Décidément les milieux aisés ont toujours rejeté les pauvres avec un totale méconnaissance de leur réalité, allant même jusqu’à leur inventer des attitudes et comportements moraux considérés comme indignes. Cela en dit long sur l’état moral de ceux qui décrivaient les pauvres qui subsistaient grâce aux secours publics et de l’aide sociale. Comment était considéré le pauvre tout au début du 20 ème siècle ? Comment un grand journal de l’époque, l’Illustration, décrivait les pauvres qui étaient hébergés dans les centres d’hébergement que l’on nommait à l’époque des asiles ?
Le pauvre est décrit comme responsable de son sort vivant de petites combines. Son mode de vie, ses choix ont pour conséquence la misère dans laquelle il vit. Et parfois même, il serait heureux de son sort. Mais attention c’est un être immoral » un paresseux » qui rejette le travail. Les classes dirigeantes dont les journalistes au début des années 1900 avaient popularisé le terme de Pilon pour désigner certains pauvres. Un terme dédaigneux et péjoratif qui en argot concerne les chiffonniers, les repris de justice et les mendiants. En Janvier 1902 ce journal publiait un reportage intitulé « comment vivent les pauvres à Paris ? ».
En voici un large extrait : c’est édifiant.
« Sous le porche dont Ia lumière, bien que parcimonieusement ménagée, éclaire sa misère de rayons indiscrets, l’homme qui, pour la première fois, vient demander l’hospitalité à l’asile de nuit, s’arrête interloqué devant l’employé, de costume et d’allures militaires dont la consigne est de poser à tout nouvel arrivant ces questions préalables:
– Avez-vous couché ici hier soir ?…
– Avez-vous des papiers ?…
Mais les habitués, les « pilons « , ainsi qu’on les désigne dans les établissements d’assistance, ne s’intimident pas pour si peu. Ils connaissent leurs droits. Ils n’écoutent même pas l’indication sommaire de la direction à prendre pour trouver leur salle; d’eux-mêmes, ils se dirigent vers le bureau d’inscription, et, complaisamment, fournissent les renseignements demandés. Ceux-là tiennent avant tout à leur tranquillité ; aussi évitent-ils soigneusement le moindre accroc qui pourrait la troubler: leur souci constant est d’être en règle et de vivre en bonne intelligence avec les autorités
Dans la masse des hospitalisés d’une nuit (200 à 300 par asile), parmi les attitudes farouches des sans-travail dans la force de l’âge, l’affaissement des malheureux sans énergie, les allures louches de quelques jeunes gens à la mine équivoque et à l’aspect inquiétant, dans cette masse sombre et douloureuse, l’aisance familière, la sérénité des « pilons » sont remarquables.
On les sent là chez eux, jouissant en toute plénitude d’un repos qu’ils considèrent comme le couronnement normal de leur journée. De leurs conseils, ayec une obligeance « bon enfant », ils initient les novices, leur apprennent les ressources offertes par la charité parisienne aux pauvres hères un peu débrouillards, les mille et une petites choses à faire pour gagner quelques sous sans fatigue.
Chaque « pilon » pourrait dresser une sorte de guide, « le Baedeker des pauvres de Paris », contenant des indications aussi précieuses que détaillées sur la qualité de la soupe et des lits, le caractère du directeur et du personnel de chaque maison hospitalière. Il conseillerait tel asile ou tel fourneau, établirait le roulement » grace auquel on arrive à user de l’assistance dans l’extrême limite des règlements. Il recommanderait particulièrement, par exemple, de profiter de quelque aubaine pour coucher à l’hôtellerie de l’Armée du Salut. Là, moyennant une rétribution modique, on retient son lit qui vous est gardé et on est libre jusqu’à minuit de vaquer à ses petites affaires; on peut finir de vendre ses journaux du soir, savourer un petit-noir » à deux ronds et fumer sa «bouffarde », en devisant avec un camarade: une soirée de riche, quoi !
La douce philosophie pratique des « pilons leur fait accepter sans peine les règlements et usages des différents asiles. Ainsi, dans ceux où la prière est dite par un surveillant avant le coucher, ils se gardent bien de toute protestation, au nom de la liberté de conscience », de toute plaisanterie malséante, au nom du scepticisme; leur intérêt bien compris leur dicte une tolérance et une réserve opportunes. Aussi est-il très rare que cette prière soit troublée. Il est permis de concevoir des doutes sur la sincérité du recueillement de ceux qui l’écoutent, mais il n’en est pas moins vrai qu’à cette minute une certaine grandeur idéale plane au-dessus de cette assemblée de misérables, confusément les impressionne et, peut-être, en réconforte quelques-uns.
Quant aux « pilons , eux, ils n’éprouvent aucune émotion d’ordre moral. Dans leur couchette, ils apprécieront en épicuriens le grain des draps blancs, le moelleux des couvertures brunes et l’aménagement des paillasses qu’ils auront savamment disposé. Leurs dernières pensées, avant de s’abandonner au sommeil réparateur, seront toutes à l’organisation méthodique du lendemain ».
Ceci n’est que le début de cet article que j’ai trouvé chez un bouquiniste qui garde précieusement les anciens numéros de l’Illustration. Mais 120 ans plus tard, certains ne continuent-ils pas de considérer que les pauvres sont vraiment des pilons, des profiteurs qui vivent plutôt bien avec les aides sociale et qui ne veulent surtout pas travailler ? Comment expliquer ce dédain qui traverse les siècles ?
3 réponses
Bonjour Didier. C’est le début du vingtième siècle que tu évoques, et non du dix neuvième. Amicalement. Patrick
Bonjour Patrick ! effectivement j’ai rectifié. Merci ! et à plus…