Jérôme Bouts, directeur général d’un ESMS : « Notre finalité n’est pas de faire des bénéfices »

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« Les directrices et directeurs d’Établissements Sociaux et Médico-sociaux ne doivent pas être des chef(fe)s d’entreprise. » Je ne peux que souscrire à cette affirmation formulée par Jérôme Bouts, ancien éducateur spécialisé devenu directeur général d’une association assumant plusieurs délégations de service public. Nous échangons parfois sur le devenir du travail social et sommes, il faut bien le dire, sur la même longueur d’onde. Mais que nous dit Jérôme dans sa tribune publiée par Lien Social ?

Il aborde un sujet trop peu abordé dans nos institutions et prend clairement position : les directeurs et directrices d’établissements médico sociaux ne doivent pas se comporter comme des chefs d’entreprise même si ce sont bien des entreprises qu’ils dirigent. Il faut distinguer le chef d’entreprise du directeur d’ESMS dit-il. En effet, dans le langage commun, l’entreprise est liée à la lucrativité. C’est de cette confusion possible, de ce glissement dont il souhaite parler ici.

« Notre finalité n’est pas de faire des bénéfices »

Même si le « lucratif » garde toute sa place dans la société, (leurs impôts financent aussi le secteur non lucratif).  La dimension liée à la recherche de profits ne doit en aucun cas faire partie de l’ADN des dirigeants de services sociaux. Jérôme Bouts explique très clairement ce qu’il en est sur ce sujet.

« Notre finalité à nous est de ne pas [en] faire des bénéfices, garantissant en cela la probité du service rendu aux populations les plus fragiles. Ces publics sont d’ailleurs dans leur grande majorité non solvable sur le plan financier. Nous remercions les entreprises, mais nous ne sommes décidément pas des chefs d’entreprise. Nous en avons les qualités sans conteste (rigueur de gestion et d’organisation), mais notre éthique n’est pas au même endroit ».

« Elle est même de ne pas faire de bénéfice à vocation d’enrichissement personnel » écrit-il « Nous cumulons l’éthique qui consiste en la reconnaissance de nos salariés vis-à-vis de leur travail social avec celle d’une finalité qui est la dépense publique au plus près du besoin des usagers ». Jérôme Bouts rappelle que les directeurs d’établissements rendent compte à l’euro près des deniers publics qui leur sont confiés, les faisant passer d’une charge financière à une ressource sociétale. Nombreux sont ceux qui ont compris que « le maintien du sens de notre travail prime sur la question des procédures ». « Si elles peuvent gérer des volumes dans d’autres domaines, elles ne peuvent apaiser les singularités d’un public par définition en situation de fragilité »

Pour une clinique qui seule permet la prise en compte de la singularité

Si le terme « clinique » vous interroge, entendez ici qu’il s’agit de « considérer qu’un fait, un évènement n’a pas la même résonance d’un individu à l’autre« . Or dans nos interventions, « la réponse apportée doit être au plus près de chaque personne concernée. La clinique est l’antithèse de l’approche technocratique qui de son côté met la technique et donc rapidement la finance en alpha et oméga de l’approche ; la technologie étant censée rationaliser les coûts. On voit ici la limite des approches par trop procédurales » dit-il.

« Le social ne peut être rentable » ajoute-t-il. « l’actualité nous a confirmé que des directeurs d’Ephad n’avaient pas compris que leur matière n’était pas « entrepeneuriable », que par essence, elle ne pouvait dégager des dividendes. Ce scandale est symptomatique de dérives à l’œuvre, déjà depuis des années, dans le secteur sanitaire avec les résultats catastrophiques que l’on connaît aujourd’hui. Il est très révélateur de tendances dans notre secteur, d’autant plus inquiétantes que ce sont des responsables eux-mêmes qui sont à l’initiative de dérives technocratiques et financières, tandis que les financeurs parfois n’en demandent pas tant ! » …/…

« Certains directeurs se prennent alors d’autant plus pour des chefs d’entreprise qu’ils ne maîtrisent pas la dimension clinique. Ils semblent avoir assimilé que leur organisation serait non plus une ressource de société, mais d’abord une charge qu’il faudrait par-dessus tout rationnaliser. La logique procédurale tend alors à s’imposer au mépris de toute dimension clinique, des pratiques professionnelles de terrain et donc d’abord finalement des besoins des publics accompagnés. »

Je ne peux que vous inviter à lire en détail cette tribune de Jérôme Bouts publiée par Lien Social. Elle aborde d’autres sujets et nous parle aussi des trois dimensions qui doivent être garanties par les encadrements. Il conclut son propos en rappelant ce qu’il dit aux étudiants se préparant au CAFDES : « si vous voulez être directrice, directeur d’un Ehpad, vous devez être incollables sur les besoins des personnes âgées ! ». Il en sera de même à mon avis s’ils souhaitent devenir directeur de MECS voire même cadre territorial dans les services sociaux.

 

Lire : Les directeurs ne doivent pas être des chefs d’entreprise | Lien Social

Photo: Jérôme Bouts

 

Post Scriptum : Au cours de nos échanges, Jérôme m’a recommandé la lecture du dernier ouvrage de Jean Birnbaum intitulé « le courage de la nuance » Je vous invite aussi à découvrir ce livre qui reprend dans sa préface cette phrase d’Albert Camus : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison » . À l’heure des réseaux sociaux et de leurs « fakes-news » elle est, il me semble, de plus en plus d’actualité. « Partout de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits. » Ce livre a obtenu le prix François Mauriac 2021.

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