Dans un rapport publié lundi la cour des comptes explique que la protection de l’enfance est mal pilotée en France, et que les parcours chaotiques des enfants placés sont la conséquence d’un manque de moyens et d’une organisation adaptée.
Plus de dix ans après la publication de son rapport public thématique de 2009, la Cour constate que près des trois quarts des recommandations n’ont toujours pas été mises en œuvre, ou très partiellement, et que la loi de 2016 et visant à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, n’est pas mise en place. « L’adaptation des outils législatifs est particulièrement lente, tout comme celle des moyens de prise en charge » écrivent les rapporteurs
La protection de l’enfance : une usine à gaz ?
La cour a tenté de comprendre cette organisation si complexe qu’elle en a fait un schéma qui permet de mieux comprendre cette organisation.
Avouons-le, on peut quand même faire plus simple en matière d’organisation. Il n’est pas étonnant que des jeunes passent « à travers les mailles du filet ». Quand on mesure le nombre d’acteurs qui peuvent être mobilisés autour d’une seule situation, il y a de quoi s’y perdre dans l’enchevêtrement des circuits.
Mais constatons aussi que ce schéma oublie des aspects essentiels de cette protection que sont la Protection Maternelle et Infantile (PMI) et le Service Social Départemental (SSD) que l’on appelait par le passé la polyvalence de secteur. Il est un peu triste de constater, une nouvelle fois, que ces acteurs ne sont pas cités alors que leur rôle est essentiel dans le dispositif de prévention et de protection des mineurs. On cite les professionnels de l’éducation nationale, les médecins, la police, les particuliers mais pas les travailleurs médico-sociaux. Comment expliquer encore une fois cette invisibilité ? La situation particulière des assistants familiaux est fréquemment évoquée dans ce rapport qui estime aussi que les travailleurs sociaux globalement manquent de formation au regard des missions qu’ils ont.
Trop de délais pour une prise en charge adaptée
La cour constate que la prise de décision en matière de protection de l’enfance se caractérise par un empilement de délais qui se cumulent, retardant d’autant le moment de la prise en charge :
- délai de traitement des informations préoccupantes,
- délais internes aux juridictions,
- délais d’exécution des décisions de justice,
- délai pour trouver une orientation durable suite à un accueil d’urgence, etc. qui peuvent nuire gravement à l’enfant.
Certaines étapes du développement de l’enfant ne pourront en effet jamais être rattrapées si une mesure de protection n’est pas mise en place à temps estiment les rapporteurs.
Trop d’acteurs même au niveau national
La cour a mis en couleur les missions qui se chevauchent. Elle préconise la suppression pure et simple du Conseil National de la Protection de l’Enfance (CNPE). Or c’est lui qui réunit l’ensemble des acteurs en partant du terrain. Sa suppression reviendrait à supprimer la seule instance véritablement transversale.
Un pilotage défaillant, des ambitions législatives qui tardent à se concrétiser
La politique de protection de l’enfance dispose d’un cadre législatif et réglementaire rénové et ambitieux mais sa mise en œuvre demeure très partielle, voire inexistante dans certains cas expliquent les rapporteurs. La coordination entre le Département et les services judiciaires est selon eux trop informelle, « ce qui n’est pas sans conséquences sur la qualité de prise en charge des enfants ».
L’État, qui devrait être en mesure de garantir l’égalité de traitement des enfants protégés sur le territoire, n’assure pas ce rôle aujourd’hui. La complémentarité avec les politiques de santé ou d’éducation n’est pas assurée.
Les Départements eux-aussi dans le collimateur de la cour des comptes
La Cour des Comptes estime que les choix d’organisation des Départements en matière d’aide sociale à l’enfance restent très hétérogènes et sont « rarement fondés sur l’analyse des besoins » alors qu’il existe sur le terrain des observatoires de la protection de l’enfance. « Quant aux opérateurs, ils sont fréquemment » fragilisés par des questions de gouvernance ». Mais cette fragilisation est aussi financière a-t-on envie d’ajouter. Car qui d’autre que les Chambres Régionales des Comptes demandent à « resserrer » les budgets notamment ceux qui sont alloués au secteur associatif ? Pour autant les travailleurs sociaux du Maine et Loire qui se sont tant mobilisés contre la politique d’appel d’offre de ce Département liront avec intérêt un paragraphe qui les concerne (page 82)
La cour s’appuie aussi sur une carte élaborée par la DREES pour constater que les prises en charge des mineurs sont différentes selon les Départements
Des recommandations qui portent sur 4 aspects distincts
- Sur le pilotage national : il est demandé que l’évaluation des politiques de protection de l’enfance, soit exclusivement confiée à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). L’État est aussi invité développer l’évaluation par le biais d’études qualitatives et longitudinales sur le devenir des enfants protégés. Il faut aussi dit le rapport « clarifier et simplifier le pilotage national de la protection de
l’enfance en confortant par un mandat explicite le rôle de coordonnateur interministériel de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en supprimant le conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et en renforçant le rôle de l’observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) - Sur le plan territorial : les rapporteurs demandent que le préfet de département soit désigné interlocuteur du président du conseil départemental et coordonnateur des services de l’État sur le territoire. Il est demandé aux Départements de renforcer le contrôle des établissements. Financièrement il est demandé que des contrats pluriannuels formalisent les relations entre le Département et ses « opérateurs »
- Sur la qualité de la prise en charge : il est demandé d’aligner « la durée des autorisations de places sur les
échéances de l’évaluation externe » (tous les 7 ans). Il est aussi suggéré de publier les délais de traitement
des informations préoccupantes et d’exécution des décisions de justice (Départements, État). Il faut précise les rapporteurs « Renforcer le contenu du projet pour l’enfant en y intégrant l’évaluation des compétences parentales qui sont trop peu prises en compte. Il est enfin demandé aux Départements de mieux préparer l’avenir des jeunes protégés en organisant un entretien systématique avant 16 ans, (ça existe déjà il me semble) en favorisant les parcours de formation et d’insertion au-delà de 18 ans et en accompagnant si besoin leurs
projets au-delà de 21 ans, et assurer un suivi exhaustif de leur devenir postérieurement à la prise en charge - Sur la situation des Mineurs non accompagnés : La cour des comptes demande aux Départements de consolider l’état civil des mineurs pendant la période de leur prise en charge, sans attendre la demande de titre de séjour.
Que penser de ce rapport ?
Il y aurait beaucoup à en dire et à en écrire. Bien évidemment la Cour des Comptes nous a déjà habitué à produire des rapports à charge qui accusent, dénoncent et ne montrent pas ou si peu ce qui fonctionne bien. Il aurait fallu que les rapporteurs passent un temps significatif au sein d’un service d’aide sociale à l’enfance pour peut-être mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain. Mais les missions de contrôle ne sont pas là pour cela. Pourtant, les acteurs de la protection ont plus besoin de soutien organisationnel et de moyens leur permettant de mener correctement leurs missions que d’affirmations assénées parfois un peu à l’emporte pièce.
C’est pourquoi le lecteur trouvera un intérêt à lire les réponses des administrations mises en cause par ce rapport à commencer par celle de l’Association des Départements de France qui rappelle à cette occasion la place de la PMI et du Service Social Départemental dans le dispositif de protection. L’ADF qui déplore au passage l’insuffisance récurrente des moyens alloués à la santé scolaire, la protection judiciaire de la jeunesse ou encore la pédopsychiatrie. Une pierre dans le jardin des services de l’État.
Une réponse
Les IP et leur traitement méritent qu’on s’y attache.. En milieu scolaire,le moment ou le signalement est rédigé pour la crip est variable. On demande aux instituteurs de gerer des situations d’enfants en grande difficulté.. Ils s’engagent alors seuls pour les gérer comme l’Éducation Nationale leur demande implicitement, faute de moyens. Le signalement arrive souvent tardivement,en juin, Les préconisations suite aux évaluations deviennent alors compliquées. Fermeture d’établissements, congé des travailleurs sociaux, Service d’urgence ultra saturés, Prise en charge judiciaire différée,. Un soutien aux professionnels dans le milieu scolaire s’impose avec des moyens à la clef. Celà dépend du ministre de l’éducation. Des travailleurs sociaux au sein des établissements scolaires afin d’affirmer une politique préventive pourrait être une solution.