Le journal Lien Social continue à publier les témoignages de professionnels tant sur son site que dans sa revue que l’on peut consulter actuellement en libre accès en cliquant ici. Avec son aimable autorisation, je présente aujourd’hui 2 témoignages de travailleurs sociaux au travail.
1. Jeremy, éducateur spécialisé en prévention : Faire comme si…
« Volontaire, volontiers pour prêter main forte pendant une semaine dans un foyer ou cinquante jeunes sont confinés… De la prév au foyer un cap…Alors d’un pas… pas bien (r)assuré… Les portes s’ouvrent pour 4 jours d’un 12h-22h qui s’annonce…
D’abord pour accueil, des remerciements, d’un directeur sur le balcon de son bureau, costard cravate, kit main libre à l’oreille… sans doute débordé… D’une cheffe de service qui par principe fait son devoir : « Vous serez avec les 12-15 ans, ils sont neufs. Surtout n’hésitez pas à les occuper. « Enfin des remerciements d’une éducatrice qui connaît le groupe mais qui n’y est plus depuis un certain temps…Qui semble épuisée mais qui ne lâchera rien.
Des remerciements…
Mais surtout des remerciements parce que…sur 6 éducateurs de l’équipe, les 6 sont absents. Des remerciements parce que faire comme si ce n’est pas si évident : Des mots qui résonnent : « Si vous avez des activités n’hésitez pas…occupez les. » Sans déconner…
L’activité comme anesthésiant… L’activité pour faire comme si… Quand rien n’a été posé institutionnellement pour les jeunes, quand rien n’a été discuté avec les éducateurs…il reste les remerciements d’être là, à tout prix… Des remerciements comme une prière, personne ne le dit mais tous prient fort : « pourvu que ça passe ». Alors surtout ne rien changer faire comme si…
Maintenir les mêmes règles, les mêmes horaires : lever, repas, coucher… Même si à chaque fin de service un nouvel éducateur, intérimaire, volontaire (personne…) arrive sans que quiconque ne sache réellement combien de temps il restera ?eAlors ironie du sort les intérimaires défilent à croire que plusieurs ont été contactés et que le premier arrivé sera le premier servi…
Mieux vaut être sûr que quelqu’un soit présent… Pendant ce temps là les jeunes demandent qui fera le coucher… Ils veulent savoir, ils ont besoin d’être rassurés…Et, toi tu fais…comme tu peux…
Alors faire comme si…
Et faire en sortes que les jeunes préviennent quand ils changent d’unité… Pourtant pas évident quand les p’tits frères et les p’tites sœurs sont dans les murs d’à côté, quand la Playstation est à l’autre bout du bâtiment, quand l’envie d’aller draguer pointe fort le bout de son… nez, quand l’éducateur d’à côté est plus stable que l’ensemble des éducateurs présent sur leur unité.
Puis s’avouer en « off » qu’en fait ils font ce qu’ils veulent… Et qu’on les comprend… Alors faire comme si…. même quand l’extérieur entre à l’intérieur masqué, ganté alors qu’aucun masque n’a été fourni pour les structures.
Faire comme si…
En faisant les devoirs avec deux ordinateurs pour 9 et une connexion pourrie… Et puis mettre deux jeunes par table pour respecter les gestes barrières : COVID oblige… Absurde quand deux minutes plus tard ils sont côte à côte dans le canapé entrain de regarder un film…
Faire comme si…
Même quand un jeune se fracasse la main contre un mur suite à une bagarre et que la cheffe de service demande à l’éducateur volontaire fraîchement arrivée d’accompagner le jeune aux urgences… Laissant sur le groupe un seul professionnel présent depuis 2 jours faire la soirée, le coucher…
Faire comme si…
Même quand au bout de 4 jours sur l’unité tu as l’impression d’être un ancien et que ces gamins même s’ils t’ont fait la misère tu t’es attaché…
2. Gaëlle, assistante sociale de secteur : Conjugaison du social en télétravail à l’imparfait du Corona.
Et non je ne suis pas en vacances !!
Je pensais pouvoir faire des pauses, profiter de ma maison, du soleil et du jardin … mais ça c’était au début !!! Passée la période transitoire, on se cherche, on attend les directives, l’organisation interne externalisée, on annule les rendez-vous sur la quinzaine … Effet marée basse, la mer se retire… s’en suit la marée haute … risque de submersion …
TSUNAMI.
La précarité et les souffrances des personnes dans le besoin, à la rue, violentées, psy, vulnérables, fauchées, alcooliques, dépendantes, toxicos, en situation de handicap, carencées, dépressives, enceintes, séparées, malades, expulsées, endettées, sans EDF, n’ont que faire du CORONA. Leurs emmerdes ne sont pas confinées !!
C’est donc tout un pan de la société jamais regardé, ni valorisé : le social (au même titre que le médical, l’aide aux personnes, les bas besogneux) qui est aujourd’hui en casques bleus, à éteindre des incendies sociaux qui ont lieu à huis clos.
Les structures ferment, les institutions sont en effectifs restreints… Il faut bidouiller, bricoler, inventer des solutions, des portes de sorties…
Il reste donc les petites mains et les grandes oreilles : je suis au téléphone de 8h30h à 13h et de 13h30 à 18h, pour rassurer, écouter, trouver une livraison pour amener à manger, pour trouver des couches pour un nouveau-né, pour délivrer des bons alimentaires, pour trouver une place au 115 (car la dame a déjà pris deux amendes pour être dehors, normal ! Elle est à la rue), pour organiser le passage de l’infirmière, trouver du matériel de puériculture pour cette femme qui accouche cette semaine et accessoirement un mode de garde pour ses 4 autres marmots car le mari s’est barré il y a 8 mois sans jamais redonner signe de vie et accessoirement le 11 avril prochain, elle est à la rue !! Et puis il y a celle qui commence sa radiothérapie et qui a peur de laisser sa fille de 7 ans et qui vient d’apprendre le décès de sa mère en Afrique, ceux qui voudraient qu’on les reçoive, celle qui veut mettre son ado dehors … ceux qui disent qu’on est feignant….
Alors oui, je suis fonctionnaire et en confinement…
Alors non, je ne suis pas en vacances !
J’aimerais encore mieux être au boulot c’est bien moins stressant : j’ai le matériel, le droit de sortir, d’accompagner, d’amener, de voir, de recevoir, de toucher.
Et j’ai mes collègues… À l’échelle de mon équipe, au lieu de douze assistants sociaux, nous ne sommes que six ou sept en moyenne en télétravail…
C’est épuisant et cela ne fait que dix jours !! Mais comme me dit une dame ce soir et c’est mon unique raison : « merci de votre dévouement, de tout cœur pour ce que vous faites pour moi et mes enfants … »
C ‘est déjà ça !
Il est possible d’adresser des témoignages pour être publié par Lien Social en envoyant votre texte à l’adresse suivante : red@lien-social.com Les numéros 1270 & 1271 du journal sont quant à eux en libre accès en cliquant sur ce lien
Vous pouvez aussi m’adresser votre témoignage pour ce blog à l’adresse suivante : didier@dubasque.org
Que ce soit à la maison ou en institution, bon courage à vous qui travaillez et merci !
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