Karting en prison : « Le véritable scandale, c’est la surpopulation carcérale et les suicides »

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Interrogée par France Info Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, a réagi officiellement face à la polémique suscitée par la compétition « KohLantess« , organisée à la prison de Fresnes fin juillet. La médiatisation de cet évènement a provoqué un déchainement de réactions toutes aussi virulentes les unes que les autres. Une affaire qui mobilise les partis d’opposition de droite et d’extrême-droite qui fustigent le gouvernement.

L’administration pénitentiaire est accusée d’organiser des « colonies de vacances » pour des détenus. C’est un non sens pour Dominique Simonnot : « Pour une fois que détenus et surveillants peuvent rire ensemble et peuvent en plus agir pour une bonne cause, parce qu’il s’agissait de donner de l’argent à trois associations caritatives qui s’occupent d’enfants, je ne vois pas où est le mal. Il s’agit d’une journée dans la vie de gens entassés à trois par cellule 22 heures sur 24 ».

Le vrai scandale est ailleurs.

Quel retour à la vie « normale », peut-on attendre de personnes qui, en prison, ont été entassées à trois dans 4,40 mètres carrés d’espace vital, durant des mois, et souvent 22 heures sur 24, au milieu de rats, cafards et punaises de lit ? Assurément, elles ne reviendront pas meilleures, tant les conditions de détention influent forcément sur leur état à la sortie, est-il expliqué dans le rapport 2021 sur l’état des prisons en France.

La contrôleuse générale reçoit près de 3000 signalements par an. Des plaintes qui concernent aussi bien les prisons que les cellules des commissariats dont certaines sont dans un état plus que lamentable. Le témoignage qui suit est directement extrait du rapport. C’est une femme qui a rédigé ce courrier en forme de témoignage  :

« Le lundi 30 août, j’ai été placé dans une cellule jonchée d’urine et de caca. La toilette était bouchée et une forte odeur se dégageait. Il y avait aussi du sang sur le banc. Les policiers n’ont pas voulu me changer de cellule. Je n’ai même pas eu le droit à un verre d’eau pendant la garde à vue de 8 h à 19 h. »

« On ne distingue pas si c’est du sang ou des excréments »

« J’ai fait l’objet d’une garde à vue à la suite d’une enquête préliminaire par les agents du parquet de […], j’ai été placée pour la nuit au commissariat de [Île-de-France] et tout ce que vous dénoncez est vrai, à commencer par les inscriptions sur les murs où l’on ne distingue pas si ce sont du sang ou des excréments, on m’a jeté une couverture qui avait plus l’air d’une serpillère, j’ai été privé d’eau pendant 9 h, les toilettes n’existent pas, je n’ai pas pu y aller, le robinet placé au-dessus d’une pissotière était cassé, il était impossible de boire, le personnel vous laisse attendre à peu près 45 minutes avant de venir, j’étais à même le sol sur un matelas immonde qui n’a sûrement pas été désinfecté vu la couleur ainsi que les murs… »

« J’écris ces mots en pleurant, j’ai quitté ce commissariat à 7 h du matin dans un état insurmontable avec en prime : « Madame, ce n’est pas un Hilton ici », les agents du parquet de m’ont ramenée et ont mis deux heures à me calmer tellement j’étais sous le choc… je tiens à dire que je suis sortie et j’ai été relâchée libre de ma garde à vue.

A force de visiter des cellules de garde à vue effarantes de saleté et de dénuement, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a décidé d’en alerter en urgence le ministre de l’intérieur qui, étrangement, a balayé ces constats. « Et pourtant ! Ni gel, ni savon, ni douche, des masques pas ou peu renouvelés, des matelas jamais désinfectés, des couvertures lavées tous les quinze jours ou tous les mois, des toilettes sans eau, des odeurs irrespirables ! » précise son rapport.

La surpopulation carcérale aggravée en 2020

Dans son rapport, Dominique Simonnot raconte les conditions de vie dans une autre prison que Fresnes : celle du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses. Elle est surpeuplée à 187%. Elle a donné lieu à des « recommandations en urgence », tant la situation y est critique. Là, comme dans toutes les maisons d’arrêt, petites ou grandes, où 1 600 détenus dorment sur un matelas au sol, la surpopulation dégrade absolument tout. Les relations entre détenus, celles entre surveillants et détenus, l’accès aux soins, au travail, à la formation et même aux douches ou aux promenades sont empêchés.

La surpopulation contraint l’organisation des établissements et l’ensemble du parcours des détenus. En rendant impossible l’encellulement individuel, elle perturbe les conditions d’arrivée des personnes écrouées ; elle conduit une administration surchargée à bâcler toutes les procédures ». L’hygiène des prisonniers est particulièrement délétère : « pire est l’utilisation des toilettes, très mal isolées de la cellule : le détenu y est obligé de faire ses besoins à proximité immédiate du ou des autres codétenus, témoins bien involontaires au quotidien de bruits et d’odeurs intimes, dans l’unique pièce qui sert aussi à manger et à dormir.

Le personnel pénitentiaire est en constant sous effectifUne prison prévue pour 100, mais comptant 200 détenus ne verra pas augmenter en proportion son personnel pénitentiaire et médical. Ainsi, à Seysses, ouverte en 2003, avec un surveillant pour 50 détenus, la maison d’arrêt en était en 2021 à un surveillant pour 150. On imagine bien que tensions et violence ne peuvent qu’exploser.

Des taux de suicides incomparables

On compte en moyenne en France un décès en prison tous les 2 à 3 jours. Les personnes détenues se suicident six fois plus qu’en population générale, à caractéristiques démographiques égales (âge, sexe). Ainsi, En 2020, 119 personnes incarcérées sont décédées par suicide. Notre pays demeure l’un des pays qui présentent le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze.

« Mon fils est parti incompris »

Que penser de ce témoignage d’une mère qui a vu son fils se dégrader au fil du temps pendant son incarcération  avant qu’il mette fin à ses jours ?  Extraits : « Frédéric ne supportait plus le bruit, la pression, et pour tout vous dire, il n’en pouvait plus de son emprisonnement. Je vous précise qu’il purgeait une peine de dix ans. Il a été incarcéré quand il avait tout juste 18 ans. Depuis son enfance, j’ai toujours accompagné mon fils dans un processus de soin, car il souffrait d’un TDAH [trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité]. Trouver des professionnels sensibles et formés à cette pathologie s’est révélé un véritable parcours du combattant à l’extérieur. L’environnement carcéral, dans toute sa dureté et sa méconnaissance, ne peut envisager la complexité de sa pathologie.

Il ne participait pas aux promenades pour ne pas rencontrer de souci avec les autres détenus. Il m’avait dit aussi, à plusieurs reprises, avoir peur en raison de menaces, insistantes …./… Frédéric me parlait de sa volonté de sortir, de ne plus jamais remettre les pieds en prison, de trouver du travail et de passer son permis de conduire – il venait de faire une demande pour le code …/…

 Le 9 octobre, il a lancé un appel au secours en cherchant à se couper les veines. Il a été amené aux urgences où il a passé une nuit en dormant sur un meilleur matelas. Le jeudi 14 octobre, il a recommencé, mais cette fois, il n’a pas quitté le centre de détention. Vu par le psychiatre, il a été jugé apte à rester dans sa cellule. Je me questionne sur le manque de vigilance et d’attention par rapport à son état psychologique. Je l’ai vu une dernière fois au parloir les quarante minutes officielles, le vendredi 15 octobre. Pas préparée, car pas avertie de son désarroi, je l’ai entouré comme j’ai pu …/…

Dans la nuit du 16 au 17 octobre, il s’est suicidé par strangulation… Il s’est libéré tout seul avec toute sa peine, sa douleur, sa peur, sa détresse. Il est entré en prison et n’en est jamais ressorti, il n’a jamais revu son foyer.

Où est le scandale ?

Une animation façon Koh Lanta, en plein cœur de la prison, où certains détenus affrontent des surveillants dans une ambiance bon enfant ou des conditions d’incarcération condamnées et dénoncées depuis plusieurs années par les instances européennes ?  Pour une fois qu’une action de prévention permettait d’apporter un espace de respiration à des prisonniers qui vivent des conditions inhumaines de détention, il faut que des idéologues et militants extrémistes en profitent pour déformer la réalité avec la plus cynique des démagogies. Pire, le garde des sceaux, au lieu de défendre son personnel et la direction de la prison, joue les effarouchés en diligentant une enquête administrative.

Retenons la conclusion de Dominique Simonnot interrogée par France 2 :  Suite à cette affaire qui ne devrait pas en être une, « J’ai peur qu’elle ait surtout une action très négative, en limitant les sorties, les matchs et les compétitions en prison, qui permettent pourtant de réconcilier un peu tout le monde. Parce que les conditions de détention sont horribles pour les détenus, et les conditions de travail affreuses pour les surveillants ».

 

Photo : capture écran, image issue du reportage de France 2 (J. Debraux, V. Meyer, M. Le Rue) – France 2 journal de 20h du 20 aout 2022

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Une réponse

  1. pourquoi le gouvernement est outré par une activité ludique si c’est une bonne cause et permettant de donner d’autres perspectives aux prisonniers ?. olivier Veran proposait des actions culturelles, disant que ce serait plus efficace. mais ils ne se rendent pas compte que des actions ludiques sont un plus indispensable à une insertion ou une réinsertion.

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