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Jeunes étrangers isolés : quelles pratiques et quels recours face aux décisions qui les concernent ?

Revenons aujourd’hui sur une rencontre à laquelle j’ai pu participer dans le cadre de l’ANAS 44 sur la question des mineurs étrangers isolés que l’on nomme désormais des « mineurs non accompagnés ». En effet l’association nationale des assistantes de service social a été interpellée par des collègues d’un Département limitrophe sur des pratiques de l’Aide Sociale à l’Enfance qui interrogent les professionnels. Pratiques qui heurtent l’éthique et la déontologie de ceux qui en sont témoins. Il s’agit pour l’ASE de déterminer si un jeune étranger isolé est mineur ou majeur. Est ce bien le rôle et la mission d’un travailleur social ?

Dans certains Départements, des jeunes étrangers peuvent être considérés majeurs par l’Aide Sociale à l’Enfance sur des critères particulièrement discutables. Ainsi il a été présenté à titre d’exemple un document de l’ASE stipulant qu’un jeune a  « un tenue correcte soignée [qui] ne peut témoigner d’une situation d’errance et d’isolement» avec une « morphologie en contradiction avec l’âge qu’[il déclare] avoir». Même si un recours gracieux a été élaboré par la CIMADE, ce jeune a été réorienté dans le dispositif 115 réservé aux majeurs. Cette situation interroge les intervenants et notamment les assistants sociaux à plusieurs titres.

  • Le premier point porte sur les critères justifiant qu’un jeune est majeur. Dans la situation présentée, la décision est prise sur la seule observation du jeune, sur sa façon de s’habiller; ce qui est pour le moins surprenant. D’autres façons d’évaluer existent, avec notamment les tests osseux qui sont néanmoins sujets à caution, car liés au degré de développement du corps humain quel que soit l’âge. Rappelons que ces tests osseux sont fortement décriés, notamment par les associations intervenant auprès de ces jeunes, pour des raisons éthiques et aussi parce que les résultats ne sont pas toujours fiables. Elles dénoncent ces pratiques et demandent leur interdiction.
  • Le second concerne le positionnement du travailleur social lorsqu’il est confronté à ce type de pratique. Que faire ? Doit-on, peut-on contester une telle décision ? Jusqu’où aller dans ce type de situation ? Il y a là une question éthique forte.

La comparaison des pratiques issues de 2 Départements limitrophes montre de fortes disparités dans la façon d’évaluer la situation d’un jeune étranger :

  • Dans un département, le travailleur social doit seul déterminer si celui-ci est mineur en une heure d’entretien, pas plus.
  • Dans l’autre, plusieurs juristes et des travailleurs sociaux ont été recrutés pour cette mission. Ils utilisent une grille qui, avec le croisement de plusieurs critères, permettent une prise de décision.  Les juristes ne sont, par ailleurs, pas formés à l’entretien, et peu préparés à recevoir une véritable souffrance exprimée par ces jeunes.

Cela nous conduit à rappeler que cette mission très particulière d’évaluation si le jeune est mineur ou pas ne devrait pas à-priori relever du travail social. En effet le travail social s’inscrit dans une relation d’aide à la personne et aux groupes dans une logique d’accès à leurs droits. Dans les 2 cas, nous sommes face à des évaluations plus ou moins succinctes qui ont pour finalité de réaliser un tri. Il s’agit de retenir les jeunes qui relèvent de l’ASE de ceux qui n’en relèvent pas. Ce travail consiste aussi pour les professionnels de ce service de répondre à la question suivante « faut-il que le Département protège ce jeune en tant que mineur? ». Cela ne s’appuie pas sur les besoins du jeune qui ne peuvent être évalués en si peu de temps. Les compétences d’évaluation des travailleurs sociaux sont utilisées comme déterminant, comme élément de preuve. Ce qui peut tous nous interroger.

Autre constat : il existe un fort enjeu économique sur la question des mineurs étrangers non accompagnés. Il existe une volonté d’adapter le besoin à la réponse apportée en nombre de places disponibles, (et non l’inverse) tout en tenant compte des risques de recours juridiques. Ainsi le recrutement de juristes dans ces services est révélateur de la place donnée à la gestion des risques  de contentieux.

Finalement l’Aide Sociale à l’Enfance qu’elle que soit sa façon d’agir est considérée comme un filtre permettant à un jeune soit d’être protégé soit d’être rejeté. Dans de nombreux cas, on ne sait pas ce que deviennent ceux qui sont exclus du dispositif de protection. Cela pose une question éthique majeure pour les travailleurs sociaux qui les accompagnent. Il faut leur signifier qu’ils ne sont pas reconnus comme mineurs et qu’ils doivent rapidement quitter le foyer d’accueil.

Cette situation est particulièrement éprouvante pour les jeunes bien sûr mais aussi pour les travailleurs sociaux qui les accompagnent. Comment alors se positionner ?

Notre époque retiendra le sort que notre société fait aux migrants. Nous ne pouvons que constater cette volonté de ne pas accueillir, (« toute la misère du monde » disent certains) ni de mettre de moyens suffisants pour cela alors que notre société reste suffisamment riche pour pouvoir le faire. Pourtant « le travail avec les jeunes majeurs n’est pas si compliqué » précisera une collègue.

Face à l’arbitraire et à l’injustice de certaines décisions, il reste possible de faire preuve de pugnacité en interrogeant les décisions et ceux qui les ont prises. Cela peut être sur le champ technique, professionnel mais aussi sur le champ juridique ainsi que sur l’éthique.

Interroger, garder trace des réponses, formuler des recours, poser des questions éthiques et déontologiques à ceux qui prennent des décisions sont autant de moyens mobilisables pour faire avancer une cause. Tout cela sans agressivité dans une logique de communication non violente.

Cela oblige les professionnels à « monter en expertise » sur ce sujet. L’une des possibilités de ce travail reste la possibilité d’interroger le fondement des décisions. Cette volonté est légitime et on ne peut que saluer la pertinence des travailleurs sociaux qui se positionnent ainsi.

En conclusion voici les principaux points retenus dans le cadre de cette rencontre:

  • Les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à des décisions qui peuvent être considérées comme arbitraires. Il est légitime qu’ils puissent les interroger.
  • Une décision concernant l’avenir d’une personne, quelle que soit son origine et sa situation, doit toujours être argumentée sur des critères objectivables.
  • Le travailleur social n’intervient pas seul. Il n’est pas un juriste même s’il se forme et connaît le droit des personnes. Il peut être un coordinateur associant plusieurs professionnels et bénévoles sur une cause commune.
  • Il s’appuie sur ses compétences et un positionnement professionnel adapté à chaque situation, le travailleur social contribue à donner sens à son travail dans le respect des principes éthiques et déontologiques, ainsi qu’aux valeurs issues de la déclaration des droits de l’homme.

En conséquence face à toute question qu’il perçoit comme injuste, le travailleur social est légitime lorsqu’il :

  • interroge le décideur et son service afin de comprendre le sens de la décision,
  • envisage la possibilité d’engager des recours s’il n’obtient pas de réponse satisfaisante.
  • cherche avec la personne concernée des alliés afin de mutualiser les compétences et ne pas faire à la place (il n’est pas un avocat),
  • vise systématiquement à aider au développement du pouvoir d’agir de la personne dans une logique d’empowerment.

Certes les questions liées à l’immigration, notamment clandestines sont complexes et posent des difficultés. Pour autant nous ne pouvons pas accepter un principe « d’inhumanité » qui consiste à finalement laisser faire sans rien dire, sans rien tenter alors que notre mission reste l’aide. Nous souhaitons mener cette mission d’aide de façon inconditionnelle et sans critère de sélection des personnes. Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Vous pouvez retrouver ici le compte rendu de cette rencontre ANAS 44 « Mineurs isolés : quelles pratiques et quels recours face aux décisions qui les concernent ? »

https://www.youtube.com/watch?v=_UoER5x7T28

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