspectateurs, le programme avait été diffusé pendant le vote de la réforme du système d’aide sociale anglais, et provoqué un véritable débat au Parlement ». L’adaptation française diffusera t-elle des séquences aussi polémiques utiles politiquement pour dénoncer les allocations et minimas sociaux ?
- « De la rue des allocs au boulevard du racolage » il n’y a qu’un pas qui risque vite d’être franchi. Déjà en 2014 Le Bondy-blog dénonçait ce type d’émission voyeuriste à la recherche de scènes bien trash. La version française ira-t-elle dans ce sens ? Comment les participants vont-ils vivre ensuite avec ce qui a été mis en scène de leur propres tranches de vie ?
- Déjà en coulisses, certains ont déjà rebaptisé l’émission « La rue des cassos » -pour cas sociaux- et sont prêts à se régaler des éventuels dérapages. En tout cas, nul doute que ce coup de zoom peut permettre de stigmatiser les plus pauvres et susciter d’intenses polémiques. On imagine bien les tenants d’une droite dure et extrême se saisir des témoignages filmés pour valider la thèse qui valide l’idée que les pauvres sont des « profiteurs » qui vivent bien avec les aides sociales et ne veulent pas travailler.
- Au final faut-il parler de cette émission et faut-il la regarder ? On voit bien le piège tendu par M6 : Faire le buzz avant en annonçant cette diffusion tout en laissant planer le doute et faire le buzz ensuite en la diffusant et en provoquant des réactions et des polémiques. Car l’objectif est bien aussi que tout le monde en parle. Créer un tel débat, c’est bon pour l’audience. Avant et après l’émission tout sera bon pour doper l’audimat. Espérons que le CSA veille au grain et accepte de réprimer sévèrement les éventuels manquements à l’éthique.
- Peut-on vraiment espérer un regard honnête et respectueux des personnes qui ont accepté d’être filmées sans aucune rémunération avec comme bagage leur seule bonne foi ? La chaine annonce « une immersion sans précédent dans le quotidien de personnes et familles et situation de précarité ». Suivre le quotidien des « pauvres », est-ce vraiment une bonne idée ? Bien évidemment tout dépend de comment tout cela aura été filmé et sera restitué.
- Connaissant les règles de la téléréalité il est tout à fait légitime que nous soyons inquiets. La bande annonce de l’émission nous indique que nous allons bien avoir droit à du mélo et du démaguo. Ton compassé de la voix off pour parler de la misère, Il y aura certes quelques points positifs sur la solidarité des habitants entre eux mais nous aurons droit aussi à ceux qui pleurent devant la caméra pour parler de leur expulsion ou encore des jeunes qui s’engueulent violemment dans une mise en scène qui semblent sortir d’une mauvaise série. Les ingrédients sont là, mais tout cela risque fort d’être bien indigeste. Et vous qu’en pensez-vous ?
https://www.youtube.com/watch?v=fB-7UnZ7_ng
Photo : extrait de la bande annonce de l’émission