Le titre du livre de Jacques Trémintin surprend : « Fragments de vie d’un référent ASE. « Référent ASE » est une fonction au sein d’une institution. Or ce qu’il nous donne à voir est surtout le quotidien et les réflexions d’un éducateur spécialisé dans l’action. Passé ce titre, le lecteur découvre un livre qui se picore. Il est composé de multiples vignettes qui sont autant de fragments. Elles nous racontent des moments, parfois fugaces, qui nous plongent au cœur du quotidien d’un éducateur.
Il nous invite à le suivre dans sa voiture, au domicile des familles, dans son bureau, au tribunal pour enfants… Tout cela dans un désordre apparent. Il mêle gravité, empathie et humour. Il est certain que Jacques n’en manque pas. Il sait aussi pratiquer l’autodérision, n’hésitant pas au passage à reconnaitre ses erreurs et ses doutes. Il nous présente aussi des situations poignantes où souffrances, violences, négligences et maltraitances côtoient tout autant la tendresse et les émotions.
La transmission d’un positionnement professionnel
L’auteur s’inscrit dans une logique de transmission de valeurs. C’est aussi là l’intérêt de son livre. Il propose en quelque sorte un passage de relais à la jeune génération, il esquisse les contours d’une fonction éducative qui relève de l’art de la relation d’aide qui conduit à s’adapter et à innover en permanence. Il défend le modèle du travailleur social artisan, qui, face à chaque situation, est conduit à se réinventer.
Philippe Gaberan, qui a rédigé la préface de ce livre, ne s’y est pas trompé. Il souligne que « l’intérêt et la force des récits de Jacques Trémintin résident dans la pensée de l’agir éducatif ». En effet, le lecteur est invité à partager une posture éducative qui concerne non seulement l’auteur, mais également tout éducateur véritablement engagé dans le métier.
La lecture offre ainsi un sentiment de plénitude lié à l’appartenance à une même communauté de savoirs. Cela va bien au-delà un simple groupe d’intérêts. Mais attention, nous rappelle Philippe Gabéran, en faisant référence à Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique : un «bon éducateur», ça n’existe pas. Il faut, en revanche, être un éducateur suffisamment bon. « Un bon éducateur doit pouvoir se laisser affecter, et non pas infecter, par ce que lui adresse un enfant ».
Une antithèse des guides de bonnes pratiques.
L’auteur n’a pas écrit ce livre dans le but d’expliquer ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il se contente plutôt de partager son expérience et ses réflexions sur la complexité de la protection de l’enfance. Il souligne que chacun essaie d’agir au mieux, sans jamais être certain d’être l’acteur principal du succès ou le principal responsable de l’échec. Plutôt que de blâmer ses collègues, Jacques préfère mettre en évidence ses propres limites, évaluations erronées et fourvoiements.
Il brise un tabou dans la profession. Celui qui consiste à préférer ne rien dire quand on se trompe. Or l’erreur est d’abord humaine. L’auteur estime qu’il est plus facile d’identifier et de maîtriser ses propres dysfonctionnements que ceux d’autrui, dont les motivations et les raisonnements demeurent en partie inaccessibles. Il encourage donc à ne pas juger autrui trop facilement et à balayer devant sa porte en premier.
Un rejet du psychologisme ambiant.
Jacques Trémintin n’hésite pas non plus à pointer du doigt les dysfonctionnements institutionnels, comme il l’a fait tout au long de sa carrière. Il a souvent été attendu sur ce sujet. Certains de ses collègues avaient pris l’habitude d’attendre qu’il soit critique et acerbe lors de réunions de service. Il a même été un peu enfermé dans ce rôle qui conduisait certains à s’étonner lorsqu’il ne disait rien ! Cependant, il n’a jamais visé les personnes dans ses propos, mais plutôt ce qui le hérisse au plus haut point : la bureaucratie, la technocratie et le carriérisme.
Il a aussi été critique du « psychologisme » ambiant au sein des réunions. Des réunions de synthèse où l’on analyse systématiquement les comportements de l’enfant en fonction de son passé. Il a aussi en détestation le « parler pour ne rien dire » avec de phrases toutes faites qui sortent fréquemment dans les instances dans lesquelles il est bien vu de parler doctement. Lui n’hésite pas à « parler vrai » quitte parfois à déplaire.
Un enthousiasme rogné par les doutes.
Dans un récent interview, Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre qui est directrice éditoriale des éditions Erès, a le sentiment que Jacques est resté optimiste, combattif et tenace jusqu’au bout… Ce ne fut pas le cas répond-il. « L’usure et l’épuisement m’ont progressivement envahi en raison de la dégradation des conditions de travail liée à un manque cruel de perspectives pour les enfants que je devais accompagner.
L’enthousiasme si longtemps cultivé fut rogné par les doutes. Des accros apparurent dans ma croyance inconditionnelle en la capacité de mon service à assurer son rôle. Le retour en arrière que propose cet écrit participe d’une tentative de réappropriation de la richesse de tant d’épisodes vécus. Mais aussi sans doute du deuil d’une vie passionnée et passionnante ».
Pourquoi ce livre va vous plaire.
À travers ses écrits, Jacques Trémintin nous invite à une réflexion sur la pratique professionnelle et les défis auxquels sont confrontés tous les acteurs de la protection de l’enfance. Cela concerne en priorité ceux qui sont en contact avec les enfants et leurs familles. Ceux qui ne l’y sont pas trouveront là des explications qui éclaireront leur vision du métier. Ce livre prône l’importance de faire preuve d’autocritique tout en sachant remettre en question les systèmes bureaucratiques qui ne permettent pas de répondre de façon satisfaisante aux besoins des enfants et des familles concernées.
Ce livre, riche en enseignements et en émotions, propose finalement une vision engagée du métier d’éducateur. Il permet aux lecteurs de mieux comprendre les enjeux et les défis de cette profession, tout en les entraînant dans des récits prenants et authentiques. Je vous invite à le lire, vous ne serez pas déçu ! Vous pouvez écouter ici sa propre présentation de son livre :
Le dessin en une est issu de couverture du livre de Jacques Trémintin. Il est signé Jiho.
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