Jetés à la rue, de gré ou de force.

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Les assistantes sociales ont trop souvent à connaître pour les plus précaires de leurs usagers des expulsions de leurs logements. Mais, comment cela se passe-t-il exactement ? Ce livre signé Camille François nous en apprend beaucoup.

En 2019, 130.000 familles ont été jetées dans les eaux troubles du mal-logement. Après la décision judiciaire de les expulser, 16.700 d’entre elles l’ont été manu militari par la police. Dégradant toujours plus le budget des familles modestes, la spéculation immobilière et l’augmentation des loyers sont donc au cœur de la fabrique de la pauvreté.

Camille François a consacré trois ans d’enquête à remonter la chaîne de ces procédures. Elle part des négociations financières pour aller jusqu’à l’intervention de la force publique, en passant par les audiences du tribunal.

La négociation

 Être pauvre n’est pas une vocation, mais le produit de rapports d’exploitation et de domination, rappelle-t-elle. Vivre au quotidien nécessite des compétences pour réussir à surmonter l’absence de ressources. En commençant par décider quel renoncement sera privilégié.

La priorité étant le plus souvent donnée à l’éducation des enfants et aux sociabilités familiales, le poste du logement est parfois sacrifié. Les services de recouvrement des bailleurs sociaux sont en première ligne, pour négocier des mensualités, convenir de plans d’apurement ou proposer une mobilité résidentielle vers des logements moins onéreux.

Suspendre le paiement d’un loyer relève d’un acte parfaitement rationnel pour faire face au manque d’argent. Au moins ces dettes chroniques, mais transitoires, n’entrainent pas de pénalités de retard. C’est d’ailleurs cette même logique qui est adoptée par les agents de la comptabilité publique.  Ils font passer le règlement d’une amende de stationnement, de la cantine ou de la crèche avant celui des loyers en retard !

La phase contentieuse

En cas d’échec, c’est le juge pénal qui est saisi. Plus le locataire est proche du public cible de l’État social, plus il est présent à l’audience. Mais si 81% des bailleurs se présentent avec un avocat, seuls 3 à 6 % des locataires bénéficient d’un tel service. Il vaut mieux d’ailleurs, pour eux, être accompagnés d’un travailleur social. La figure du bon pauvre en demande d’assistance est toujours plus vendeuse auprès des magistrats qu’une défense juridique.

C’est la préfecture qui est en charge de l’exécution de la mesure d’expulsion. Face à la mobilisation tant des élus que des proches de la famille qui peut perturber la procédure, l’habitude a été prise de réunir en amont une commission partenariale locale d’expulsion chargée de vérifier la possibilité d’une ultime médiation.

Trois circonstances permettent de temporiser : la trêve hivernale (du 1er novembre au 1er avril), l’année scolaire des enfants présents.

Mais c’est l’indemnité que doit verser l’Etat aux propriétaires, au-delà d’un délai de deux mois d’inexécution du jugement, qui incite le plus l’autorité publique à la mettre en œuvre par souci de réduire les dépenses publiques. Précaution à courte vue, car le budget de l’hébergement d’urgence et des hôtels sociaux alors sollicités est infiniment plus coûteux.

L’intervention de la police se déroule le plus souvent sans heurts, le temps long de la procédure étant celui où se forment, pas à pas, l’obéissance et la résignation.

Répression contre prévention

Entre 2010 et 2019, si les recours des propriétaires ont augmenté de 4% et les décisions judiciaires de 11%. Les expulsions policières se sont accrues de 40%.

A la lutte contre la pauvreté, l’action publique de l’État favorise donc la rentabilité du capital investi dans la pierre. L’encadrement des loyers, la Garantie universelle contre leurs impayés ou encore une prévention opérée bien en amont constitueraient des mesures de lutte contre la pauvreté. Il s’agit là d’un choix politique. N’en doutons pas.

 

de gre ou de force livre

Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert » Il est signé Jacques Trémintin

 

Lire aussi :

1- Avis d’expulsion. Enquête sur l’exploitation de la pauvreté urbaine, Mattew DESMOND, Éd. Lux, 2019, 534 p. Aux USA, les expulsions locatives étaient rares dans le passé. Elles sont devenues l’un des marqueurs les plus destructeurs de la pauvreté, depuis la crise de 2007.

2-Les minorisés de la République. La discrimination au logement des jeunes générations d’origine immigrée, Fatiha et Hacène BELMESSOUS, Laure CHEBBAH-MALICET, Franck CHIGNIER-RIBOULON, La Dispute, 2006, 180 p. L’autocensure adoptée par la seconde génération issue de l’immigration aboutit à ne pas poser de candidature de location dans les quartiers réputés peu accueillants.

3-Le logement : un droit pour tous, Droit Au Logement, Le Cherche Midi Editeur, 1996, 171 p. Voilà un livre sain et salutaire retraçant les étapes du combat et donnant informations et conseils pour une cause juste.

4- Logement et cohésion sociale. Le mal logement au cœur des inégalités, Didier VANONI et Christophe ROBERT, La Découverte, 2007, 235 p. La société française est malade du logement. Ce n’est pas un phénomène temporaire, mais une pathologie chronique.

5- Le locataire endetté. La construction d’une catégorie sociale, GUIMARD Nathalie, L’Harmattan, 2008, 174 p. Le locataire endetté est le grand absent tant de la littérature sociologique, juridique, historique qu’économique. Nathalie Guimard comble ce vide dans un ouvrage à la fois distancié et diachronique.


Bonus : reportage

Le droit contre l’équité

Une soixantaine de personnes étaient réunies en ce samedi 27 août 2022, lors d’une rencontre revendicative et festive pour protester contre l’expulsion d’un tiers-lieu accueillant des sans-logis.

La ville de Saint Nazaire aurait plus de 3 270 logements inhabités et dans ses rues, selon l’antenne locale du Droit au logement, 800 personnes sans logis. Ce que conteste la mairie qui renvoie, de toute façon, la responsabilité de l’hébergement d’urgence vers l’État. État qui détient effectivement cette compétence, gréant à cet effet le 115. 115 qui se trouve dans l’impossibilité de satisfaire toutes les demandes, étant là comme ailleurs saturé.

C’en est trop pour les associations qui accompagnent le mal-logement. Le jeudi 25 février 2021, le Collectif Urgence Sociale-Plus Jamais Sans Toi(t) rend publique la réquisition de deux maisons voisines abandonnées depuis dix ans pour l’une et quatre ans pour l’autre, appartenant à la ville, sans qu’il n’y ait les concernant de projet immobilier immédiat. Le Centre d’Accueil et d’Hébergement d’Urgence Solidaire doté de vingt places d’accueil venait de naître, rapidement soutenu pas vingt-deux collectifs, associations, syndicats et partis.

Immédiatement, le choix est fait de rester dans le dialogue avec la mairie. Dès le 14 mars, une demande officielle lui est adressée pour négocier un bail précaire qui pourrait courir jusqu’à ce que la destination finale du bien soit défini. Il est demandé au collectif de se doter d’une identité juridique associative. Ce qu’il fait. Mais, ça ne suffit pas : il faut un modèle économique. Il le crée. Là non plus, cela ne convient pas. Rien n’y fait : tout est mis en œuvre pour faire déguerpir ces intrus, dont le seul crime est de vouloir trouver un toit pour des sans-logis.

La rupture

La municipalité décide de saisir la justice. Deux dossiers s’opposent. Celui de la Maison d’hébergement solidaire qui décrit les travaux réalisés pendant trois mois par de nombreux bénévoles pour remettre en état les pièces à vivre ; qui fait état du nombre de personnes accueillies en dix-huit mois : au 8 août, 123 d’entre elles auront bénéficié de 550 nuitées en hébergement d’urgence (une nuit renouvelable) et de 6 500 nuitées en hébergement stabilisé (un mois renouvelable) ; qui précise que toutes les institutions lui ont orienté des hommes, des femmes et des enfants à la rue : le 115 et le commissariat de police (État), les maisons de quartier et le Centre communal d’action sociale (mairie), les centres médico-sociaux (Conseil départemental) ; qui rend compte des accompagnements administratifs et sociaux réalisés par des professionnels bénévoles ; qui précise que l’accueil est inconditionnel ; qui détaille le fonctionnement et la gestion de ce tiers-lieu autogéré par les bénéficiaires et les bénévoles. En face, un seul document : le titre de propriété. Le 8 juin, le juge ordonne l’expulsion, en fixant la date au lundi 29 août.

La fin qui n’est qu’un autre début

C’est le week-end des 27 et 28, à la veille de la visite de l’huissier venant signifier cette évacuation, qui a été choisi pour mobiliser les bénévoles et le milieu associatif afin d’organiser la riposte. Non, en s’opposant d’une quelconque façon aux forces de l’ordre qui viendront faire exécuter la décision judiciaire, mais afin de tenter de trouver une solution pour les futurs expulsés qui n’ont cessé de solliciter le 115, en vain.

Les villes de Marseille ou de Rennes ont fait le choix de signer un bail précaire avec des associations gérant des lieux d’accueil pour personnes sans-logis. Pas la ville de Saint Nazaire qui pourra s’honorer d’avoir récupéré les deux maisons dont elle est la légitime propriétaire (qu’elle aura tout loisir de faire murer pour éviter toute nouvelle intrusion) … et d’avoir mis à la rue dix-neuf personnes, dont cinq enfants.

Jacques Trémintin

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