Didier Dubasque
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Les personnes âgées : des précaires encore plus invisibles.

« Imaginez qu’il y a deux frères dans une voiture, un est âgé de 59 ans et l’autre a 61 ans. Ils ont accident et les deux se retrouvent dans la même situation de handicap et de besoin d’aide. Celui qui a 59 ans est considéré comme une personne adulte handicapée et accède à des dispositifs qui vont tenter de financer une aide à hauteur de ses besoins. Celui de 61 ans n’est pas un adulte handicapé, car il a plus de 60 ans. Il est considéré comme une personne âgée dépendante et là l’aide est plafonnée. Même s’il a besoin de 16 heures d’aide par jour, on lui en financera 5. À 60 ans, le financement n’est plus la réalité du besoin d’aide, mais un plafond fixé.  En France, le fait d’avoir 60 ans vous fait rentrer dans des dispositifs qui sont des sous dispositifs.

Jérôme Pélissier, docteur et chercheur en psychologie est récemment intervenu pour le Conseil National des Personnes Accueillies / Accompagnées (CNPA) sur le thème de la précarité et de la vulnérabilité des personnes âgées. Ses propos méritent vraiment que l’on s’y arrête

« On ne sait pas de quoi on parle quand on parle de personnes âgées et il faut faire attention. À quel âge est-on vieux ? À plus de 60 ou de 80 ans ? Selon l’âge qu’on prend, on donne l’impression que la France est envahie de personnes âgées ou qu’il y en a peu, car on ne parle pas du tout de la même chose. Actuellement, l’âge de la vieillesse d’un point de vue politique et administratif, c’est 60 ans.

Mais, ça ne parle pas des personnes de moins de 60 ans qui connaissent des vieillissements prématurés, ni des personnes qui a 60 ans ne sont pas du tout des personnes âgées. Ça fait 150 ans que cet âge est considéré comme l’âge d’entrée dans la vieillesse. Alors qu’une personne de 60 ans, il y a 50 ans, ne ressemblait pas à une personne de 60 ans aujourd’hui. Il y a eu des évolutions, notamment dans le domaine de la santé.

La manière dont on vieillit est très liée à la vie qu’on a : à nos ressources, au métier qu’on fait, à notre milieu social. Donc si on parle de vieillesse en mettant dans le même sac, un gars qui a été mineur pendant 40 ans et un grand avocat parisien, ça ne veut rien dire. Faire des généralités masque les différences et les décalages. Quand on parle de ce sujet, c’est sous l’angle démographique et alarmiste : il y en a combien ? Et on a tendance à dire qu’il y en a beaucoup et que notre société n’arrivera pas à faire face à cette augmentation du nombre de personnes âgées. Cette approche quantitative est évidement politique, car accuser la vieillesse de coûter cher à la sécu, c’est la traiter comme un bouc émissaire.

Quelques chiffres en France

15 millions de personnes ont de plus de 60 ans. Mais, pour connaitre le nombre de personnes âgées, il faut d’autres critères que celui de l’âge. Certains chercheurs prennent en compte l’espérance de vie, ce qui est très sympathique : grosso modo, on est vieux quand on commence à avoir des problèmes. Ces travaux disent que statistiquement on rentre dans la vieillesse autour de 70/75 ans. Donc si vous dites les personnes âgées, ce sont les plus de 75 ans, nous ne sommes plus à 25 % de la population, mais 8 %.

On associe aussi beaucoup les personnes âgées aux handicaps, aux maladies et à la dépendance. Or les personnes âgées dites dépendantes ne représentent qu’une minorité de toutes les personnes de plus de 60 et même 75 ans. Pour parler de la dépendance, les études se basent de l’aide personnalisée à autonomie, prestation fixée en fonction du handicap de la personne et de son besoin d’aide. On sait que 8 % des personnes de 60 ans et plus qui bénéficient de cette aide.

Le terme de « dépendance » sert à ne pas parler du handicap.

Le propre de l’être humain est d’être dépendant. Comme si les humains qui ne sont pas malades ou handicapés, n’étaient pas dépendant. Un humain qui n’est pas dépendant des autres ne peut pas vivre .

Il est important de retenir que la majorité des gens vieux en France vont bien pour contrer les visions très négatives de la vieillesse. La très grande majorité des gens âgés vivent chez eux. Sur les 15 millions de plus de 60 ans, 14,2 millions vivent chez eux.

Ceux qui vivent en établissement sont minoritaires. Ils sont 750 000. 600.000 personnes vivent pour la plupart dans des EHPAD, les établissements pour personnes âgées dépendantes, anciennes maisons de retraites médicalisées. 100.00 vivent en logement foyers, 30.000 dans des services hospitaliers de long séjour et 10.000 dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées, qui sont des maisons de retraites très peu médicalisées.

En 30 ans, la population qui vit dans les maisons de retraite a changé. Celle qui est malade cumule des poly-pathologies : 75% des personnes ont entre 4 et 9 pathologies. 85% ont une maladie neuro psychiatrique (Alzheimer..).

Finalement, Les EHPAD sont vis-à-vis de la population accueillie des mini-hôpitaux, mais ils n’ont pas les mêmes moyens ni de soignants. Il existe un grand décalage entre la réalité de ces établissements, entre les besoins du public et la réalité d’équipes débordées, peu formées etc… Il y a beaucoup de souffrance au travail pour celles et ceux qui y travaillent.

Et la retraite ?

Pendant très longtemps, la vieillesse était associée à l’âge d’entrée dans la retraite. Si on parle de la « générosité » des entreprises qui ont accepté de financer les retraites, il faut se rappeler qu’à l’époque, cela était facile pour elles : la majorité des gens mourraient avant l’âge de la retraite. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

On peut prendre aujourd’hui sa retraite et ne pas se sentir être une personne âgée. Nous n’avons pas les mêmes activités que les personnes âgées d’autrefois. Mais nous restons dans une société marquée par la vie en 3 parties : formation, travail, retraite. Nous n’avons pas encore intégré cette évolution qui fait qu’on peut passer 10 à 20 ans à la retraite. Certaines le vivent bien, mais d’autres « s’emmerdent » socialement, car rien n’est pensé autour de ça.

Les « vieux » ne sont pas utiles ?

Nous vivons  dans une société utilitariste, qui regarde les humains en fonction de leur utilité économique et de ce qu’il produisent. Actuellement si un homme politique veut vous expliquer qu’il faut qu’on travaille jusqu’à 70 ans il va vous dire qu’à 60 ans on n’est plus vieux. Mais si on a un accident de voiture à 61 ans là vous êtes un vieux. L’âge est utilisé en fonction du message que l’on veut faire passer.

Un des grand changement des cinquante dernières années, concerne aussi la diminution du nombre de vieillesses pauvres. Jusqu’aux années 80, un des grand problème était le nombre de personnes âgées en situation de grand pauvreté. En revanche à la même époque la pauvreté des jeunes étaient beaucoup moins importante qu’aujourd’hui.

« Les jeunes pauvres d’aujourd’hui seront les futurs vieux très pauvres de demain ».

Les réformes des retraites d’aujourd’hui vont produire les vieillesses pauvres d’après-demain. Tout indique que la question de la pauvreté chez les personnes âgées sera plus forte dans les décennies qui viennent.

Les généralités masquent aussi les différences de genre : Il vaut mieux être un homme âgé qu’une femme âgée. Les femmes âgées sont plus touchées par la solitude. En terme d’accès aux soins : à situation identique, si un homme et une femme de 80 ans arrivent aux urgences, la femme sera moins vite et moins bien traitée que l’homme. (car l’homme est considéré comme plus fragile et aussi plus solvable ndlr). Les retraites féminines sont moins importantes… Il y a des cumuls de fragilités et de vulnérabilités.

Fragile et/ou vulnérable ?

La fragilité est ce qui touche à l’individu. Un individu qui a une pathologie ou qui est en fauteuil roulant est plus fragile qu’un autre.

La vulnérabilité dépend de l’environnement dans lequel on se trouve : deux personnes en fauteuil roulant ne sont pas vulnérables de la même façon selon si l’un habite au rez-de-chaussée et l’autre au 6° étage d’un immeuble où il y a des pannes d’ascenseur.

Vous avez des personnes qui peuvent être très fragiles et peu vulnérables quand elles sont dans des environnements soucieux de prendre soin de leurs fragilités.   Mais attention : avec très peu de fragilités certains se trouvent dans des environnements tellement inadaptés qu’ils sont extrêmement vulnérables. »

 

Propos recueillis lors de l’assemblée plénière du 6 Février 2020 du Conseil National des Personnes Accueillies/ Acompagnées. Merci à Blandine Maisonneuve pour son autorisation me permettant de partager cette expérience. (petite précision : j’ai ajouté les intertitres)

 

Photo : 1580775  asier_relampagoestudio Freepik

 

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